Militant !

(Collages pour un roman-songe)

 « Je ne vois que la révolution. C'est elle que je servirai toujours. C'est elle que je salue. Puisse-t-elle se lever sur des hommes au lieu de se lever sur des ruines. »     (Louise Michel)

 

Je suis communiste,

Tranquillement

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Enfant, j’étais déjà communiste

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Quartier des Épinettes, Paris 17e. J'avais dix ans et un ami, il s'appelait Charles, je crois.


Nous allions ensemble à l'école de la rue Des Moines. Comme moi, il était communiste et je le savais : chez lui comme chez moi, l'Humanité traînait sur la table de la cuisine et une reproduction du poème « Liberté » d'Eluard, illustré par Lurçat, décorait le mur de nos deux séjours. Le jeudi, quand nous n'allions pas au square des Batignolles jouer aux billes et nous en prendre méchamment  au gardien boiteux, nous faisions chez lui des parties d’échecs. Il gagnait le plus fréquemment. Il était encore plus communiste que moi. Je n'aimais pas les américains mais lui, plus que tout, détestait les socialistes. Pour moi, qui ne savais pas très bien ce qu'étaient les socialistes, il n'y avait pas pires ennemis que les américains.

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Les communistes n’ont pas d’avenir,

C’est l’avenir qui est communiste.

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Audierne.  J’ai rencontré, un jour d’été, une femme communiste, seins de fruits mûrs, cul de soleil, buisson de miel. Avais-je besoin d’autres preuves ?

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Facile d’être communiste le matin, quand tout fonctionne.

Le soir c’est une toute autre affaire.

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Le communisme n’est pas un parti pris

C’est un parti offert.

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Faculté de Vincennes. Une professeure de philosophie m'a ouvert l'esprit et sa couche. Elle m'a fait découvrir la chose en soi kantienne et la saveur un peu acre du sexe féminin, apprécier le renversement matérialiste de la dialectique hégélienne et la fellation. Après ça, je me sentais très communiste.

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Trop de désir d’avoir détourne d’être.

Le communisme appartient aux pauvres. Eux sont riches de futur.

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Nice, l'Ariane (1). Porte à porte pour vendre l'Huma dimanche (un bon prétexte pour s’introduire dans l’intimité du monde) dans cette cité très dégradée de Nice. Celle dont les faits divers font quotidiennement la « une » du journal régional. Une tour, un appartement, on m'accueille. Un couple d'une trentaine d'année et une fillette de 6 ou 7 ans. Ils viennent du Nord de la France, chassés par la fermeture des aciéries. Ils sont arrivés le cœur plein d'espoir, de soleil, de chaleur, de richesses, et se sont brisés sur le mur du dénuement. Désormais leur vie n'est qu'un lac, lisse d’infortune.


Chez eux, ça sent le propre et le bien rangé, mais ce qui frappe, c'est qu'il n'y a aucun meuble dans le séjour. La fillette, assise par terre, fait ses devoirs sur un carton qui lui sert de bureau. Pendant que les parents me parlent, je suis frappé par l'application de la petite, sa belle écriture douce. Je leur dit « elle semble bien travailler ». Oui, ils en sont fiers, elle réussit à l'école. « Mais on a un gros problème avec elle ». Ils n'arrivent pas à la faire baptiser parce qu'ils n'ont aucune famille, ils ne connaissent personne qui pourrait faire la marraine ou le parrain, ils en sont désespérés. Ils vivent sans collègue, sans voisin, sans ami, dans le seul tourbillon d’eux-mêmes. Je leur dis que je reviendrai leur en parler.

 

Il y a peu de temps que je milite à l'Ariane, je ne connais pas encore grand monde, sauf les communistes de la cité. Mais je crains que si je leur raconte ça...


Surtout j'ai une idée en tête. Dès que je quitte cette famille, je file à l'église du quartier. Et je cherche le curé. Je le trouve, je me présente : « je suis le responsable de la section communiste », et je lui raconte l'histoire. « Vous devez bien connaître quelqu'un qui ferait une bonne marraine ». Il est un peu interloqué mais il me répond qu'il n'y a pas de problème. Il me présente une de ses ouailles, qui vaque en son église, je la conduis sur le champ à la famille et l'affaire se fait. Est-ce que c'est ça, être communiste ? Permettre à une petite fille de se faire baptiser ? Pourtant ce jour-là, je n’ai pas vendu d’Huma dimanche.

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Être communiste

Inventer sans cesse.

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Il n’est pas facile d’être généreux en politique.

Pas facile d’être communiste en politique.

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Nice, l'Ariane (2). Il fait doux ce soir et je discute avec Lucien, le curé, dans son presbytère, chacun un verre de whisky à la main. Nous sommes devenus un peu complices depuis l'affaire du baptême et nous faisons pas mal de choses ensemble dans la cité. Je le chambre sur le sexe, lui me chambre sur la mort. Il semble plus à l'aise avec le sexe que moi avec la mort.


Il me fait remarquer que mes copains communistes, qui ont bouffé du curé toute leur vie, finissent tous par se faire enterrer religieusement. Et c'est vrai. « Tu vois, me dit-il, à la fin de l'histoire, c'est toujours moi qui gagne ». Je lui concède qu'il n’a pas tort : « Oui, tu gagnes toujours à la fin de l'histoire. Le problème, c'est qu'après la fin de l'histoire, je crains bien que ce soit moi qui ait raison ».

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Je n’aime pas qu’on se félicite que les communistes soient « les seuls qui… »

Être seul, on s’interdit l’Histoire.

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Nice l’Ariane (3).Quand il y a l'enterrement d'un militant ou d’un ami et une cérémonie à l’église, nous sommes là, les communistes de l'Ariane, avec les habitants, et quand la famille n'y voit pas d'objection, nous accompagnons le défunt en portant le drapeau rouge de la section du parti. Un très beau drapeau brodé de fils dorés confectionné à la Libération.

Lucien me demande pourquoi, dans ces cas-là, nous n’entrons pas dans l’église avec le drapeau. Je lui réponds que c'est par respect, qu'entrer paraîtrait hypocrite. Mais que, s'il y tient...


« Fais comme tu le sens, me coupe-t-il. Mais je te demande une chose : pour mon enterrement, je veux le drapeau du parti communiste dans l’église ».

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Il n’y a pas d’héritage communiste

Je n’aimerais pas un communisme de propriétaire

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Le communisme n’est pas une religion.

Quand même, parfois,

Il faut avoir la foi.

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Nice l’Ariane (4). A l’Ariane vivent des familles gitanes depuis des décennies. Certaines sur un terrain aménagé pour leurs caravanes. D’autres habitent en HLM. La municipalité médeciniste leur a progressivement coupé leurs revenus de subsistance en confisquant les terrains sur lesquels elles pouvaient exercer leurs activités de réparations en tout genre, de casse automobile, de carrosserie, de mécanique auto principalement. Certes c’était de l’économie parallèle, mais cela créait des liens sociaux paisibles entre les habitants et elles. Privées de leurs ressources, certaines familles sont progressivement tombées dans les spires des trafics violents et en particulier de la drogue. Bientôt se sont créés dans les HLM de véritables îlots où plus personne de raisonnable ne pouvait accéder.


J’ai à cœur pourtant de continuer à monter et descendre les escaliers de ces lieux improbables où tout peut se passer. Je m’accroche à ce porte à porte militant impossible qui n’amène guère de fruits concrets pour le Parti communiste, mis à part un certain respect (non dénué d’une pointe d’ironie). J’ai quand même parfois le sentiment d’une fragile utilité.


C’est ainsi qu’un jour, je m’engage dans un de ces escaliers chimériques. Au troisième étage, des hommes s’efforcent de faire entrer un beau canapé dans leur appartement. Je leur lance « on se meuble, je vois », et ils me répondent un peu gênés mais je n’y prête guère attention. Je monte jusqu’au septième et redescends comme à mon habitude en sonnant aux portes. Un peu plus tard je sonne au quatrième. « Vous vous rendez compte de ce qui m’arrive ! dit le locataire désemparé. Je sors faire des courses, je reviens deux heures après, et on m’a volé mon canapé ! Je venais de l’acheter ! » Je comprends, le souffle coupé devant l’insondable stupidité d’un monde absurde. Sans rien répondre, je descends et je sonne au troisième. Je leur dit que leur voisin aimerait bien retrouver son canapé et que je vais leur donner un coup de main pour le remonter de suite. Je ne sais plus quels griefs graves ils disent avoir à l’égard du voisin du dessus. Des reproches qui, sans doute, méritent bien qu’ils s’approprient son canapé. « Je ne veux rien savoir. On remonte le canapé, c’est tout. » Et c’est ce qu’on a fait. Grâce au communisme, quelqu’un, au moins, a pu retrouver son canapé.

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Souvent, des camarades m’ont considéré comme un « communiste mou ».

 C'est injuste, je suis un communiste tendre.

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D'être resté communiste me fait douter du communisme

Bien plus longtemps que ceux qui l'ont quitté très vite.

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Nice centre-ville. Est-ce la canicule qui m’a expulsé de mon appartement ? Il est trois heures du matin et la ville est plongée dans un silence de craie. Les murs ont accumulé la chaleur, on ne peut marcher qu’en s’en éloignant. Mes pas me conduisent vers le quartier de la gare. Je sais que je trouverai là les ombres malsaines (la peur est ce que je connais de mieux comme preuve de la vie). Pourtant cette nuit est déserte. Je ne croise aucun dealer, pas une femme suppliante, prête à tout pour un flacon d’éther, pas même un mendiant vindicatif ou un chien quémandeur. Et la chaleur qui écrase tout...


Je descends vers la mer, espérant au moins quelques bouffées plus fraiches. La Promenade des Anglais est toute aussi déserte. La mer semble de plomb, aucun désir d’écume ne vient ourler la plage. Pas de houle, les galets paraissent avoir gagné la partie. Pas un bruit, pas le moindre écho du relief éméché d’une fête nocturne. Je marche vers l’Ouest, vers l’aéroport, sans rien croiser qui vive. J’arrive ainsi où commencent les collines. Sur un banc, assis, un homme fixe la mer. Je m’assois à ses côtés, en silence, sans le regarder, il ne me regarde pas non plus. Nous sommes silencieux, sourds et aveugles l’un à l’autre pendant de longues minutes. Je commence à sentir mes nerfs, mes muscles se dénouer. Sa présence taiseuse me fait du bien. Au bout d’une longue patience, c’est lui qui commence à parler. Et bientôt nous nous parlons. Nous ne disons rien de notre vie, nous parlons « en général ». Des femmes surtout, de l’absence, du vide immense quand elles s’éloignent ou se refusent. De la vie aussi, du temps qu’on perd à courir après les objets et les souvenirs futiles. Nous parlons sans trop disperser les mots. Bientôt, vers le port et le cap de Nice, l’aube commence à faire pâlir la nuit. Il dit qu’il va y aller. Je lui propose de passer chez moi prendre une douche et un petit-déjeuner.

« J’allais vous proposer la même chose, me répond-il. Je vous croyais sans abri. Moi j’habite à deux pas et je suis ingénieur chez IBM. »

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Je ne suis pas un militant du bonheur

J’aimerais un communisme de bienveillance,

D’inquiétude de l’autre.

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Je suis un communiste qui aime beaucoup les communistes

Et beaucoup le parti communiste.

Et je me demande parfois si, comme communiste, ce n'est pas mon pire défaut.

 

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Nice l’Ariane (5). Il faut parfois savoir ouvrir une parenthèse et la refermer, affaire faite. Quelques jours avant Noël, Richard m’appelle un matin de bonne heure. C’est un camarade dévoué, que j’aime beaucoup. Facteur à la retraite, il porte l’Huma, chaque petit matin, aux abonnés de Nice. Sa tournée passe par l’Ariane où il distribue quelques journaux. Quand il m’appelle il a l’air désespéré. Au cours de sa tournée, alors qu’il déposait un journal dans une boite à lettre de l’Ariane, il s’est fait voler sa voiture. « La voiture je m’en fous, dit-il. Mais dedans il y avait mon chien. Toi qui connais bien l’Ariane, est-ce que tu peux faire quelque chose ? ».


Je sais qu’il est entiché de son caniche qui l’accompagne en permanence. Je sais aussi que parmi les nombreux trafics qui ont cours à  l’Ariane, il y a un trafic de chiens. Des chiens volés sont revendus ou servent à des rackets écœurants que nous avons dénoncés publiquement.


Sans me faire trop d’illusion, je décide de parler à des chefs de quelques familles dont je sais qu’elles trempent plus ou moins dans ce trafic. Evidemment je ne m’ouvre à personne de cette démarche dont je ne suis pas fier, et surtout pas à Richard. Le premier que je vais voir est un homme considéré à l’Ariane comme dangereux. Infirme, il est en permanence entouré de quatre ou cinq gaillards, ses fils sans doute, et se déplace en fauteuil. La légende dit que c’est à la suite d’une blessure par balle. Je le connais peu mais je sais où il habite. Je sonne chez lui, c’est un de ses fils qui ouvre et son accueil est plus que froid. Je demande à voir son père, que je ne veux parler qu’à lui. Du fond de l’appartement, une voix demande ce qui se passe et le fils répond « c’est le communiste ». « Laisse-le entrer », dit la voix et on m’introduit dans la pièce où le père est dans son fauteuil. L’accueil me donne l’idée de théâtraliser la conversation. « Je veux te parler d’homme à homme » et il fait sortir ses fils de la pièce. Je raconte l’histoire, « c’est mon ami et ce qu’il fait m’est précieux ». Et je joue comme si j’étais John Wayne rencontrant un chef indien. « Je ne t’accuse pas, je ne te demande rien. Je sais que tu connais beaucoup de choses et que tu es influent. Tu feras ce que tu crois devoir faire. » Tout ce temps il reste silencieux, mais avant que je parte, il me glisse « ton ami devrait continuer à faire ce qu’il fait ».


Trois autres visites se passent à peu près de la même façon, en moins tendues tout de même. Quand je sors de l’immeuble où j’ai rencontré le quatrième chef de famille, la voiture de Richard est devant l’entrée, en double file, le moteur tourne. Elle ne risque rien, surveillée discrètement par une bande de jeunes. Je la gare, je téléphone à Richard pour qu’il vienne la récupérer. Il arrive une demi-heure après et prend sa voiture en me remerciant et en redisant que c’est surtout son chien qu’il veut. Je lui recommande de faire sa tournée, comme d’habitude, le lendemain.


Le matin suivant, Richard m’appelle très tôt. « J’ai fait ma tournée. Là où on m’a volé la voiture hier, je suis allé poser le journal en laissant la portière ouverte, comme d’habitude. Et quand je suis revenu, le chien était dans la voiture. Tu vois, il s’est juste perdu et m’a retrouvé au même endroit ».

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Le communisme n’est pas l’avenir du monde

C’est le présent des rêves.

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Communiste ? Bien sûr que je connais !

J’ai un petit-fils qui sera communiste.

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Juste après la fin de l’histoire. J’ai une certaine habitude de le faire, je frappe à une porte, celle du Paradis des communistes. Je sens qu’on m’observe à travers le judas. (J’ai toujours aimé l’idée que la porte du Paradis était équipée d’un judas). J’entends à travers l’huis une voix quelque peu caverneuse. « Voyons si votre bilan communiste est globalement positif ». Je perçois qu’on feuillette mon dossier. « Un caniche… un canapé… et un baptême catholique… c’est un peu maigre, jeune homme, un peu maigre ! Il va falloir repasser plus tard ! ». Je ne me fais pas prier.

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Dans « être communiste » l’important,

 Finalement, c’est « être » (peut-être).

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