Je dis pour être démenti

« Chaque pas que je fais encore

                                                      Ouvre en moi une déchirure »    Volker Braun

 

Frères et sœurs de tant de combats, je vous demande la permission de me retirer un moment, je n’assisterai plus à nos réunions (certain qu’elles n’y perdront rien). Et je dirai moins souvent « nous ».

Je ne déserte pas, je demande, pour moi une pause, juste une pause. Comme vous, je suis « une créature de réunions » mais il faut parfois savoir passer son chemin. Je confesse l’illogisme et l’égoïsme (quelques juges peut-être, diront « la lâcheté ») qui me font délaisser les terrains nécessaires, en espérant que ce ne soit que pour un temps.

Je me sens trop seul parmi vous, mes proches. Et seul contre tous ou en tout cas contre beaucoup, jamais je n’ai eu raison. C’est mal penser que dire « cette fois-ci peut-être », et pourtant… (Du coup, la modestie en souffre.)

Je dis donc pour être démenti :

  • Que nous sommes vivants encore d’avoir su être différents des semblables qui nous ont précédés et que nous sommes morts mille fois de désirer uniquement ce qu’ils ont eux-mêmes poursuivi.
  • Qu’on ne peut être que de son temps, à guetter les portes qui s’ouvrent par où s’engouffrent les tumultes contemporains. 
  • Que les temps n’attendent pas, n’offrent aucun répit, et que c’est aujourd’hui qu’il faut répondre aux questions d’aujourd’hui. Aujourd’hui tels que nous sommes, vigueurs et faiblesses. Sans attendre le miracle d’une jeunesse recouvrée (avec son énergie chimérique), nous devons ouvrir, toujours ouvrir de l’espace. 
  • Que l’initiative est plus prometteuse, plus dense, plus opérante que le plus pur projet…

J’ai dit souvent que nous avions un problème de démocratie. De conviction démocratique. De réflexe démocratique. De culture démocratique. Nous avons le grand tort de confiner la démocratie à la marge des enjeux de notre siècle et de notre lutte. Il ne s’agit pas que de nous, c’est dans l’air du temps parce que les puissants ne croient plus que la démocratie soit un bon moyen d’anesthésier le peuple. Et sur ce point, ils ont raison. Même « leur » démocratie, toute rabougrie qu’elle soit, met en péril leur autorité. Et, lorsque de ronds-points on a fait des forums, quand l’irruption populaire appelle et impose la grande marée de la délibération générale, quand l’ordre bousculé se débat pour tenter d’endiguer le flot, au lieu de jeter ce qu’il nous reste de forces dans la bataille pour submerger l’adversaire, nous commentons doctement. Ou nous parlons d’autre chose. 

Des choses sérieuses comme… notre jeunesse à retrouver. 

Nos proclamations ne servent à rien !

Nous proclamons un monde nouveau au lieu de changer le nôtre, et de cela nous allons périr. Sans doute même bien avant notre mort.

 

6 commentaires