Mes pensées quotidiennes du mois de novembre 2017

  1er novembre 2017.

Timothée pour ses deux ans construit une tour de cubes plus haute que tous les rêves. Il y accroche un lion rugissant, une tortue et un « T » pour signer Timothée. Il me tend la main et je monte avec lui au plus haut de la tour et de là-haut, je vois un océan gris et un cachalot qui fait du pédalo.  Je lui montre. Il me demande « quoi c’est ? ». Je lui réponds « c’est la vie et c’est bien ».

 

  2 novembre 2017.

Quand Timothée lève le doigt au ciel, c’est l’idiot qui regarde la lune. Moi, je regarde le doigt de Timothée. Le doigt levé, Timothée dit « ‘tention ». Alors je fais attention car forcément il va se passer quelque chose. Et Timothée amorce son petit sourire coquin et me regarde par en-dessous.  Il veut dire « je t’ai bien eu, papy, il ne va rien se passer. C’est à moi qu’il faut faire attention. » « ‘Tention ! »

 

  3 novembre 2017.

Comme tous les petits garçons de mon âge, petit, l’idée d’être pompier m’a effleuré. Comme un peu moins de garçon de mon âge, vers les 5 ans, je rêvais de livrer le lait le matin avec mon avion. Je concède que c’est une idée étrange mais c’était la mienne, à 5 ans. Aujourd’hui, devant leur ordinateur, les enfants rêvent d’agrandir leur ferme en achetant du terrain et du bétail, de faire prospérer leur magasin en employant le maximum de salarié avec un minimum d’argent, de « manager » une équipe de football. C’est beau comme un rêve de gosse !

 

  4 novembre 2017.

Pendant que j’écris, une seule chose me relie au monde des vivants : le tapotis des gouttes de pluie sur la vitre du Velux de mon bureau. Le monde est devenu un roulement de tambour, tantôt furieux, tantôt doux mais lancinant. Et je me demande quelle place l’humanité peut-elle trouvée dans un roulement de tambour.

 

  5 novembre 2017.

Ce soir, le ciel s’est reflété sur une mer d’aquarelle, avec des échéances de gris et du rose et du bleu. Le soleil ne perce plus le feuillage et il annonce le terme. L’achèvement enveloppe de sombre le souvenir du jour. Et je suis loin d’avoir fini.

 

  6 novembre 2017.

Cette nuit au retour de Lorient, la lune m’a servi de phare. Elle bombait avec fierté un ventre rond qui s’apprêtait à accoucher d’un rêve. Le trajet m’est apparu moins long.

 

  7 novembre 2017.

J’ai discuté avec la pluie. (Je crains qu’ici et ces temps-ci, la pluie soit une interlocutrice fidèle). Je lui demande ce qu’elle pense de la révolution. Elle me dit que c’est une étrange question posée à la pluie. « Tu devrais poser la question au soleil, me dit-elle. Il est plus féru que moi en la matière. » Je lui dis que pour ce qui est du soleil, je connais déjà sa réponse. « D’abord, avec toutes les planètes qui lui tournent autour, les révolutions lui donnent le vertige. Et puis de toute façon, le soleil n’aime pas les grands soirs. »

 

  8 novembre 2017.

L’océan s’est retiré, loin, très loin des rivages d’habitude qu’il fréquentait jadis. Il ne veut pas qu’on le reconnaisse, ni même qu’on le remarque. Il n’a laissé aucune trace dans la vase immobile. Les aigrettes, les goélands ont déserté l’estran, ils planent en guettant de haut l’improbable retour d’un flot découragé.

 

  9 novembre 2017.

Quand l’océan se retire, reste la vase minérale sur laquelle des goélands errent perdus à la recherche d’une pitance peu glorieuse. Que reste-t-il quand la civilisation se retire ? Des hommes et des femmes qui errent dans un monde absurde, à la recherche d’eux-mêmes et d’un avenir sans soleil.

 

  10 novembre 2017.

« Tu rêves ! » Combien de fois m’a-t-on sorti cela. Et sur un ton de reproche encore ! Désormais, je ne rêve plus. Jamais plus ! Enfin éveillé aux réalités palpables, je vois les défilés joyeux des colères populaires, femmes et hommes enlacés dans des désirs communs, prenant la parole à pleines mains ouvertes et écrivant l’avenir, exactement à leurs couleurs.

 

  11 novembre 2017.

Ici, on parle héros, victoire, sacrifices, grandeur, courage… La guerre est « grande ». Elle forge les hommes et les nations….

Moi je n’oublie pas sang, douleurs, blessures, massacre, larmes, terreur, boue, souffrances, haine, ignominies… La guerre est une « connerie monstrueuse ». Elle retarde l’humanité.

 

  12 novembre 2017.

Dans l’ouverture carrée du Velux défilent des nuages en forme de rien du tout et ça me fait penser à certains aspects de ma vie qui ressemblent à ça. Mais quand même, c’est beau.

 

  13 novembre 2017.

Le ciel était clair au départ de Vannes ce midi. Et, idiot que je suis, j’ai méprisé l’azur pour monter dans un TGV sale vers Paris l’enfumé. Paris-Montparnasse, l’assaut agressif des vendeurs de journaux SDF au bas de l’escalier mécanique. Ils se battent presque pour avoir (et pas l’autre) accès à ton refus. Misère concurrentielle sur tapis de mégots.

 

  14 novembre 2017.

18h30, Place de Clichy, ligne 13. Je laisse passer trois rames avant de tenter de monter dans le métro vers Chatillon. Un véritable barrage de corps s’oppose à mon accès. Sac en avant je l’affronte et je monte. Dans mon dos, les portes automatiques se bloquent. J’empêche la fermeture. Un homme me tire vers lui et les portes se referment. Je le remercie avec un sourire. Il m’insulte et ne sourit pas... Elle m’attend loin, là-bas. J’ai envie de pleurer. 

 

  15 novembre 2017.

Evidemment, plusieurs fois par jour, on se fait des bisous sms. Mais ça ne remplace pas. Il manque le bruit du baiser sur la joue « clop », l’aigrette dans la flaque, dans le cou « clap », la mésange s’envole. Et celui des lèvres qui se frôlent « pftt pftt », comme un soupçon de doute. Il manque le « mmmm » du bâillon des lèvres, première gorgée de bière, et le « splis » le crabe dans la vase, quand elles se décollent. Enfin il y a le « smucchhh ». Là, je ne vous raconte pas. 

 

  16 novembre 2017.

Paradoxes. Dans le métro ce soir, miracle une place assise. Dans le métro ce soir, pas de miracle, elle était prise. Dans le métro ce soir, miracle j’avais de l’argent. Dans le métro ce soir, pas de miracle, aucun mendiant.

 

  17 novembre 2017.

Ce matin encore des draps froissés. Ceux d’une insomnie solitaire. D’une inutile agitation. Quand retrouverais-je les draps froissés d’un matin de combats déraisonnables, d’odeur forte et de tendre chaleur.

 

  18 novembre 2017.

Tout y était très beau. De la lumière, toujours. Et les gens qui se pressaient, navigant sur les grandes allées, se croisant sans jamais se heurter, que s’en était comme un miracle, mille fois chaque jour répété. De la musique parfois, un accordéon pleurnichard, un violon crécelle... Et, pour égayer l’atmosphère,  de petits écriteaux affirmaient sans soucis des protocoles légaux, une identité : « famille syrienne » ou « sans domicile j’ai faim j’ai froid aidez-moi ». Un joli monde, plaisant. Dommage, un ciel jamais bleu, mais une voute céleste de petits carreaux de faïence blancs. Du plus bel effet !

 

  19 novembre 2017.

Sans grand effet, je tâche d’effacer toute trace. J’aimerais être sans passé, sans racine, sans mémoire. Alors (fou de le croire) je pourrais à l’aise écrire un futur plus beau et plus parfait que la plus belle des pommes du Jardin de l’Eden. Et j’écris. Et sous ma plume, ce futur se révèle sans avenir.

 

  20 novembre 2017.

Quelle chaleur humaine dans la rame de la ligne 13 ce soir au départ de la station Place de Clichy ! « Tous ensemble, tous ensemble », on y était ! Il y avait une solidarité sans faille de nos corps serrés les uns contre les autres et moi contre le sac à dos de ma voisine qui me rentrait dans l’estomac (Le sac pas la voisine). Au bout de la rame, là où il y a six places, six jeunes (4 garçons et deux filles) beaux et belles comme tout, assis les yeux rivés sur leur smartphone, avaient visiblement décidé d’appliquer avec fermeté le mot d’ordre du monde nouveau : « Dégage ! ». Station Saint Lazare, ça s’éclairci un peu et un des jeunes se lève. Mais la relève était prête et un autre le remplace. Même chose à Miromesnil. Peu après, alors que mon enthousiasme pour la nouvelle génération s’était un peu rafraichi, le mal de genou (que la familiarité n’a pas encore transformé en habitude banale), me vrille l’avant de la jambe. Je déclare à haute voix : « je suis désolé d’être obligé de demander à l’un d’entre vous s’il peut me céder sa place ».  On m’a regardé sans bouger, mais en me faisant comprendre que j’étais ce que j’étais : quelqu’un du vieux monde. Bon, on la fera quand même, la révolution, et avec eux encore ! 

 

  21 novembre 2017.

Les rêves sont-ils la solution ? Il est certain que pour un poète, un gars toujours le nez en l’air, la solution c’est de rêver. Au moins il ne sera pas dépaysé. Mais pour quelqu’un comme moi, les deux pieds bien plantés dans la réalité, d’un pragmatisme légendaire… Rêver n’est pas la solution. Même pas en rêve !

 

  22 novembre 2017.

Le loup mange l’agneau, la baleine du plancton et le mouton se nourrit d’herbe. Le lion préfère la gazelle mais le zèbre ne lui déplait pas. Quant à l’homme (je veux dire l’humain), il mange un peu de tout et parfois assez mal. Et le poème ? Je crois que le poème se nourrit surtout des poèmes dont il s’inspire. En tout cas, ça je le sais, le poème ne nourrit guère le poète ! En général.

 

  23 novembre 2017.

Je sais maintenant que tu t’en vas. Doucement petite sœur, pars doucement. Tu en as fini de tes cauchemars. De ces heures à t’agiter en criant dans ton fauteuil, à résister, à refuser. Je ne savais pas qu’une fantaisie, immense comme la tienne, ça pouvait finir comme ça. Il y avait entre nous cette épaisseur de sensible qui nous attirait l’un à l’autre et nous repoussait l’un de l’autre. Pars doucement petite sœur, et reste, surtout reste.

 

  24 novembre 2017.

Tour à tour, j’écarte les bras. J’attrape ce qui passe à portée, je le range dans mes poches. Ici un rêve. Là une goutte de pluie. Plus haut le chant de l’oiseau. A terre un profond mystère. Au loin la sonnette d’une bicyclette… Ensuite, j’assemble pour construire un monde. Où il fait bon rester.

 

  25 novembre 2017

Mes écrits sont plein de ratures. Mes mots se déchaînent, puis se rangent. Ensuite je les dérange. D’autres mots viennent les remplacer. Je mélange le tout et j’y verse une pincée d’adjectifs. Puis je les supprime. (Je n’aime pas trop les adjectifs.) Au terme de tout ce chambardement, je me reconnais. C’est bien moi.

 

  26 novembre 2017

Devant l’avis de grand frais, les bateaux se sont recroquevillés à l’abri des digues. Au fond du jardin, le vent fait l’amour à l’érable. Les branches écartelées se secouent sous les assauts violents. Bientôt apparait la lune, grosse d’un désir assouvi.

 

  27 novembre 2017

Si j’étais poète, je me sentirais obligé de faire de la politique. Et je ne veux pas ! Je ne veux pas chanter les soubresauts du monde, la barbarie d’un temps prêt à tous les massacres. Je ne veux pas exalter la fraternité des calicots brandis, des poings levés, des espoirs blottis dans des caves enfumées. Je veux du vin, du sexe, des planctons sous la lune, et la pâleur d’étoile de ses yeux attentifs. Rien d’autre. Alors, être poète ? Pas question !

 

  28 novembre 2017

À mon bureau j’écris, bien isolé du monde, si isolé que je pense un instant être le seul à écrire. Mais je sais bien que c'est une fable (à laquelle je me complais parfois de croire). Le vent aussi écrit, appliqué à étirer les nuages, lames aiguisées pour disséquer l’azur. Et la buse écrit planant en cercles concentriques, avant de tomber lourdement au sol, serres acérées sur le mulot d’argent. Et la pluie écrit, un peu plus tard, pour noyer son chagrin et écarter l’angoisse d’un sombre crépuscule. Et nos écrits s’emmêlent dans des rimes douteuses, exquis cadavres de mirlitons satisfaits. 

 

  29 novembre 2017

J’ai éteint la lumière puis je me suis plaint de l’obscurité. J’en ai tant vu qui se livraient à cet exercice. Claquer la porte de l’espoir et s’émouvoir d’être seul à franchir le seuil. Écarter ce qui fait de l’ombre et geindre de prendre tous les coups… Sur le champ des défaites, nous dressons à mains nues nos mausolées, drapés dans nos belles raisons et fiers de nos épiques solitudes.

 

  30 novembre 2017

Toutes les phrases, tous les discours, tous les poèmes, toutes les épopées, les conférences, les exposés, les causeries, tous les rapports, toutes les odes, les contes, les aubades, les chansons, les comptines, toutes les fables, les fictions, les romans, les nouvelles, toutes les formules, les libellés, les aphorismes, toutes les histoires, tous les récits… devraient débuter par « il n’y a pas à dire… ».

 

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