Au front du Che

 Il y a dans mon bureau, accrochée au mur derrière moi, une grande photographie d’Ernesto Che Guevara. Il me plaît de penser qu’il regarde, par-dessus mon épaule, l’écran de mon ordinateur.

 Je tiens à cette photo. Une femme (une amie-amante) me l’avait rapportée d’un voyage touristique à Cuba. Elle l’avait encadrée à la façon brouillonne mais réfléchie que lui dictait son œil de photographe, et me l’avait donnée.

 « Ce Che est ton Che ». C’est ce qu’elle m’avait dit en m’offrant la photo. Je lui ai demandé pourquoi.

 « Ce n’est pas le Che d’Alberto Korda, m’avait-elle répondu. Le Che des posters et des t-shirts, ce n’est pas l’image que tu as sur ton briquet Zippo (le Che gravé sur le briquet des G-I, qui te fait tant rire).

 Ce Che n’est pas un Christ au regard clair et lisse, un Che tellement confiant en l’avenir. Pourtant il a ses cheveux longs, sa barbe et sa moustache adolescentes qui annoncent sa résolution, et l’étoile sur son béret.

 Mais regarde son front, barré de deux profondes rides horizontales d’inquiétude, et ses yeux, perdus dans les songes. Ce Che est ton Che. »

 L’inquiétude du Che m’accompagne.

 Dans les rides d’inquiétude du jeune héros de la révolution, je perçois la tension de ceux qui s’engagent, de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, vouent leurs vies à une cause dont ils savent qu’elle est juste autant qu’incertaine.

 Dans le regard du Che qui court après ses songes (qui en aucun cas ne sont des rêves de conquêtes), je lis que la bonté, le respect de la vie, le souci des autres, ne peuvent être sacrifiés à la violence des combats, à la férocité des temps, aux vengeances politiques rancunières. Son regard douloureux est un regard d’humanité.

 Dans les rides d’inquiétude au front tourmenté du Che, qui a vécu sa vie de révolutionnaire les armes à la main, puis comme ministre, puis dans le sacrifice d’une guérilla perdue d’avance, je saisi l’affrontement à la complexité du monde.

 Bien plus et bien autrement qu’une économie et qu’une politique, le communisme de ce Che qui m’accompagne est un comportement, une éthique, une culture.

 

 

 

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