Pour une stratégie communiste

« Il y a un autre monde, mais il est dans celui-ci. 

Honneur à tout ce qui devient » 

                                                                            Paul Éluard

 

Un rebond dans l’action ? C’est si j’en crois les documents adoptés par le CN du PCF, le credo des dirigeants communistes après les élections européennes et le très faible score enregistré par la liste du PCF.

« Le résultat de la liste présentée par le PCF n’a pas été à la hauteur des espérances qu’avait suscitées la campagne », indique la résolution du CN. Avant de remercier « Ian Brossat et ses colistier·e·s, ainsi que tous les communistes, pour la bataille dynamique menée » (ils le méritent largement). L’auraient mérité aussi les personnalités qui, sans être communistes, se sont pleinement et courageusement engagées dans cette campagne.

Et on tourne la page ! On a semé, les moissons viendront bientôt, avec « l’affirmation » du PCF après sa longue période « d’effacement »… Quelle blague ! En guise d’analyse, ça semble un peu court.

Quand on obtient un tel résultat, avec une tête de liste et une liste brillantes et reconnues comme telles, des soutiens prestigieux, une présence médiatique et sur les réseaux sociaux, une campagne de terrain visible, on devrait quand même se poser des questions. Et d’abord, sommes-nous encore reconnus comme utiles, comme servant à quelque chose ? Mais poser ces questions demande de travailler à des réponses. Ce qu’à mon sens le congrès n’a pas voulu entreprendre.

Analyse sommaire de nos propres résultats, analyse sommaire aussi sur l’évolution du paysage politique. Une gauche battue à plate couture, totalement incapable de représenter les mouvements sociaux et politiques pourtant à l’œuvre dans la société. Et ce pour toutes les forces politiques de gauche dispersées qui se sont présentées.

Une bipolarisation triomphante entre la droite plus ou moins centriste de Macron, « contre » une droite extrême en construction conquérante autour de Marine ou Marion Le Pen. Compte-tenu du mécontentement que suscite et ne manquera pas de susciter plus encore la politique de Macron, rien ne dit que le scénario d’un pays gouverné par l’extrême droite ne triomphera pas en 2022.

Quant au score des écologistes, il n’est en rien comparable à celui des élections européennes passées. Parce qu’il accompagne un très large mouvement de fond de la jeunesse pour la préservation du climat et s’y adosse. Mouvement qui ne se reconnait pas dans les forces de la gauche et pas du tout en tout cas dans le Parti communiste.

Il y a donc la gravité de la situation politique, extrême gravité qui mériterait au moins d’être soulignée. Comment conjurer ce scénario ? Voilà qui exigerait réflexion car tout ce qui a été tenté en ce sens à gauche a échoué.

La menace extrême-droite est d’autant plus préoccupante que depuis des mois, la société est bousculée par d’importants mouvements populaires au fort potentiel de transformation. Je pense aux gilets jaunes, mais aussi à « Me too », au mouvement des jeunes pour le climat, au fort mouvement dans la santé, les Ehpads, à ce mouvement d’accueil des migrants qui mobilise des dizaines de milliers de femmes et d’hommes solidaires dans une quasi clandestinité… Or, faute d’une intervention politique convaincante et à la hauteur, ces mouvements restent dispersés, démunis de perspectives politiques, et donc perméables à des dérives, qu’elles soient suscitées par l’extrême-droite ou par des écolos « macron compatibles » par exemple. Et ce manque d’intervention politique au niveau, peut détourner le potentiel transformateur de ces mouvements vers des postures très régressives. Énorme gâchis !

Or que propose  le Parti communiste ?

1) La construction « de grandes batailles politiques, massives et rassembleuses, pour arracher des victoires ». Sont citées la bataille sur la retraite, contre la privatisation d’ADP, le pouvoir d’achat, la défense du service public de santé, la défense de l’industrie, de l’école et, en fin, le défi climatique… 

2) « Le combat pour reconstruire une perspective à gauche », « la construction d’une grande union populaire ». J’avoue ne pas voir très bien, ni ce qui fait le neuf en la matière, ce qui est déjà un problème quand ce qui a été tenté a échoué, ni la cohérence et donc la crédibilité de notre appel. Nous disons vouloir « reconstruire à gauche » « Sans exclusives ni volonté hégémonique de quiconque. Pour et dans l’action et le débat. » Mais en même temps nous assurons qu’en 2022 et quoi qu’il arrive, le PCF aura son candidat, ce qui, forcément participe à la dispersion de la gauche. Je crois ne pas être le seul à mal comprendre comment cela peut se faire.

 

3) Enfin le troisième axe de nos propositions concerne le renforcement du PCF. « Mobilisation face à la régression sociale et démocratique, action en faveur d’un rassemblement conquérant, et renforcement de notre parti sont indissociables », affirme la résolution du CN.

 

Il est proposé pour ce faire : Un tour de France du monde du travail et des entreprises, la Fête de l’Huma « pour  améliorer l'image, la visibilité et le renforcement du PCF » et « commencer à installer le message que nous porterons à l’occasion du centenaire du PCF ». Je serai tenté de demander « Mais quel message pour le centenaire du PCF ? »

 

Je me permets de poser la question : où est le nouveau, quel niveau d’interrogations et de recherches, quel travail d’élaborations, quelles audaces dans les initiatives ?

En réalité, si je me demande quelle est la stratégie du PCF pour transformer la société, j’ai beau chercher, je ne trouve aucune réponse convaincante, ni dans les textes du congrès, ni dans « l’analyse » des résultats des européennes ou dans la résolution du CN.

 

Une stratégie pour le Parti communiste ?

Selon moi, un immense travail de réflexions, d’échanges, de recherches et d’expérimentations, doit être très rapidement engagé pour concevoir et élaborer une stratégie de transformation de la société, de dépassement et de sortie du capitalisme.

Les communistes semblent d’accord - et les textes adoptés par le congrès en attestent- pour affirmer que la pérennisation du système capitaliste représente un danger mortel pour la civilisation humaine et pour la planète, qu’il faut travailler au dépassement de ce système, et donc que la lutte pour une issue communiste est à l’ordre du jour.

Et il n’est pas difficile de s’entendre pour affirmer que toutes les stratégies communistes pour transformer la société dans ce sens ont échoué. La stratégie qui a été celle du PCF depuis des décennies a conduit à l’union de la gauche, ou à la gauche plurielle, ou au Front de gauche. Elle a échoué et jusqu’à présent, et encore maintenant, nous mettons, à peu de choses près, cet échec au seul compte de l’affaiblissement du PCF. 

Mais n’est-ce pas plutôt notre conception fondamentale du mouvement de transformation du monde qu’il faut interroger ? Quoique nous en disions, nous n’avons pas fondamentalement changé dans la conception d’une prise du pouvoir centralisée, pour appliquer un programme ou un projet travaillé du dehors des mouvements populaires et sociaux, d’une révolution par en haut « guidée » par le parti communiste. Et cette conception est, à mon sens, celle d’une vision faussée de ce qu’est le communisme, de ce qu’est être communiste.

Quelques intuitions

Je ne suis ni universitaire ni dirigeant du parti, mais un simple militant. Je n’ai aucune prétention, mais je souhaite livrer  quelques intuitions venues de lectures éparpillées et bien trop courtes et surtout de mon expérience militante. Et j’aimerais (j’allais dire je rêverais) que le Parti communiste mette d’urgence en débat des questions de fond qui devraient travailler chacune et chacun d’entre nous et être traitées collectivement. Pour moi, ce devrait être la tache de l’heure. Je livre en attendant quelques intuitions en vrac.

À propos du communisme

Je ne crois plus que le « communisme » soit un idéal, l’utopie d’une société idéale, ni un mode de production, surtout pas l’aboutissement du combat des communistes pour la transformation sociale. Je crois qu’il faut prendre très au sérieux ce qu’en disait Marx dans « l’Idéologie allemande » : « Le communisme n’est pour nous ni un état de choses qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler ; nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état de choses actuel ».

Cette définition livre tout à la fois la démarche matérialiste de Marx et sa démarche dialectique. Démarches auxquelles nous avons bien du mal à nous montrer fidèles.

Mais si je ne crois plus beaucoup à ce « communisme – État », et pas seulement parce qu’il a été dénaturé dans l’innommable, je crois par contre de plus en plus à la nécessité de « penser en communiste », « d’agir en communiste ». Je crois qu’il faut « être communiste ». Au fond je suis un communiste qui ne croit pas au « communisme » comme aboutissement, but ultime de son combat.

À propos de la démocratie

Je crois profondément que le vrai projet des communistes est la démocratie, la démocratie radicalement radicale, celle qui doit progressivement permettre aux individus de diriger leur vie, leur société et le monde, d’acquérir une maîtrise toujours élargie de leur propre destin, et de construire collectivement ainsi une civilisation humaine, leur véritable humanité 

Notre combat est celui de l’émancipation, pas seulement combat contre l’exploitation, mais combat contre l’aliénation, la perte d’identité humaine que produisent toutes les formes de dominations. Ce combat émancipateur doit affronter tous les défis, celui du travail contre l’exploitation capitaliste, celui du féminisme, celui de la préservation et la réparation de la nature et de la planète, celui des migrations, celui de la révolution numérique et informationnelle, de l’intelligence artificielle, de la bioéthique…

Ces combats émancipateurs, ont pour les communistes un mode d’emploi : cette démocratie que j’appelle radicalement radicale, qui consiste à élever sans cesse les consciences et les connaissances, à élargir sans cesse leurs pouvoirs pour que les individus et les peuples maîtrisent toujours mieux leurs vies et leurs destins.

La conquête des pouvoirs, dans l’entreprise comme dans les territoires, la conquête de l’État, sont des objectifs communistes à condition que tous ces pouvoirs soient conquis non pour être saisis en l’état mais pour être radicalement transformés. Pour qu’au lieu d’être des instruments de confiscations de la gestion de la vie sociale au profit des classes dominantes, ils deviennent progressivement et dans la lutte, des instruments d’auto-organisation, d’autogouvernement des travailleurs et des citoyens.

À propos d’une stratégie communiste

Le Parti communiste est en réalité prisonnier des conceptions anciennes de prise du pouvoir par en haut et d’une centralité aggravée par un économisme persistant. Ses efforts pour rénover ses  conceptions, très réels et visibles par exemple dans l’élaboration de son projet-programme « La France en commun », sont en permanence contredits par son expression quotidienne et sa pratique politique de terrain.

On peut dire qu’il a une stratégie pour se maintenir en vie et une stratégie pour un rassemblement électoral, deux stratégies contradictoires et perdantes et une illisibilité de plus en plus évidente. Mais il n’a pas de stratégie explicite et cohérente pour la transformation de la société. 

C’est pourtant cette question qui est à l’ordre du jour, non que nous soyons dans une situation révolutionnaire, mais parce que le dépassement et la sortie du capitalisme sont désormais la question vitale pour la survie de la planète et la marche en avant de la civilisation humaine.

Il faut aujourd’hui considérer que le projet politique de transformation de la société et de sortie du capitalisme ne peut se concevoir en dehors des mobilisations sociales et politiques actuelles, de la colère et des aspirations qu’elles expriment. Une stratégie communiste d’aujourd’hui serait de faire de chacune de ces luttes, de chacun de ces mouvements, de toutes les initiatives solidaires et de mises en commun, un projet politique d’émancipation et de transformation. Un projet politique qui change immédiatement la vie des travailleurs et des citoyens qui y participent, surtout s’ils sont victorieux mais aussi dans la mobilisation elle-même (les gilets jaune témoignent que leur vie, leurs conceptions, ont changé dans la lutte). Et un projet qui permet une agrégation progressive dans le projet politique plus global de dépassement du capitalisme.

Cette stratégie politique suppose de s’engager, sans attendre la prise de pouvoir qui soi-disant permettrait un changement politique global, dans les mouvements sociaux, solidaires et citoyens, avec pour ambition d’élever le niveau d’intelligence et la conscience que ces mouvements appellent des transformations politiques radicales. Il s’agit donc d’engager, de l’intérieur de ces mouvements, la lutte des idées, culturelle et politique.

À propos du Parti communiste

À l’évidence cette stratégie implique une qualité d’intervention et une présence militante qui dépasse, et de loin, les capacités actuelles du seul parti communiste français. Qui plus est, par sa structuration, sa culture, même s’il a beaucoup changé de ce point de vue, le PCF ne serait pas l’outil efficace d’une telle stratégie adossée à des luttes multiformes.

C’est pourquoi je pense que le parti communiste doit être à l’initiative de la constitution d’une nouvelle force politique de transformation de la société, qu’il doit en appeler à sa création, et s’attaquer à sa construction avec patience et persévérance, ouverture et audace. Car cette construction ne peut pas être le résultat d’un accord entre différentes forces politiques, elle doit être conçue comme la voix, le creuset, la convergence, l’intelligence en commun des colères sociales et des mobilisations, des mouvements sociaux et citoyens. 

À l’initiative de la création de cette nouvelle force politique, je crois que les communistes gagneront une influence et une autorité considérables. Ils ne l’utiliseront pas pour constituer, au sein de la nouvelle force politique, une tendance ou une fraction avancée, mais pour former le courant ouvert de l’expérience militante, de la générosité combative, de l’exigence démocratique et de l’intelligence du monde. 

Tout est à repenser, tout est à refaire, un immense chantier intellectuel, d’expérimentations concrètes, d’initiatives politiques et culturelles est à ouvrir. 

Cet appel à la création d’une nouvelle force politique de transformation serait le beau message à délivrer pour le centenaire du PCF. 

« À chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir »
                                                                                                                                          René Char
 

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