Mes pensées quotidiennes du mois d'août 2017

  1er Août 2017.

Le poète n’habite pas un autre monde. Le poète n’est jamais dans la lune, n’a pas le nez au vent, ne vole pas de ses propres ailes et ne noie pas le poisson. C’est dans ce monde qu’il vit, le mien, le tien, le nôtre (et même parfois le leur). Ce qui distingue le poète, c’est qu’il veut bien vivre ce monde, mais d’une autre façon : sans cesse, il cherche à l’inventer. (Je le sais car je ne suis pas poète.) 

 

  2 août 2017.

Encore une histoire. 

Elle était montée à Cannes et hélas descendue à Dijon tandis qu’il continuait sur Paris. (C’était avant l’invention tue-l ’amour du TGV, quand on pouvait encore voyager de nuit par le train.) Il n’aimait pas trop les couchettes et préférait s’asseoir ou s’allonger dans les compartiments de seconde classe. Ils étaient en général peu fréquentés (mais très fréquentables) et les rencontres éphémères n’étaient pas rares. Le balancement du train favorisait les frôlements et le bruit du passage des roues aux intervalles des rails donnait parfois son rythme à des assauts clandestins.

 

  3 août 2017.

J’ai participé aujourd’hui, aux côtés d’autres bénévoles, au montage des chapiteaux de la fête de mon hameau. Je ne suis pas très doué pour ces exercices physiques et mes efforts pour exécuter consciencieusement ces tâches, pour moi visiblement ardues, sont souvent salués de sourires quels que peu ironiques. Et parfois même de commentaires sur la façon dont un « intello », un poète pourquoi pas, peut se sortir de ce boulot. Et je me demande : Quel est le prix d’un travail ? Le prix du travail d’un maçon ? Le prix d’un poème ? Le prix de l’instruction donnée à trente élèves par un instit ? Le prix d’un artiste brésilien du ballon rond ? 

 

  4 août 2017.

Il fut un temps, c’est loin, où j’avais des ailes, et je virevoltais partout et sans cesse, martinet ne sachant où donner du bec, me nourrissant d’air et de lumières, sans jamais toucher terre. Depuis un certain temps mes ailes, sans être définitivement coupées, sont devenues lourdes et malhabiles. Mais je me pose où je veux, je construits les domaines où j’invite qui bon me semble. Ah comme je suis libre depuis que je ne sais plus voler !

 

  5 août 2017.

Je ne sais pas bien voir les choses. Je suis un très mauvais cueilleur de champignon. Ils sont là, sous mes yeux et je ne les vois pas. Je peux dire la même chose des œuvres d’un musée. Je vois un tableau. C’est un tableau de Lucien Freud. Il représente un mari et sa femme couchés sur un lit. Je m’arrête devant. J’ai très envie de pleurer. Mais je ne sais pas pourquoi. Et dix minutes après, je suis incapable de dire la couleur de la robe ou de la blouse de la femme, et aucun détail n’est resté dans ma mémoire. Et quinze ans plus tard, je me souviens juste d’avoir eu envie de pleurer. C’est comme ça, trop d’émotion m’empêche de voir vraiment. Et j’y perds beaucoup.

 

 6 août 2017.

Tiens, comme il est tard (23 h 07) je vais me contenter d’une histoire. (Mais qu’est-ce qu’il va encore nous raconter comme c…..rie ? Un truc qui ne tient pas debout ?) Histoire.

Sa mère était une prostituée mais il eut une enfance heureuse. Puis une adolescence sans histoire. Il réussit sa vie d’adulte et fonda une famille. Il était honnête et droit et ne manquait pas une occasion de le démontrer. C’est bien plus tard qu’il devint un véritable fils de pute.

 

  7 août 2017.

Dans exactement 3 jours, Timothée vient nous voir. Il sera là et moi je n’ai rien préparé. Heureusement ce matin, dans le jardin où s’impatientent son tricycle, sa brouette, sa piscine, son râteau - sa pelle – et – son - seau, son siège-vélo, son gilet de sauvetage pour aller sur le bateau, son camion qui a plein de boutons-musiques-d’enfer, son ballon qu’on dirait un vrai, et toute les choses que j’ai oubliées, bref dans le jardin d’acclimatation ou plutôt d’accumulation de Timothée, dans ce jardin donc, il a plu des mirabelles. Par dizaines et par dizaines, bien mûres et prêtes pour la tarte ! Alors tu peux venir, gamin, on t’attend !

 

  8 août 2017.

Je vais la rejoindre. Lune complice, les volets pointillent ses rêves. Je garde son sommeil qu’un je t’aime silencieux finit par troubler. Ses mains à la découverte. Ma peau se fait attentive. Ses mains sont les plus fortes. Il n’y a qu’une victoire. Elle lui appartient. 

 

  9 août 2017.

On ne peut pas toujours chanter le spectacle du monde parce qu’on ne peut pas toujours ou mentir ou pleurer (décidément je ne serai jamais un poète). Quand les rochers projettent leurs sombres silhouettes, je préfère parler d’elle. Elle est ma fuite, mon issue de secours.

 

  10 août 2017.

Journée agitée pour Timothée arrivé ce matin du train de Paris. Pour le coucher, ça ne s’annonçait pas simple, j’ai dit c’est moi qui m’y colle. J’ai fait le noir dans sa chambre et allumé sa veilleuse aux couleurs changeantes. Je lui ai inventé un conte de deux minutes où il était une plume. Puis je me suis tenu debout contre son lit. Le silence… la pénombre… ses doigts plongés dans une étoffe soyeuse… un souffle sur son front à chaque soupir inquiet… Il a fermé les yeux. De temps en temps un frisson tendre jouait sur ses paupières pour chasser une pensée chagrine… Et il s’est endormi, enveloppé de confiance, en dictant au monde qui se déchire notre impatience d’humanité.

 

  11 août 2017.

Timothée écosse les cocos de Paimpol. Temps gris, vent presque froid, la Bretagne serait vraiment triste si le soleil n’avait trouvé refuge dans la maison.

 

  12 août 2017.

Entre nous, elle et moi, s’est formé un espace, quelque chose d’habité, d’épais, de dense. Tu crains, dans cet ensemble, être embourbé, enfermé, séquestré, menotté. Tu dis « l’amour est contrainte ». Mais tu parcours là un étonnant trajet de liberté.

 

  13 août 2017.

Ce soir de grande fatigue, je crois que je suis à l’égal de ces grosses méduses inoffensives échouées sur le sable de la plage. Il arrive que, distrait, quelqu’un marche dessus, pied nu, et c’est une sensation absolument abominable que ce toucher gluant, mollasson et gélatineux. J’imagine maintenant que, mettant ainsi le pied sur cette méduse échouée sur le rivage, elle vous dise en vous appelant par votre prénom : « fais un peu gaffe où tu mets les pieds ! » C’est ce qui vous arrivera si vous me piétinez.

 

  14 août 2017.

Tu n’es jamais seul en fait puisque tu n’es jamais qu’un. Tu es double, triple, double vie, triple vie. Front office : souriant, plaisantant, agréable, sûr de toi. Back office : vrai mais chiant, hésitant, apeuré, stressé. Arriveras-tu à te réconcilier avant que la mort ne t’unisse ?

 

  15 août 2017.

On dit que Timothée a un tout petit peu peur de l’eau. Mais dans l’eau, il n’a pas peur d’aller voir les bateaux au mouillage. Et de pêcher des cailloux avec son épuisette verte. Et de marcher dans l’eau quand on lui donne la main. Et de regarder les crabes qui s’enfuient quand il approche. Que Timothée ait peur de l’eau est une pure et simple légende maritimo-urbaine ! Timothée n’a peur de RIEN !

 

  16 août 2017.

On a dit (je crois même que c’est moi) que le petit Timothée ne pouvait pas être Mao. Et bien désormais, il peut ! Car aujourd’hui, Timothée a fait sa première « croisière » sur le voilier ArTiYote. Et il a tenu la barre ! Le petit Timothée est désormais un grand timonier !

 

  17 août 2017.

Voilà, tu es là. Dans la cuisine, au rez-de-chaussée, elle fait des confitures de mirabelle. Tu as donné à Timothée son repas du soir et tu lui as raconté de douces bêtises pour qu’il s’endorme. Et il s’est endormi. Maintenant, devant ton ordinateur au premier étage, tu écris des contes pour que, même quand tu n’es pas là, Timothée puisse s’endormir sur des mots tendres. Dehors, le vent est frais et le jour s’éteint doucement, humide. Voilà tu es là. Tout est calme, tranquille. Ce soir, le monde semble paisible, humain. Voilà, tu es là. Mais tu as appris… tout à l’heure… tout près… juste là… sur les ramblas. Voilà, tu es là, dans la nuit qui tombe. Qui tombe.

 

 

  18 août 2017.

Parfois, même toi, même ce petit prince que tu es, tu te mets dans une colère ! On ne comprend pas ce que tu as. Tu cries, tu pleures, tu ne sais peut-être pas toi-même pour quoi ou contre qui… Tout ce qu’on te demande, au-delà de notre inquiétude passagère, c’est de ne pas oublier cette colère. Garde-la. Ne l’échange contre aucune promesse, il n’y a pas plus grande richesse. Un jour, tu sauras comment t’en servir, mieux que nous, et ce jour-là, tu seras vraiment un roi. 

 

  19 août 2017.

Le poète irlandais, W. B. Yeats, dit « ni effroi ni espoir/ pour l’animal qui meurt, / mais l’homme attend sa fin/ craignant, espérant tout ». Et plus loin il en conclut : « Il sait la mort à fond/ l’homme a créé la mort ».  Je pense que c’est assez vrai, et que finalement, cette « création » de la mort est la marque évidente de la civilisation. Mais pourquoi faut-il alors que l’homme, capable d’une création si capitale, en vienne aujourd’hui à risquer de détruire… l’humanité elle-même ?

 

  20 août 2017.

Ils sont partis, nous les avons accompagnés au train vers Paris-Montparnasse et ils ne nous ont pas laissé Timothée, ces ingrats. On garde des souvenirs, un certain sentiment de liberté (enfin seuls elle et moi) et un grand vide. Jusqu’au bout j’ai profité de Timothée pour raconter, chanter, jouer, me promener, l’endormir, lui donner à manger… J’ai fait le plein… Je peux rouler quelques jours tranquilles. Surtout que lui, il est content de retrouver sa chambre, ses jouets… Tous des ingrats vous dis-je ! Et je n’arrive même pas à leur en vouloir ! Enfin pour faire passer le truc, demain je navigue !

 

  21 août 2017.

Poème. J'ai dit hier « demain je navigue ». Et ce soir je suis au port de Palais à Belle Ile, après une navigation sans vent, presque exclusivement au moteur. Mais miracle, deux magnifiques maquereaux ont bien voulu prendre mes minables appâts pour d'exquises friandises et ils ont fait les frais de notre repas (au court bouillon).

 

  22 août 2017.

Aujourd'hui Belle Ile (et on n’était pas tout seuls mais c'était bien quand même) demain retour vers Arradon parce que vendredi, c'est la rentrée ! Enfin la rentrée à Angers ! C'est tout pour aujourd'hui.

 

  23 août 2017.

Une grosse bêtise. J’ai testé pour vous : le retour à la voile de Belle-Ile par le passage de la Teignouse, pris le vent dans le dos et le nez contre le courant de grande marée (coefficient 100) et des creux de 2 mètres. Rigolo ! Et dire que demain, je rentre à l’université (d’Angers) !

 

 

  24 août 2017.

Demain commence l'université d'Angers. Ce soir, j'étais sur place, toutes mes affaires prêtes pour la rentrée. Mes rentrées scolaires sont un souvenir tellement insupportable que même cette université d'été du PCF, je ne peux m'empêcher de la débuter sans un petit pincement de cœur. En tout cas, les chambres des cités universitaires n'ont rien de comparable avec celles de ma jeunesse. Chacune possède sa douche et son coin cuisine. De mon temps, allez donc, quand vous êtes un lycéen ou un étudiant comme moi, au matin d'une nuit agitée, vous doucher dans les douches collectives de la cité universitaire de la copine, une cité où les garçons sont interdits de séjour !

 

  25 août 2017.

Poème. 

Tiens ? 

y a pas mal de jeunes

dans ces travées angevines

à speed dater avec les dirigeants de leur

parti communiste.

Mais qu'est qui se passe ?

Kess ki se passe ?

 

  26 août 2017.

Je l'avais dit qu'il y avait des jeunes à l'université d'été du PCF. Il y avait même le jeune Karl Marx ! Et à cause de lui, ma pensée du 26 août m'est venue le 27.

 

  27 août 2017.

Parfois, un visage sur mille, une conversation sur cent, un regard sur dix devient quelque chose de cher, de rare. Tu sens qu’après, tu seras plus riche. Tu te refais le film, tu le repasses encore et encore jusqu’à l’évidence. Ce n’est pas le hasard, c’est que là, c’était ouvert, accueillant. Tu es entré.

 

  28 août 2017.

Un mouvement, un parti ou un homme, qui ferait une priorité de ses intérêts particuliers, de sa stratégie de développement, et dicterait son calendrier et ses initiatives sans tenir aucun compte des enjeux communs, de l’intérêt général des travailleurs et du peuple, n’a aucun avenir. On peut toujours (surtout quand des médias puissants donnent le coup de main) parvenir à s’accaparer une lutte et la détourner à son profit. On peut aussi réussir une grande manifestation qui aboutisse à une défaite historique (il y a souvent beaucoup de monde aux enterrements). Alors tous ensembles le 12 septembre pour donner le ton d’une mobilisation générale dont la conduite par les syndicats peut seule assurer qu’elle aura la puissance suffisante pour faire reculer Macron.

 

  29 août 2017.

Là, exactement là où nous sommes, sur le foin rare d’une pelouse grillée. C’est là qu’il faut vivre, c’est là qu’il faut agir. Rien n’empêche les demains, rien n’empêche les ailleurs (sans eux, saurions-nous vraiment ce que nous sommes, saurions-nous vraiment où nous sommes ?) Quand même, c’est là, là où nous sommes, que ça se passe et que nous donnons rendez-vous.

 

  30 août 2017.

Elle dit je m’en remets pas. (Elle parle du décès de sa mère.) Elle dit les gens sont comme ils sont. Il faut de tout. Mais il y en a… Je sais de quoi je parle. Elle dit les gens, c’est pas parce qu’ils sont catholiques qu’ils n’ont rien à se reprocher… Elle dit c’est comme ça, il faut vivre avec son temps, mais c’était mieux avant… Enfin elle parle, la voisine, et c’est déjà ça. Parce qu’il y en a… vous voyez ce que je veux dire…

 

  31 août 2017.

Entendu ce matin à la radio, chez Augustin Trapenard, la singulière Jeanne Balibar : « Trembler, il ne faut pas dissimuler sa peur, son trouble ». Trembler, troubler… Ces paroles résonnent en moi. Char disait déjà « il faut trembler pour grandir ».  Moi qui ne supporte plus mes tremblements perpétuels, essentiels, je vais tenter de les apprivoiser d’une autre manière : désormais je ne tremble plus, je (me) trouble.

 

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