Mes pensées de mars 2020

1er mars

Désolé. Je suis heureux dans la fraternité des luttes, comme beaucoup. 

Mais le pays ainsi défiguré, le peuple tant bafoué, qu’avons-nous fait pour l’empêcher ?

Ces gens qui, puissants, font tant de mal à tous les autres, ça passe aussi par nous, ça passe aussi par moi.

 

2 mars

Drôle de campagne pour les candidats aux municipales. Poignées de mains interdites, interdit de postillonner, de se cracher dessus, éternuements dans le coude (comment en garder dessous dans ces conditions) et réunions bientôt interdites. Manque plus que l’obligation pour les candidats de porter un masque… Enfin, ça, pour ceux du parti du président, c’est fait. Et bien avant l’épidémie !

 

3 mars

Je ne sais pas ce si c’est moi qui en veux à la vie ou si c’est la vie qui m’en veut. En tout cas, ce soir, ça ne se passe pas très bien entre nous. Tout ça parce qu’elle, (je ne parle plus de la vie) était si malade qu’elle a passé sa journée au lit. Ça ne lui ressemble pas et je n’aime pas du tout ça.

 

4 mars

Je le sais bien, je le répète sans arrêt. On me dit que je suis de parti pris, mais non ! Non je le dis, je le redis et le redirai encore ! Non, je vous l’assure, la réputation de la Bretagne est totalement infondée. Injuste et injustifiée. Et je n’en démordrai pas. Mais là, vraiment, le vent, la pluie et les tempêtes… j’en ai assez, plus qu’assez !

 

5 mars

Psychose. Les parents de Timothée ont été appelés ce matin par l’école : Timothée avait de la fièvre. Pas une grosse fièvre, leur a-t-on expliqué, un petit 38. Mais comme Timothée avait écrit une carte postale à sa maîtresse pendant les vacances, l’école savait que notre petit-fils avait passé ses vacances chez nous, dans le Morbihan. Le Morbihan ? Un territoire ravagé par le Covid 19 ! En gros le message : vous venez chercher Timothée, et il ne sera accepté à l’école qu’avec un certificat du médecin sinon, on est obligé de fermer l’école. Bon les parents de Timothée vont le chercher à l’école mais comment faire pour obtenir un certificat médical ? Une seule solution : Le Samu. Donc ils appellent le Samu, on leur demande comment se sent l’enfant, les parents décrivent et le Samu dit : allez chez votre médecin. Ils vont chez le médecin : Timothée à une petite sinusite. Même moi je ne me serais pas inquiété ! Bon je veux bien les précautions, ok. Mais à ce point… 

Je suis finalement content que Timothée n’ai pas attrapé le coronavirus. Mais il y a un peu de regret quand même : si Timothée est infecté, c’est que c’est moi qui lui ai refilé le virus vu que quand il est chez moi, il n’y a que moi qui compte. Ça voudrait dire que le patient zéro, c’est moi. Être le patient zéro, zéro, zéro, ça aurait de la gueule !

 

6 mars

Une maison à vider. Elle y a plus de souvenir que moi. Moi je voudrais jeter plus qu’il ne faut et elle voudrait garder plus qu’il ne faut. Elle est plus raisonnable que moi en général. Alors je lui donne raison. Elle gagne presque toujours et je ne perds jamais. Et les rares fois où je gagne, j’essaie de m’arranger pour qu’elle n’y perde rien. J’essaie. Sachant que je n’y arriverai pas toujours, je préfère quand c’est elle qui gagne.

 

7 mars

Je continue le tri des souvenirs et tombe sur des feuillets écrits lors d’un atelier d’écriture. C’était en 1999 à La Trinité, ville de la banlieue niçoise. Parmi les feuillets que j’ai retrouvés :

« Je vais mettre du nord 

Du grand nord. Pas un peu, pas juste un peu de nord

Je vais retourner d’où je viens 

Je veux mettre du pâle dans mon bleu. 

Ce sera un exil où la terre sait accueillir

J’aurai un grand manteau de pluie 

(Nous marcherons sur des arcs-en-ciel pavés).

Il fera froid. Mais moins que les silences... »

Après cela, j’ai mis du nord. Et puis après, j’ai mis de l’ouest dans mon nord.

 

8 mars

« Nous devons à présent nous glisser par les brèches dans la muraille, les ouvertures oubliées ; nous devons marcher sur la pointe des pieds et tendre l’oreille, pas le jour mais le soir, quand la lune donne de l’ombre à notre histoire, quand les étoiles se ramassent dans un coin du ciel et observent le monde qui s’assoupit. » Cette phrase extraite de « L’enfant de sable » de Tahar Ben Jelloun, je l’avais écrite en 1997, dans un cahier où je transcrivais des notes de réunions politiques. Et j’avais écrit à côté : « Peut-être que si nous faisons ça, nous arriverons de nouveau à quelque chose. »

 

9 mars

Cette nuit m’est venue une pensée si forte qu’elle m’a réveillé. Je me suis dit que bien que ce soit la nuit, ça pourrait faire une belle pensée du jour. Du 9 mars par exemple. Alors je l’ai tournée et retournée dans ma tête pendant une heure au moins, je l’ai triturée, raturée, tourneboulée dans ma tête jusqu’à ce qu’elle soit exactement comme je voulais. Et à un moment, je me suis dit : « ça y est, tu la tiens ! » Et j’étais tellement heureux et fier de moi que je me suis endormi. Ce matin, dès le levé, je me suis précipité dans mon bureau, j’ai allumé mon ordinateur avec l’intention d’écrire cette pensée dont j’étais si fier. Et c’est là que je me suis aperçu que je ne me souvenais absolument pas de ce que j’avais pensé cette nuit. C’est un peu ballot !

 

10 mars

Bon ça n’a pas manqué ! Pendant qu’on trie les souvenirs franciliens, coup de téléphone : Timothée malade, une angine blanche dit le toubib (quand elle est blanche, l’angine, ça fait drôlement peur !). Les parents ne peuvent le garder, Mamie dit je m’en charge. Timothée malade, fièvre, mal de gorge, mal à la tête, il est un peu chagrin. Alors il pleure, et son papy lui montre son empathie, tente de le consoler, pleure un peu avec lui... et le petit chagrin devient cathédrale. Alors mamy arrive, tend la main à Timothée en lui disant : « viens, on va faire un coloriage ». Et le temps de parcourir le mètre cinquante qui sépare Timothée de ses crayons de couleur, les pleurs de Timothée sont devenus des rires. Et moi je me pose la question : « Les papys des bébés sont nuls ou c’est seulement moi ? »

 

11 mars

Retour en Bretagne aujourd’hui. Calme exceptionnel à la Gare Montparnasse et un train quasi vide vers Vannes. 7 personnes en tout et pour tout dans mon wagon et pas plus dans les autres de ce que j’ai pu voir. Très inhabituel ! Je me suis fait l’effet d’un joueur du PSG ce soir au Parc des Prince vide. Tiens, tant qu’à faire, Mbappé, pourquoi pas ? Ne pas s’inquiéter : ce délire ne doit rien à la fièvre.

 

12 mars

Ma pensée de ce jour rejoint un peu celle de notre président. « Il faudra demain tirer les leçons de la crise que nous traversons, interroger le modèle de développement (le capitalisme ?) dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de notre démocratie. Ce que révèle déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite, sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État providence, ne sont pas des coûts et des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe (vive la Sécu, vive Croizat !). Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre protection, notre alimentation, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond, à d’autres, est une folie ! (Services publics, nationalisations ?) Nous devons en reprendre le contrôle (…). Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiterons des décisions de rupture (révolution ?) en ce sens, je les assumerai. » Bon j’ai placé quelques-unes de mes réflexions entre parenthèse, il est bon de mettre parfois les points sur les « i ». N’empêche, ce discours, il faudra le lui rappeler, plus tard, quand cette crise sera derrière nous.

 

13 mars

« On apprend au milieu des fléaux, qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser ». Je crois qu’Albert Camus a raison. Mais ce serait bien, en ces moments, de le vérifier.

 

14 mars

Face à la pandémie, entre les attitudes paniques et les attitudes bravaches, aussi dangereuses les unes que les autres, le chemin de la retenue responsable est certes difficile, mais quand même le plus intelligent et j’espère, heureusement, le mieux partagé.

 

15 mars

C’est un fait, je n’en tire pas gloire car je crois ce sentiment très partagé : je n’aime pas subir. Et quand je suis obligé de subir, comme c’est le cas aujourd’hui avec les consignes raisonnables de confinement, je me sens aussitôt obligé d’anticiper. Ce que mon intuition devine, c’est du malheur pour le pays. Pour le nombre de malades et de morts sans doute, mais aussi pour les millions de vies chambardées, précarisées, déchirées dans les justes efforts qui nous sont demandés pour vaincre la pandémie. Dans les mois, les années qui viennent, le pays va basculer dans autre chose. Ça peut être le pire, des souffrances accrues par un système qui par effet d’aubaine, étend sa domination barbare et se sauve. Ça peut être aussi autre chose, que nous savons sans doute nommer, mais dont nous ne savons absolument pas comment on peut la faire advenir. Parce que c’est inédit, extraordinaire sans doute. Mais aussi parce que nous n’avons pas assez commencé à le penser.

 

16 mars

Nouvelles du front. Confiné avec elle, ce n’est pas punition. Presque même un cadeau. Nous inventerons des jeux nouveaux. Et nous ferons chaque jour un petit tour à la cale du Moustoir, voir un peu comment la mer se tient en période de crise sanitaire. Mais je pense à tous les solitaires, à tous les isolés, aux couples déchirés, qu'il faut épauler de loin et à qui il faut souhaiter courage…

 

17 mars

Nouvelles du front. Premier jour de confinement. Elle a inventé un nouveau jeu : essayer de me faire jardiner de bon cœur. Elle a perdu. Ensuite nous sommes allés voir la mer sur la cale du Moustoir. Lisse comme un miroir sous le soleil, la mer ! Comme si elle ne voulait pas faire de vagues… L’heure est à la discipline. Confinée je vous dis !

 

18 mars

Nouvelles du front. Aujourd’hui c’était calme, l’ennemi ne s’est pas montré mais nous sommes restés soigneusement calfeutrés, à l’abri. Elle a gagné, il faut bien de temps en temps, j’ai jardiné avec le sourire. Nous avons renoncé pour cette fois à la promenade jusqu’à la cale. Je pense que la mer était là et qu’elle supporte tout ça. Mais avec des hauts et des bas.

 

19 mars

Nouvelles du front. Toujours calme, l’ennemi est tenu à distance. Je fais mes courses alimentaires à vélo, d’où exercice, et je ne sais pas si l’autorisation est donné de faire des exercices physiques pendant les courses alimentaires et réciproquement. En tout cas le préfet du Morbihan a décrété l’interdiction des plages et des chemins côtiers, donc je ne suis pas capable de vous donner des nouvelles de la mer. Peut-être que les autorités veulent la confiner, elle aussi. Je doute qu’elle se laisse faire. Imaginez qu’elle soit obligée de remplir un formulaire de laissez-passer chaque fois qu’elle monte et qu’elle descend ! J’ai taillé le chêne du jardin. Puis le travail bien engagé, je me suis mis devant l’ordinateur pour vous raconter mes calembredaines. J’ai senti une petite bête qui montait sous mon t-shirt. C’était une coccinelle, vraiment très petite et très sympa. On a parlé un moment elle et moi, puis j’ai ouvert la fenêtre et elle s’est envolée. D’après l’Autorité, il n’y a aucune raison de confiner les coccinelles.

 

20 mars

Nouvelles du front. Nous nous sommes un peu plus retranchés aujourd’hui. Pas de courses, pas de vélo, du jardinage (un tout petit peu) et quand même une petite promenade. Sans aller sur le sentier côtier interdit par l’Autorité, nous avons voulu voir la mer, même de loin.  Elle était là et m’’a chargé de vous dire qu’elle n’allait pas trop mal, dans les circonstances. Néanmoins elle regrette que ces temps-ci, elle n’ait plus de masque. Ni de tuba non plus d’ailleurs. À l’heure de la sieste, une voiture de la police municipale, munie d’un haut-parleur est passée dans le quartier. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait de l’annonce d’un spectacle de cirque. Genre : « Ce soir à 20 h à Arradon, grand spectacle du cirque Macron, ses illusionnistes et  ses animaux dressés… » Non, en fait le haut-parleur crachouillait un peu, je n’ai pas bien compris le message sauf : « Nous vous rappelons qu’il est interdit… » Le reste était inaudible mais ça ne fait rien, ça ajoute un peu à l’inquiétude. J’oubliais : pendant la promenade, les champs de Mané Habus étaient parcourus de petits lapins insouciants et irresponsables, dont la concentration représente sans doute un danger potentiel, « pour eux mais aussi pour les autres », comme ne cesse de le répéter l’Autorité. Malheureusement, aucun gendarme ni policier en vue pour verbaliser ce manque criant de civisme.

 

21 mars

Nouvelles du front. Ce matin j’ai ouvert les volets précautionneusement, mais je n’ai reçu ni bombe ni tir de snipper. Sommes-nous toujours en guerre ? Oui me dit France Inter, alors… Donc, muni de mon laissez-passer en bon uniforme, je me suis rendu au supermarché. Il faisait frisquet et elle m’avait donné une liste longue comme un jour sans pain, j’ai donc pris la voiture. Devant l’entrée, une queue de soldats disciplinés s’était formée. On ne laisse entrer les clients que 15 par 15. Puis le vigile nous a dit sur le ton martial que requiert la situation : « Entrez, messieurs-dames, mais respectez les consignes de distanciation sociale ». Je me suis retourné pour voir les gens autour de moi. Personne ne semblait présenter de distanciation sociale avec moi. On avait, toutes et tous, l’air de gens de la classe moyenne pas trop supérieure. Aucune distanciation sociale donc, fallait-il s’en inquiéter ? J’ai jugé que non et j’ai fait les courses sans obstacle particulier. De retour à la maison je me suis fait expliquer le truc de la distanciation sociale. « Ça veut dire qu’il faut garder ses distances », m’a-t-elle dit un peu ironique. « Donc lui dis-je, si je te fais un baiser sur la bouche, je ne respecte pas la distanciation sociale ? » « Voilà ! » me dit-elle. « Alors lui dis-je (car je voulais avoir le dernier mot) pourquoi le vigile n’a-t-il  pas dit simplement : entrez messieurs mesdames, mais ne vous embrassez pas sur la bouche ? » 

 

22 mars

Nouvelles du front. Il fait froid sur la Bretagne avec un vent d’Est auquel les mésanges du jardin ne sont pas habituées. Elles ont un peu dédaigné les graines dont je garnis leur mangeoire, même en période confinée. Cela ne m’a pas empêché d’aller en vélo, muni de l’autorisation à présenter à l’Autorité si elle se manifeste, pour acheter du pain à la boulangerie du bourg. Sur la place, à ma grande surprise, il y avait l’ostréiculteur qui vendait ses huîtres élevées et récoltées dans le Golfe du Morbihan. Je me suis alors posé deux questions. Premièrement  les huîtres doivent-elles obéir à la consigne générale de confinement. Il me semble que, coquille fermée, elles sont assez confinées comme ça. Deuxièmement acheter des huîtres, est-ce un produit de première nécessité ? N’est-ce pas prendre à la légère les consignes strictes, en un mot, peut-on manger des huîtres en temps de guerre ? Je m’y perds un peu dans les injonctions contradictoires de l’Autorité, alors je me fie à mon élan naturel : ce soir, ce sera huîtres pour elle et moi ! Par contre, elle a cuisiné une tarte au citron, une tuerie ! Et ça, ça ne peut pas passer en période de confinement. Donc ne le dites à personne et je ne partagerai pas avec vous.

 

23 mars

Nouvelles du front. Petite promenade cet après-midi avec elle, munis de nos laissez-passer réglementaires. Un peu comme un repos du guerrier. Car pour le reste, nous avons fait front avec courage… en restant confinés. Les nouvelles du monde nous parviennent par voie numérique, elles ne sont pas bonnes. Les victimes, parfois, cessent d’être de simples chiffres dans un communiqué officiel. Elles prennent le visage, la voix, la silhouette d’un être qui compte et dont l’intelligence va terriblement manquer. Désormais, il va nous falloir encore lire, réfléchir, travailler avec Lucien Sève… et sans lui. Pas trop l’envie d’en dire plus aujourd’hui.

 

24 mars

Nouvelles du front. Nous n’entendons pas encore le bruit des canonnades, juste le chant lancinant des tourterelles. Notez que je préfère, même si j’ai envie de dire à Monsieur tourterelle qu’il devrait répondre plus rapidement à l’appel de Madame tourterelle qui lui chante sur tous les tons : « Allons viens, ne sois pas si timide ! » En langage tourterelle, « Allons viens, ne sois pas si timide » se dit « rrrrrourrrrou - rou » et quand ça se répète cent quinze fois dans la journée, ça finit par être franchement horripilant. C’est un des inconvénients du confinement à la campagne. Dans les cités populaires de nos banlieues surpeuplées, « allons viens ne sois pas si timide » se dit « Ziva gosse beau, j’te marave la chetron si tu dinra pas safi ». Toi t’es vénère, alors tu réponds « Nawak » et ça finit pas bien. Tout compte fait, vaut mieux être confiné à la campagne.

 

25 mars

Nouvelles du front. Rien ne vient troubler le « rrrrourrrrou-rou » de Madame tourterelle et monsieur tourterelle semble toujours aussi dur à la détente (voir l’épisode précédent). Hier, l’Autorité nous en a redonné pour 4 semaines supplémentaires. D’un certain côté, je me demande si ça ne ferait pas le bonheur de mes frères procrastineurs. Par exemple, ce matin, elle m’a demandé : « si on nettoyait les vitres de la véranda ? » J’ai répondu : « c’est une bonne idée pour le programme de demain, il faut en garder sous le coude pour les 4 semaines à venir et peut-être plus. » Elle m’a dit : « on trouvera bien d’autres choses à faire ». Elle l’a dit sur un ton qui m’a fait ravaler toute idée de procrastiner. J’ai quand même tenté un « ne faisons qu’un côté alors ». Et ça a marché. Tout espoir d’une procrastination confinée n’est pas perdu.

 

26 mars

Nouvelles du front. Bientôt la Bérézina ? Sous la bise glacée, les ardeurs refroidissent. Je crains pour le moral des armées confinées… Au moins, ça a refroidi aussi un peu les ardeurs tourterelles (voir les épisodes précédents). Bientôt 15 jours que le pays est en guerre et l’Autorité vient tout juste d’en appeler à l’armée. Elle aurait pu y penser avant ! En dehors de mon confinement, je me demande ce que je peux bien faire contre l’Ennemi. J’ai lancé un atelier d’écriture confiné. Je soutiens la fabrication de masque en tissus qu’elle a lancé pour les Ehpads locaux. Elle m’en a même confectionné un très joli, pour moi, en tissus imprimé avec tout un tas de belles couleurs vives. Il est très seyant, très élégant, mais je le garde pour plus tard. Je le porterai quand tout ça sera fini, après le confinement, qu’on me voit un peu…

 

27 mars

Nouvelles du front. Ciel lumineux ce matin sur les tranchées. Ça s’active au jardin. Les mésanges s’occupent du nichoir et se préparent à accueillir les fruits de leurs ébats. Mes pensées, elles, renâclent à leurs galipettes printanières habituelles. Elles boudent l’herbe tendre des pelouses et déclinent même les chemins interdits dans lesquels elles se perdent souvent aux beaux jours. Privées du spectacle des corsages entrouverts et des cuisses dévoilées, les bouffées du désir sont un peu souffreteuses.  Nos veines confinées gardent tout leur sang-froid. À quoi sert le printemps quand il bourgeonne sans nous ?

 

28 mars

Nouvelles du Front. Je ne regrette pas l’absence des canonnades, le sifflement des balles et des obus. Mais ce silence, à la fin, c’est quand même un peu stressant. Tristesse… L’ami Jean-Charles… Quand même, c’est fou ce qu’il avait comme amis… Ça devrait être interdit de mourir quand on en a autant d’amis… Moi, je me souviens cette délégation de la direction de la JC à Cuba en décembre 1976 pour préparer le festival mondial de la jeunesse. Il y avait Michèle, Jean-Charles, Jean-Michel, Roland et moi… Plus tard j’ai succédé à Jean-Charles à la tête de la JC des Alpes-Maritimes… Et plein de trucs après… Sa prévenance, son intelligence, sa bienveillance m’ont fait grandir… Je devine le chagrin de Marie-George, de Patrice, de Pierre avec qui il a livré tant de combats majuscules. Et bien sûr la peine de sa famille.

 

29 mars

Nouvelles du front. Le vent souffle en tempête et il est du nord-est, cet imbécile ! Les arbres ne savent plus où donner de la courbure ! Et ce froid glacial dès qu’on sort ! Ah que deviennent nos belles dépressions Atlantiques, celles qui nous apportent pluies et douceurs… Bon, donc on est confiné pour de bon, pas question de sortir. Avec de beaux accents de sincérité, je lui ai dit: « impossible de jardiner aujourd’hui, ce ne serait pas prudent ». Elle m’a répondu: « Ben oui, mon pauvre, te voilà privé de jardinage… » Je crois qu’elle se moquait un peu de moi. Alors je lui ai dit : « Tu m’aimes quand même » et elle a répondu « un tout petit peu ». Notre amour traversera-t-il l’épreuve ? À part ça je commence à me poser des questions sur une expression très à la mode dans les textes et réflexions progressistes : « le jour d’après ». Je crains qu’elle ne contienne une énorme part d’illusion. « Le jour d’après », le capitalisme sera encore là, et peut être plus antisocial, plus anti écologique et productiviste, plus féroce et barbare que jamais, voulant faire payer aux travailleurs, aux peuples le prix de la catastrophe économique, sous le couvert d’un « effort national indispensable », la recherche d’un consensus de crise et les armes dictatoriales bien aiguisée de l’état d’urgence. Désolé, le Covid 19 n’a et n’aura pas fait le travail urgent qui incombe aux révolutionnaires, aux progressistes, aux écologistes… : penser le monde d’après et surtout les moyens, la stratégie pour le faire advenir.

 

30 mars

Nouvelles du front. Persistance du vent glacial. Le confinement s’impose, pas question de jardinage ou de promenade. Le frigo et les placards sont pleins, vraiment je ne me plains pas. J’essaie de penser un peu. Mais mon esprit part dans toutes les directions sans que je puisse choisir où le poser. Sur le chêne que je viens de tailler ? Sur la mer que je devine secouée par le nordet ? Sur la tête de mes petits-enfants, si proches et si loin, si aimants et si indifférents (je les ai tous rangés dans un même sac de tendre duvet) ? Sur ce qui m’aide à penser demain ? Demain, je l’avoue, m’est un vertige. Je me réfugie dans les livres. Mais j’ai bien trop de lacunes, et les livres que j’ai lus sont trop légers quand ceux que j’aurais dû lire pèsent des tonnes. Et il se fait maintenant bien tard.

 

31 mars

Nouvelles du front. Que voulez-vous que je dise de neuf ? Le vent souffle moins fort mais tout aussi froid. Je me suis levé exceptionnellement tard ce matin, comme si quelqu’un que je ne connais pas me soufflait à l’oreille qu’en se levant à 9h30, le temps passerait plus vite… En fait pas du tout. Tu te lèves tard, tu traînes, tu étires les minutes, du coup, tu t’emmerdes à cent sous de l’heure ! Le mois de mars est passé, ouf, mais avril risque bien de lui ressembler. Je n’ai pas envie d’y penser. Mais il me vient une idée : je décide de ne rien faire. Mais comme je suis un procrastineur impénitent, je repousse « ne rien faire » à demain. Du coup, je me mets devant l’ordinateur et je raconte mes âneries ! Entre autre !

 

5 commentaires