Ma réponse aux signataires de l'appel "C'est le moment"

Bonjour les jeunes,

 

Pour me présenter, lycéen  j’ai été un piètre lanceur de pavé en 68, un rénovateur de l’Unef quelques années plus tard, un militant PCF de toujours, jamais élu (d’ailleurs jamais candidat), jamais dirigeant national. Mon crâne a côtoyé quelques matraques diverses, j’ai résisté à l’écroulement du monde soviétique qui fut aussi (un peu) mon monde, j’ai été partisan enthousiaste de la mutation du PCF du début puis un mauvais coucheur de la mutation quand elle s’est muée en compromission avec le pouvoir de Jospin... bref, je ne vous raconte pas ma vie, je suis un communiste à la soixantaine bien avancée. 

 

Excusez-moi, je ne le ferai qu’une fois : ma biographie m’autorise à vous dispenser un seul conseil de prudence. Avant de secouer le cocotier pour vous débarrasser des quelques vieillards qui s’accrochent encore aux branches du communisme, prenez le temps de vérifier que la Révolution ne démarre pas du mouvement des Ehpads ! (LOL... MDR...)

 

Car la Révolution, c’est d’abord et avant tout une surprise. Un jour, je ne m’en souviens pas  j’étais gamin, c’était le 1er décembre 1955, une femme a refusé de laisser sa place dans un bus à un homme. Cet événement insignifiant a ébranlé les structures politiques et morales du plus grand, plus riche et plus puissant État du monde et 63 ans plus tard, on connait encore le nom de Rosa Parks. Aujourd’hui, je ne veux pas manquer le cri d’Emma Gonzalez : « C’est ce que valent les gens pour vous, Trump ? »

 

C’est comme ça. Ni la plus belle théorie, ni le plus ardent programme, ni le système le plus inventif de sécurité de l’emploi ne sera un déclencheur de Révolution. Je dis ça juste parce que je suis un communiste qui pense que Marx a eu raison de dire que « l’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». Et du coup, la Révolution, ça part de la vie, d’un sentiment, d’un imaginaire, ça part de l’intérieur d’un peuple, jamais de l’extérieur.

 

Alors, ça ne sert à rien le Parti communiste ? Oh si, ça sert, c’est même indispensable ! Si le parti communiste essaye de fourrer son projet dans la tête des gens, le capitalisme a de beaux jours devant lui et du coup, l’humanité et la planète ont du souci à se faire. Si le Parti communiste accompagne  les colères, les aspirations, les sentiments des gens, des classes populaires en tout premier lieu, leurs mouvements... pour les aider à en faire d’abord des sujets politiques, puis des projets politiques, alors, oui, les mouvements de la société et du monde peuvent devenir le grand mouvement d’émancipation qui dépassera le capitalisme et ouvrira le chemin d’une nouvelle civilisation, une société et un monde sans classe. Le communisme pour faire simple.

 

Pas question donc de s’effacer ! Mais pas question non plus de dispenser d’en haut, comme nos  élites surplombantes, la bonne parole communiste au peuple. Être attentifs à ce qui se dit. À ce qui bouge. Déceler ce qui vient du profond de la société. Scruter, écouter, entendre, voir... Et il n’y a qu’un moyen, qu’une seule posture pour écouter, voir, entendre, c’est de participer, d’en être, d’agir. De l’extérieur ou passifs, on n’entend rien !

 

Vous pensez qu’être à l’écoute ne suffit pas à entendre des choses utiles au communisme ? Que « l’idéologie dominante » pose sa chape de plomb sur la raison populaire et que pas grand-chose de bon ne sortira de cette écoute ? Détrompez-vous ! Le monde est plein de promesses. La politique n’est jamais loin et nous pouvons avoir nos entrées partout !

 

Par exemple le mouvement des Ehpads pose en grand la question de l’humain dans les choix politiques et financiers et donc la question de la démocratie (qui décide ?).

 

Dans un tout autre domaine, mon fils (qui sait et souvent s’étonne que je m’intéresse à ces questions) me conseille un article de la Fondation Internet Nouvelle Génération. Les auteurs déplorent que la startup soit devenue le seul modèle d’innovation aidée et promue par les pouvoirs publics et les forces économiques. Ils montrent notamment que ce modèle ne permet pas de concilier l’innovation technologique et l’innovation sociale et écologique. L’article est passionnant parce qu’il révèle de l’intérieur les enjeux politiques des choix technologiques. Et il se conclut par : « C’est en en faisant un sujet politique qu’on sortira l’innovation du solutionnisme pour en faire une innovation inclusive, responsable, durable et créatrice d’emplois et de valeurs pour tous, plutôt qu’une innovation prédatrice. La politique de l’innovation a besoin d’entamer un dialogue avec la société. Quand on constate la différence entre le foisonnement de politiques de soutien à l’innovation économique et aux startups et la modestie des moyens alloués au soutien à l’innovation sociale par exemple, on voit bien qu’il y a une carence à combler, un espace pour innover avec la société plutôt que contre elle. Les modalités de l’innovation sont un sujet peu débattu. Or, nous devons nous interroger pour savoir comment on la fait, avec qui, et selon quels principes et valeurs ? » N’y a-t-il pas là sujet à débattre et projet à construire, non pas dans « l’entre nous » mais dans le dialogue avec ces acteurs de l’innovation numérique ?

 

Enfin, si c’est là que nous allons, nous sommes en mesure d’être audibles, crédibles et offensifs ! Je vous espère là, parce que sans doute, sur ces sujets du siècle, vous serez mieux placés que moi. Là, plutôt que dans des escarmouches qui n’ont, dans le monde et la société (et le Parti communiste), aucune espèce d’importance et de sens. 

 

Ce n’est pas à ce « moment » que vous êtes attendus, c’est à cet endroit !

 

C’est de cela, de cette façon-là de faire de la politique, que j’aimerais bien qu’on parle, à ce moment.

 

On me dit qu’on devrait vous « laisser les clés du Parti ». Je ne les ai pas. Et si je les avais, je ne vous les laisserais pas. Pas pour les garder, mais parce qu’ensemble, je préférerais qu’on bâtisse une nouvelle maison communiste avec des portes et des fenêtres grandes ouvertes, et qu’on n’ait plus besoin de clés.

 

Enfin je dis tout ça, je ne dis rien...

 

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