Le fabuleux destin de Christophe Lambo

« En politique, une absurdité n’est pas un obstacle. » (Napoléon Bonaparte)

 

Christophe Lambo (*) n’arrivait pas à se départir d’une bienheureuse euphorie. Marlène, son épouse, lui avait pourtant dit de ne pas trop forcer sur le champagne. Elle savait qu’à partir d’une certaine dose, son mari avait du mal à se contrôler. Mais depuis dimanche soir, second tour des élections régionales,  le premier secrétaire du parti socialiste nageait dans la satisfaction.

 Pourtant, la colère du pays, et particulièrement celle des électeurs traditionnels de la gauche s’était faite entendre : refus de vote, notamment au premier tour, score historique de l’extrême-droite, perte de la majorité des régions pour la gauche... La catastrophe annoncée était au rendez-vous. Mais ça, c’était la vision des électeurs lambda. Pour les stratèges socialistes, l’histoire se racontait autrement.

Christophe Lambo avait fait le bon choix en s’attelant à l’exécutif du pays. Le Président et son Premier ministre, quelle vision ! A cette pensée, il éprouva un petit pincement de jalousie. Vite dissipé. Pour tout le monde, Lambo faisait partie de l’attelage. Lambo savait qu’il n’était que la cinquième roue du carrosse. Mais les deux autres avaient encore besoin du parti. Et le parti, c’était Lambo. Alors autant donner le change, quitte à se mentir à soi-même.

Mais il était temps. Dans le salon attenant à son bureau, trois journalistes de la presse européenne s’impatientaient de recueillir les confidences du premier secrétaire du parti socialiste.

Christophe Lambo connaissait bien et appréciait le journaliste allemand et avait accordé une fois un entretien au journaliste espagnol. Mais il ignorait tout de la journaliste italienne, une nouvelle venue mais très prometteuse selon son attaché de presse. Quand il avait donné son accord pour cet entretien, il avait un moment fantasmé, l’imaginant sous les traits d’Ornella Muti... Le champagne encore...

Graziella était mieux qu’Ornella : très brune, des yeux verts pétillants de malice, elle portait avec élégance une tenue décontractée : la minijupe noire sur des leggings et le chemisier d’un tissu fait pour souligner la liberté des seins.

Le trouble ajouta au champagne,  il s’oublia dans l’entretien. Et peut-être pour la première fois de sa (longue) carrière politique il se fit sincère. Et poussa la sincérité jusqu’au cynisme. Aux oubliettes les circonvolutions oratoires, les précautions empathiques et les formules rodées : « j’ai entendu la colère », « je comprends les souffrances »...

Stimulé par la belle Italienne, il se montrait grand fauve de la politique, poussant ses pions sur l’échiquier de l’histoire, faiseur de destins...

« Aux élections européennes le Parti socialiste faisait 14%, aux élections départementales 21%, aux élections régionales il fait 23%. Le président de la République a fait un bond de 20 points sur sa capacité présidentielle. Ensuite, il y aura deux candidats de droite. Si Nicolas Sarkozy est désigné, il y aura un candidat du centre. Et si Alain Juppé est désigné, il y aura un candidat de la droite dure »...

 

Et les yeux plantés dans ceux de Graziella :

 

 

 

 « Le FN lui, devra clarifier sa position économique : soit continuer à s’adresser à la droite et pour cela il faut une politique économique dans le sens d’une orientation libérale du vieux Monsieur Le Pen, soit une position qui s’adresse à l’électorat de gauche que résume Florian Philippot ».

 

La journaliste insista : « Donc la stratégie pour faire réélire Monsieur Hollande, c’est la division de la droite ? »

 

La voix de Lambo se fit satisfaite. « Si je résume : La place du Président s’est réévaluée, la politique économique et sociale du Gouvernement doit réussir et la gauche doit se rassembler dans une situation où la droite va se diviser et l’extrême droite va choisir au-delà de sa xénophobie».

 

« La peur du FN ne suffira pas au premier tour de la présidentielle », fit remarquer le journaliste allemand.

 

Christophe Lambo redressa la tête. L’air inspiré, il dirigea son regard vers la fenêtre. L’hiver tardait à venir. Des nuages blancs, poussés par la dépression d’ouest, jouaient dans un azur pâle. Lambo se fit visionnaire.

 

«  Le Front national est là. Hier, la gauche vivait dans le confort du bipartisme c’est-à-dire : on se dispute au premier tour, mais on se rassemble au second. Ceci est devenu complètement artificiel. Plus personne n’y croit. Ni à la dispute du premier tour, ni au rassemblement du second. C’est devenu contreproductif puisque maintenant il y a un nouvel acteur, l’extrême droite, qui fait qu’on passe du bipartisme gauche-droite à un tripartisme avec la présence du Front National. Donc le problème n’est plus de se disputer au premier tour et de se rassembler au second, le problème c’est d’être présent au second. Le débat que nous ouvrons avec nos partenaires est de leur demander : Est-ce que vous voulez témoigner ou est-ce que vous voulez peser ? Nous, nous voulons peser sur les choix de la France et être présents au second tour. On ne vous attend pas, on avance, on crée l’alliance populaire, on dépasse les partis, on convoque tous ceux qui ont combattu le Front National à se rassembler avec nous. On veut défendre la République. Il y a partout des gens qui ne veulent pas que le FN passe. Donc on les organise ».

 

Lentement, les yeux de Christophe Lambo quittèrent la fenêtre pour dévisager les journalistes assis face à lui. Il voulait vérifier l’effet produit par son discours. Ce qu’il lut sur les traits de ses interlocuteurs lui déplut. De l’incrédulité, une pointe d’ironie dans les regards, particulièrement marquée dans les yeux verts de Graziella. Une légère bouffée de chaleur colora ses joues.

 

Son propos s’enflamma. « Nous, nous travaillons à la présence d’une gauche crédible et sociale au deuxième tour des élections présidentielles. On sait que les écologistes s’interrogent puisqu’une partie sera avec nous dans l’Alliance populaire. On sait que le Parti communiste ne le souhaite pas. On ne va pas attendre que toutes les forces de gauche soient prêtes pour avancer dans un document signé solennellement dans une grande salle. Nous commençons le rassemblement ».

 

Il reprit son souffle. « Il faut que le centre se détache de la droite. Pour le moment, il ne l’a pas fait. Il ne peut le faire que s’il y a une dynamique à gauche : moderne, européenne, écologique et sociale pour la République, si ce processus-là se construit, s’il est visible, s’il rassemble des gens qui dépassent le Parti socialiste, tel qu’il a été jusqu’à présent. »

 

Face à lui, les visages reflétaient comme de la sidération. Il s’enfonça. « On commence par le PS, on fait une alliance avec des citoyens et les partenaires les plus proches, on discute avec les écologistes voire les communistes, on s’ouvre aux centriste, aux républicains qui voudront venir. Nous voulons être le centre de gravité ! Construire un bloc républicain contre un bloc réactionnaire. C’est l’enjeu. »

 

L’entretien se poursuivait, s’essoufflant dans les conjonctures extravagantes du premier secrétaire. Il rebondit un peu sur une question de Graziella à propos de la déchéance de nationalité.

 

« Le président de la République voulait affirmer l’unité nationale face à l’agression de Daech en France et à l’assassinat de masse de nos compatriotes. Il l’a fait et les Français l’ont compris. Ils l’ont même plébiscité. Pour le faire, il fallait que toutes les idées qui étaient sur la table soient prises en compte ». Et de préciser : « Si la droite propose la déchéance de nationalité, vous ne pouvez pas répondre « Allez vous faire voir! Ce n’est pas une idée de gauche ! » »

 

L’entretien était terminé. Christophe Lambo serra la main des trois journalistes. Il garda la main de Graziella dans la sienne un peu plus longtemps et, la fixant dans les yeux.

_ Revoyons-nous, si vous voulez des détails... 

_ Volontiers, dit-elle d’un ton espiègle. A ce moment-là, vous me parlerez de la France et des Français.

 

 

(*) Bien entendu tout ceci n’est qu’une fiction. Je dois cependant à la vérité de préciser que les paroles figurant en italique sont, mots pour mots, des extraits d’un entretien de Jean-Christophe Cambadélis à la presse européenne le jeudi 17 décembre 2015, entretien que vous pouvez retrouver intégralement sur son blog. Si vous n’avez pas trop la nausée.

 

 

2 commentaires