Mes pensées quotidiennes d'août 2020

1er août  

Belle journée en bateau avec mon fils Clément. Remontée de la rivière d’Auray jusqu’au port de Saint-Goustan et amarrage à ses nouveaux pontons pour un restau sympa et une balade en ville. Que des pensées positives donc. Et je ne me lasse pas de regarder cette photo de Timothée et moi sur le quai de la gare de Vannes. Je lui explique pourquoi le train fait un bruit infernal en arrivant au quai, et que sa maman et lui auront tout le temps pour monter dans le train et s’y installer. Son regard porte une inquiétude que j’essaie d’apaiser. Dominique qui a pris cette photo  avec son téléphone portable a vraiment saisi un moment. Ça dépasse le train qui arrive : c’est une lucidité sur le monde, inquiète mais non abattue, que Timothée exprime. Si j’avais un vœu à exprimer aujourd’hui, c’est que j’aimerais que Timothée garde longtemps cette photo. Et ce regard. Enfin, c’est très immodeste de ma part, c’est beaucoup demander. 

2 août 

Nous avons raccompagné mon fils Clément à la gare. Plus personne jusqu’à la dernière semaine d’août. Soulagement et un je-ne-sais-quoi de… Je devine pourtant comment nous allons, elle et moi, remplir le vide. Pas de difficulté à l’imaginer. Mais c’est un vide, quand même. L’absence, on s’en console, quand le soleil vient incendier la mer.

 

3 août  

Le gouvernement, avec empathie, se penche sur le sort des jeunes qui seront les grandes victimes de la crise sanitaire. Il va distribuer quelques millions d’euros aux patrons pour « faciliter les embauches ». Une misère, tout le monde sait que ça ne servira à rien, mais il pourra dire qu’il a fait quelque chose. Ce serait pourtant simple de faire quelque chose d’efficace pour affronter le problème. Que les salariés travaillent moins longtemps et donc revenir à la retraite à 60 ans. Ça ferait de la place pour les jeunes. Et puis travailler moins, 32 heures hebdo, ça ferait de la place pour tous. Et ce serait un vrai progrès de civilisation. J’ai en tête un poème de Brecht.

« Un jour, lorsque nous aurons tout le temps,

Nous pourrons méditer les pensées de tous les penseurs de tous les temps,

Et regarder tous les tableaux de tous les maîtres

Rire de tous les farceurs

Faire la cour à toutes les femmes

Et enseigner la vérité à tous les hommes. »

(Et Brecht et moi, nous allons nous attirer la foudre de toutes les féministes !)

 

4 août  

Libérés de toute obligation dans la maison, nous avons décidé de mettre les voiles (au moteur), pour cinq à six jours. Me voilà donc libéré de pensées quotidiennes, à moins que vous n’insistiez, et même alors… Pensez avec Brecht (encore !)

« Parlez donc du temps qu’il fait et

Enterrez le profond celui 

Qui avant même de parler

S’était déjà rétracté. »

 

5 août  

Arrivée à La Turballe après 3 heures d'une navigation assez agitée. Ce soir, le port est plein comme un œuf plein. Le port et le centre ville de La Turballe sont en zone « port de masque obligatoire ». Les forces de sécurité patrouillent. Il me prend des envies d'île déserte.

6 août

 

 

 

Sans doute un mauvais coup se prépare

7 août 

38 degrés dans la cabine du bateau ça devrait en refroidir plus d'un !

 

8 août 

Redon un port sur La Vilaine

Les orages approchent 

Pour limiter les risques, demain Retour direct sur Arradon. Mais cette chaleur ! Bretonne pour tout dire !

9 août

 

 

 

Que reste-t-il de notre passage ?

Un sillage

Une vague vague...

Mais une belle vague

10 août 

Retour à Arradon après huit heures de navigation. Exténués le papy et la mamie ! Cinquante-trois milles nautiques dont une vingtaine en rivière. Bon, ce n’est pas un exploit mais on ne regrette pas ce retour un peu précipité : l’orage est bien là. Du coup, à ma librairie préférée de Vannes (Le silence de la mer), j’ai acheté « Bifurquer », un ouvrage collectif dirigé par Bernard Stiegler dont je viens d’apprendre le décès. Je commence à peine la lecture mais je crois bien que je vais en parler souvent.

 

11 août

La chaleur ramollit-elle le cerveau ? Il faut espérer que non car il semble bien que du point de vue du dérèglement climatique, comme du point de vue des rapports internationaux, comme des points de vue sociaux et démocratiques, les emballements annoncées des désordres du monde soient dès aujourd’hui à l’œuvre. Il y a donc besoin du « savoir » et des « savoirs faire » de toute l’humanité pour « bifurquer » dans l’urgence vers un autre monde. Je vous ai parlé de ma lecture entamée du livre collectif dirigé par Bernard Siegler. J’y trouve une citation de Henri Bergson en 1932 : « L’humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend d’elle. À elle de voir si elle veut continuer à vivre. » Nous avons sans doute perdu assez de temps.

 

12 août  

L’orage a apporté la pluie qui a apporté la fraîcheur, le jardin semble me sourire

Tout serait parfait et tranquille et je vous aurais encore longuement parlé de la pluie et du chaud temps, et peut être même en vers (irréguliers)… Mais voilà que je l’entends en bas qui s’agite du côté de la cuisine et qui doit encore penser que c’est bientôt l’heure du dîner et qu’il me laisse m’occuper de tout… Alors je descends en vitesse avant que tout ne se complique, et surtout parce que j’aime bien, quand on s’occupe du repas… à deux.

 

13 août  

Tous les rêves flamboyants de l’humanité, tous les songes, tous les combats, tous les programmes, tout ce que nous avons gagné et perdu, toutes nos victoires et nos défaites vaillantes, tout ce que nous sommes et tout ce que nous aurions dû être… tout cela… Nous devons le réaliser dans l’urgence, avant que les désordres du monde ne nous engloutissent.

 

14 août  

Je regardais ce soir, en dinant sur la terrasse, les nuages tourmentés qui, très haut dans le ciel, annonçaient le vent de demain. Puis, baissant les yeux à nouveau  vers la table, il m’est venu cette certitude qu’en regardant une boite de sel, tout homme digne de ce nom devrait garder le souvenir des vagues. Et je me suis dit que ça pourrait faire ma pensée d’aujourd’hui.

 

15 août  

À mes amis qui s’interrogent ou s’offusquent, ou partent en guerre contre le port du masque, j’aimerais savoir sur quels savoirs pratiques ou théoriques repose cette bataille. Pour quelles raisons le pouvoir nous imposerait-il le masque et sur quelles convictions le raisonnement selon lequel le port du masque est inutile ou néfaste repose-t-il. À tous mes amis, je dis qu’il faudrait, au-delà de la juste dénonciation du désossement du service de santé et des services de protections de la population, au-delà des luttes qu’il faut mener face à cela, engager un travail sérieux pour donner du sens à ce qui vient de se passer et qui continue, et qui, d’après moi, nous place dans l’urgence de repenser le monde et d’en dessiner un qui soit acceptable pour tous.

 

16 août  

Mon prénom est le nom qu’on donne à un arbre. Sur la terrasse, j’ai un tout petit olivier qu’on nous avait offert, à elle et à moi, pour notre mariage. Il m’arrive de regarder cet arbre, un arbuste plutôt dans son pot, en me demandant qui de nous deux sait vraiment le plus de choses sur le monde, sur la vie. Quand je me pose cette question, regardant l’olivier bien en face, il me vient le pincement d’une jalousie. En fait, j’aimerais bien lui ressembler. (Parfois)

 

17 août  

« Il faut sortir de soi, il le faut. Il faut aller si loin au fond de soi qu’on ne reconnaisse plus rien, que tout soit à nouveau inventé. » Nous devrions toutes et tous tenter de nous conformer à cette règle qu’édicte Jean-Marie Le Clézio. Ailleurs il dit que nous sommes placés « devant cette urgence, cette absolue nécessité : examiner nos valeurs maintenant, faire nos choix sans plus tarder, décider nous-mêmes de notre avenir et de celui de nos enfants ».

 

18 août  

Il y a de multiples façons de trahir la révolution. L’une d’elle est l’extrême impatience à la déclarer faite quand les conditions n’en sont pas réunies. Une autre façon est l’extrême patience à s’y engager quand l’urgence l’appelle. Mais la plus sûre façon de trahir la révolution est la paresse d’étudier le monde comme il va réellement, dans ses soubresauts et ses émergences, au nom de la fidélité à des principes révolutionnaires intangibles.

 

19 août  

Et de neuf ! Fils de Morgane et Clément, frère d’Alfonse, Aloïs est né cette nuit à deux heures dans le salon de ses parents, aidés au tout dernier moment par les pompiers appelés en urgence. Et tout s’est bien passé. Tout le monde va bien (enfin, je crois, je n’ai pas demandé de nouvelles des pompiers). Sanella, Sandra, Pamela et Alix, contre Nikola, Timothée, Giovanni, Alphonse et Aloïs, les garçons mènent par 5 à 4. Champions du monde ! 

 

20 août  

Demain, retour de Timothée avec sa petite sœur Alix et leurs parents pour quelques jours. Ais-je le temps de lui écrire une histoire ? Sans doute pas mais ce n’est pas si grave, mes histoires n’ont aucun sens. Ma voix, c’est vrai, le rassure quand l’ombre descend sur le monde et dans sa chambre comme une inquiétude. Mais pour le sens ? Alors j’attends : Timothée n’est qu’à quelques encablures de ce qu’on appelle « l’âge de raison ». Quand il l’aura atteint, et même un peu avant, c’est moi qui lui demanderai de me raconter le monde, de me l’expliquer. Je pense qu’il en saura plus que moi sur la question.

 

21 août  

Dans l’Huma de ce matin, Fabien Roussel : « Pour 2022, la question qui doit se poser est celle du contenu du changement de société profond que nous voulons défendre. Ce qui compte, c’est la hauteur de la barre que nous allons fixer. » « La hauteur de la barre »… La métaphore n’est pas nouvelle, le PCF en use depuis plus de quarante ans. « Il ne faut pas baisser la barre, il faut monter la barre… » Les barres, hautes ou basses, la question principale est de les franchir. Car à quoi sert de maintenir une barre élevée quand c’est pour passer dessous à tous les coups ? OK, je sors…

 

22 août  

Il n’y a pas eu de pensée du jour ce 22 août. D’abord panne d’Internet, donc impossibilité de publier donc prétexte offert à ma paresse. Ensuite il m’a fallu passer de longs moments sur mon téléphone portable à lire tous les commentaires que ma pensée du 21 août avait suscités. Bon, ça a provoqué débats, (et qui dit « débats », ici, dit forcément « dérapages ») alors je m’en félicite (on n’est jamais mieux servi que par soi-même). Mais la raison surtout, c’est que j’ai écrit une histoire : « Aglaé, l’araignée fatiguée », est venue rejoindre « Solange, la mésange songeuse », « Séraphin le dauphin fin », « Hugo, l’escargot ballot », et ‘Gédéon, le pigeon bougon » dans le bestiaire de Timothée. Et Aglaé a franchi la barre de la haute exigence de Timothée.

 

23 août  

(J’ai bien peur que ma pensée du 23 août ne parte sur FB que ce matin du 24. Je m’en excuse auprès de celles et ceux dont les calendriers intimes sont ainsi perturbés… autant que le mien.) 

 

24 août  

Nuit morose, pensées morbides… ça m’arrive. Mais ce matin, j’ai retrouvé un poème de Bertolt Brecht. Je crois que je le recherchais un peu dans ce rêve. Sans forfanterie, et seulement pour mes proches, peut-être me va-t-il bien.

 

« Moi, je n’ai nul besoin d’une pierre tombale

Mais si vous, vous avez besoin que j’en aie une

Je souhaiterais qu’on y inscrive :

Il a fait des suggestions. Nous

Les avons acceptées.

Une telle inscription

Nous honorerait tous. »

 

25 août  

Parfois, les questions que posent Timothée sont empreintes d’une poésie déroutante. À table, hier, il nous a ainsi demandé : « C’était comment, avant, les saucisses, quand elles étaient vivantes ? » Grand seigneur, j’ai laissé à son papa le soin de la réponse. Il faut dire que Timothée est tombé dans une famille bizarre. Ce matin, avec ses parents, il est parti pour trois jours à Brest pour chercher des maisons à louer. Nous on garde sa petite sœur Alix, c’est la première fois qu’elle sera seule avec nous. Alors excitation ou stress, ou distraction habituelle ? Timothée est parti avec un chausson au pied gauche et une chaussure au pied droit. Et personne ne s’en est rendu compte !

 

26 août  

Alix (la petite sœur de Timothée) dort (jusqu’à quand ?) et je vais dormir dans la chambre d’à côté (la chambre de Timothée) à guetter le moment inévitable (en général c’est 2 heures du matin mais qui sait) où je l’entendrais appeler (je ne suis pas inquiet elle sait se faire entendre) pour lui apporter un biberon de lait (que j’ai oublié dans le frigo il faut que je redescende le prendre), du coup j’arrête là ma pensée du jour (si j’ose dire).

 

27 août  

Ah ? Ben tiens, j’ai oublié de penser.

 

28 août  

Aujourd’hui, je n’ai pas oublié de penser. Mais j’ai oublié à quoi. Ah si, ça me revient. Je voulais citer une pensée couchée sur un carnet de l’écrivain Andreï Platonov, que j’ai lue dans le dernier numéro de la revue « Europe » :

« La vérité est un secret, elle se cache toujours. Il n’y a pas de vérité flagrante. »

Après avoir lu ça, je me suis dit : « Au travail ! »

 

29 août  

De mes longues années militantes dans les cités populaires, j’ai appris que pour décider une personne à ne plus subir, à se prendre en main et à agir, le moyen le plus sûr et le plus efficace n’était pas de lui enseigner la lutte des classes mais de la convaincre qu’elle était grande, qu’elle était généreuse et qu’elle était belle.

 

30 août  

Timothée et Alix sont partis ce matin avec leurs parents. Retour en région parisienne, Timothée pour l’école, Alix pour la crèche, les parents pour le boulot. Ils se croyaient tranquilles, débarrassés de mamie et papy ? Ils croient ça ? Mais mardi c’est nous qui allons les rejoindre là-bas. Du coup, c’est à Timothée de me raconter des histoires !

1 commentaires