Pensées des jours d'août

Encore un mois de pensées. Caniculaires en plus! Des pensées qui tirent un peu la langue. Un peu dégoulinantes. Vous n'en avez pas assez? Moi oui, un peu. J'attends avec impatience un mois sans penser.

 

1er août.

Minuscule complainte. Il y a eu les mots majuscules du Pape, le terrorisme du "dieu argent". Magnifiques. Et puis il y a eu ces mots de Julien Dray, le petit invité de France-Inter ce matin. Il reproche au Pape son "angélisme". Réfléchis un peu, Dray, à ce que signifie ce reproche adressé au Pape. Réfléchis, et puis... meurs de honte, petit monsieur ! 

Que portent ces voix (Dray, Valls, Hollande...) qui prétendent être celles de la France ? Quel message au monde ? La minuscule complainte à l'odeur fade et écœurante du renoncement à la paix, à l'espoir, à l'humanité ! Du renoncement à la France, celle qui se bat pour des idées ! Disqualifiés. Définitivement !

 

2 août.

Fierté victorieuse. Timothée, le petit fils, joue dans son parc de bois. Il tente de se lever en tirant sur les barreaux, et nous veillons sur ses efforts. Et puis, soudain, il est debout, à notre insu, profitant d'un moment de distraction. Le voilà fier de lui du haut de ses neufs mois écoulés, heureux de sa victoire. Son sourire, joyeux et malin, nous en annonce d'autres. Timothée n'est pas fait pour se traîner à quatre pattes.

 

3 août.

Les choses en face. Si les socialistes étaient au pouvoir ? Ah ! S’ils étaient au pouvoir ! Aux attaques terroristes, la France répondrait par l’appel à la paix, à la fraternité, à la liberté et à l’égalité. On défilerait ensemble partout et pas seulement dans les lieux de culte, mais dans la rue, sur les places ouvertes au peuple. À chaque surenchère de la droite et de l’extrême-droite répondrait l’appel du gouvernement à une mobilisation populaire démocratique. La rentrée scolaire et universitaire donnerait lieu à une grande fête de la République, de la laïcité, du vivre ensemble. RESF et les réseaux d’aide aux sans-papiers se seraient auto dissous après la régularisation de tous. Les syndicats (et pas seulement la CFDT) enverraient des messages exigeants de félicitation après la plupart des conseils des ministres. Et la France, enfin, parlerait au monde à l’unisson avec le Pape François.... Si les socialistes étaient au pouvoir à la place de Hollande, Valls, Macron et Cambadelis !

 

4 août.

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En guerre. Il y a un Pokemon Rattata sur mon canapé ! Je l'ai trouvé là, c'était hier et ça fait un drôle de choc ! (Je l'ai quand même pris en photo, sinon vous ne m'auriez pas cru). Sa présence prouve qu'il n'y a désormais plus de frontière étanche entre le virtuel et le réel. Les poètes s'en réjouiront peut-être, mais moi (comme quelques agents de la lutte antiterroriste) ça me fait plutôt flipper ! Il a raison Valls : nous sommes en guerre !

N-O-U-S  S-O-M-M-E-S  E-N  G-U-E-R-R-E !

 

5 août.

Pensée Stéphanaise. C'est l'heure. Presque. Je retarde un peu le moment. En lisant. Je résiste au sommeil. Avant de me décider. Alors il me faut chercher ce qui console de l'inquiétude. Je trouve des mots. Je les fais jouer ensemble. Ils forment une ronde, puis libèrent leurs mains. Ils se désassemblent. Se remettent à jouer. Se recomposent en dansant. Chaque soir, des mots différents, ainsi, m'accompagnent. Ce soir, « bienveillance » et « dialogue » tiennent la corde.

 

Mon incapacité de penser du 6 août.

C'est la trêve. À part les JO, des attentats, de dramatiques accidents, à part ça, rien. C'est la trêve. Je me l'accorde.

 

7 août.

Brève croisière. Il y avait un peu de vent assez pour faire frémir la mer et donner au voilier des idées de voyage et à son équipage des remords de départ et aux épouses aimantes des envies de retour et à leur chérubin des désirs de revoir donc on est parti et on est revenu.

 

8 août.

Qui aime bien comptine bien. Parmi les dizaines de comptines que nous faisons entendre à Timothée, le petit fils, il y a :

« Petite sardine que fais-tu là ? Outcha outcha outcha. Petite sardine que fais-tu là ? Outchi outchi chat. Sardine à l’huile que fais-tu là ? Tu n’es pas le chat cha-cha »,

Celle-là, il l’écoute d’un air particulièrement affligé.

Donc, je lui en ai composé qui correspondent mieux à son niveau d’exigence.

Comme :

 « Il y avait une pomme qui habitait à Rome, elle faisait sa valise pour aller à Venise.

Il y avait à Venise, une petite cerise, qui prenait un taxi pour aller à Paris.

Il y avait un kiwi, qui visitait Paris, il prit son sac à dos pour filer à Tokyo.

Il y avait un pruneau, qui dormait à Tokyo, vite il se fit la malle en s’envolant à Bâle.

C’est un drôle d’animal, qui s’ennuyait à Bâle, il sauta dans le train pour se rendre à Berlin… »

Bon, etc… ça dure longtemps, je ne vous l’infligerai pas en entier.

Il y a aussi, qu’il aime tout particulièrement :  

« Quand tu es le petit Timothée, tu n’es pas Mao

Mais quand tu es le grand Timothée

Forcément tu es Mao »

 

9 août.

À n'en pas douter. Parmi les choses notables qu'il m'aura été donné d'apprécier au cours de ma vie, le turbot cuit au four, juste comme ça, avec un petit filet d'huile d'olive et quelques rondelles de tomates, tiendra une place de choix.

 

10 août.

Répondez-moi. De tout ça, je ne sais pas quoi penser. Et vous? Vous non plus je vois. Alors je regarde l'herbe, les fleurs, les plants de haricots qui poussent dans le jardin. Et je me demande : "à quoi rêvent-elles ?" Parce qu'il faut bien que ces plantes, elles aussi, aient des projets. Non?

 

11 août.

Parlons d'amour. Hier panne informatique ce qui fait que la pensée du 11 vous par-vient le 12. Mais comme le 11 je voulais parler d'amour, je ne voudrais pas vous en priver. Avec son vélo électrique, désormais, elle monte les côtes plus vite que moi. Mais mon désir de ne pas la laisser seule à l'abandon me pousse à des exploits "cyclopédaliques" qui ne sont pas forcément bons pour mes muscles et mes tendons déjà passablement usés. J'en tire la leçon générale que si l'amour, c'est bon pour le moral, c'est surtout mauvais pour les genoux.

 

12 août.

Que voulez-vous qu’on dise ? Le ciel est aujourd’hui trop bleu, trop pur, trop vide. Le soleil trop lumineux. C’est d’une intensité qui glace les oiseaux. Pas un nuage où se cacher. Pas une brume où déguiser ses soupirs. C’est une journée sans armure, à portée de la nuit.

 

13 août.

Confession. Certains me disent "poète" à chaque fois que j'écris des choses qui paraissent poétiques. Mais je ne suis nullement un "poète". Pour me faire comprendre (exercice difficile au regard de ma confusion), il m'arrive d'emprunter à la poésie. En vérité je ne suis qu'un pilleur. Un pilleur maladroit.

 

14 août.

Désir ou colère. Je me demande ce que j'ai dit aux roses du jardin (ou ce que j'ai pensé très fort en passant près d'elles) pour qu'ainsi, elles rougissent.

Et puis, tous ces drapeaux devant moi déployés, n'auraient-ils pas les mêmes raisons de rougir ?

 

15 août.

Imbécillité déguisée. Qu'est-ce qui est le plus grave ? Le plus imbécile ? Le plus inhumain ? Le plus destructeur des valeurs de la République ? Interdire certaines tenues sur la plage ou rendre obligatoires celles-ci ou d'autres ?

Il ne faudrait pas en rire mais pour faire appliquer le décret du maire de Cannes, fera-t-on appel aux gendarmes de Saint-Tropez ?

 

16 août.

Augures. Dans la chaleur de la soirée, des dizaines de mouettes rieuses volent au-dessus de la maison. Un vol chaotique, hésitant, décousu, incertain, problématique, à se croiser et à presque se heurter, un vol de fin du monde, de fin d'un monde, de fin du règne de l'ordre ancien. Un vol annonciateur. Faut-il craindre le vol des mouettes rieuses au-dessus de la maison?

 

17 août.

Encore gâché. J'aimerais ce soir une pensée de 17 août, comme une rose trémière qui s'enracine dans la fissure du trottoir, comme ce lézard au soleil de la véranda, comme la tourterelle qui pousse son chant désabusé, comme le vent qui gonfle le spi de ton corsage, comme ma bouche sur ton épaule, comme... Hélas, ce jour, encore, Manuel Valls a parlé.

 

18 août.

Chômage en baisse. Mon père était sévère mais juste, l'attitude hautaine, le chemin ardu, la chevelure abondante, Albion perfide et le politique corrompu. La monnaie est le plus souvent sonnante et trébuchante, la rue déserte, la crème glacée, la table dressée et le personnage héroïque. La végétation est luxuriante, le monstre est froid, la fête est finie, le do est assez souvent majeur tandis que la question est presque toujours mineure et la grève tournante... Les substantifs ont tous plus ou moins de qualificatifs accrochés à leurs basques. Mais je me demande à qui les qualificatifs suivants peuvent le mieux se rapporter : tricheurs, menteurs, fourbes, hypocrites, imposteurs, mystificateurs, baratineurs, flagorneurs, fabulateurs, embrouilleurs, désinformateurs, mythomanes, perfides, esbroufeurs, simulateurs, trompeurs, manipulateurs... et j'en passe. Je ne sais pas. Vraiment. Je donne ma langue au chat.

 

19 août.

Olympisme quotidien. Je comptais sur une pensée exceptionnelle, ce soir, d'une évidence de cristal. Une pensée qui aurait fait mouche comme un coup d'Estelle Mossely, vive comme un tir de Daniel Narcisse, bref, une pensée quasi olympique. Et puis voilà que de son lit elle m'appelle et qu'elle y met toutes ses armes tandis qu'une seule suffirait à me détourner de mon devoir quotidien. Et elle me détourne et je vous laisse tomber, vous et vos désirs de pensée qui n'ont pas tout à fait le charme de ses armes. Tant pis pour vous.

 

20 août.

Total mystère. Souvent, je lui demande si elle m'aime. Presque toujours, elle répond "un tout petit peu". Je ris avec elle mais ça me fait comme un trou noir dans la poitrine par où tout de moi s'échappe. Alors je me demande pourquoi à ce point je l'aime. Je n'ai pas de réponse. Je sais seulement qu'au début, j'ai commencé à l'aimer pour pouvoir continuer de l'aimer.

 

21 août.

Malaise, grave. Ce soir, et bien que je n'y sois pour rien, je voudrais présenter mes excuses aux sportifs et aux téléspectateurs de la télévision publique française. Ils ont cru bien faire. Ils ont cru que leurs cris sauvages, leurs voix dans les aigus et leurs commentaires guerriers allaient susciter notre enthousiasme. En réalité, notre enthousiasme pour les exploits sportifs des Françaises et des Français engagés dans ces jeux olympiques a été en partie douché (en partie heureusement) par l'hystérie chauvine de ces commentateurs. Je ne savais plus où me mettre, en vérité, la honte m'a pris devant ce comportement ahurissant. Je me suis demandé si c'était ça, la France, ou si c'était juste le fait de quelques connards ne représentant qu'eux-mêmes. J'espère que la réponse est dans la question.

 

22 août.

Si France 2 le veut ! Donc une espèce d'intégriste qui tient commerce de permis de conduire décide de créer une salle à part de celle des hommes pour les femmes qui apprennent à conduire. Voilà que l'info fait la "une" du journal de France 2 ce midi. Faut dire que ça commençait à lasser un peu, le coup du burkini. Et puis, les décrets interdisant le port du burkini sur les plages l'hiver, comme question brûlante, il y a mieux. Fallait trouver autre chose, ça passerait pas l'été. Alors, les intégristes, ils ont décidé d'en remettre une petite louche. Et nous voilà repartis à débattre si c'est bien ou si c'est pas bien, s'il faut interdire ou tolérer, si l'État doit prendre ses responsabilités ou si la commune doit prendre les siennes, si l'ordre public est menacé, et si les racines chrétiennes et bla bla bla... En tout cas les médias plongent, la droite s'y vautre et Valls allume les mèches quand ça se calme. Les provocations intégristes de tous bords, ça marche. Finalement c'est eux qui décident de ce que doit être le débat national. Ils décident de l'ordre du jour. Ils tiennent les manettes. Un jour les intégristes, un autre le Front National. Pourquoi se gêneraient-ils ?

 

23 août.

Vers moi. Il faisait trop chaud aujourd'hui, je n'ai pas marché. Pourtant, immobile dans le soir, à regarder le jardin sous la lune, j'ai vu des traces que j'avais laissées dans l'herbe brûlée par le soleil. Je les ai suivies, elles prenaient un chemin singulier, long, avec de brusques virages à angle droit, des hésitations circonflexes et des cahotements de doutes. C'était un chemin étonnant, imprévu, vers un espace in-connu. Brusquement, les traces se sont interrompues, et je suis resté ainsi suspendu dans le vide. J'ai alors compris que c'est à moi qu'elles menaient.

 

 24 août.

Juste honteux. Derrière moi qui tape sur le clavier de l'ordinateur, de grosses gouttes orageuses viennent s'écraser sur la lucarne. Il fait chaud et triste. Bientôt septembre, la chasse est ouverte. Ça commence. On dévoile la femme sur les plages du Sud avec une brutalité violeuse. À droite les candidats chassent l'électeur sur des terres indignes. À gauche, le trop plein annonce la férocité des assauts. On se déchirera à belles dents face à l’ennemi ravi. Petits appétits, grande déroute. Tout est écrit. Il y aura du beau monde au festin de clôture, bien au sec, régnant sur un pays enfin marécageux.

 

25 août.

Mystère de l'économie. Depuis que l'économie se prend pour le maître du monde, plus rien ne va. La croissance est en berne, et pourtant, ça tourne les entreprises. L'imprimerie des bulletins de vote F.N. tire à plein, la fabrique à terroristes s'emballe, et, à gauche, la machine à perdre tourne jour et nuit. Normalement, pour la courbe du chômage, ça devrait s'inverser.

 

26 août.

Ces hommes en avance. Manuel Valls estime que  la décision sur le fond du Conseil d’État de casser l'arrêté municipal sur le burkini de Villeneuve-Loubet ne clôt pas le débat. Le maire "Les Républicains" de Nice, le maire socialiste de Sisco, le maire FN de Fréjus, eux, annoncent qu'ils vont continuer de faire appliquer leurs arrêtés. Le FN et la droite réclament une loi... Tout ça me fait penser à cette phrase du poète René Char : "Il existe une sorte d'hommes toujours en avance sur ses excréments".

 

 27 août

Conversation entre poètes.

 

_ Le monde entier est un obstacle à franchir, confie Pierre Reverdy.

 

_ Comme la vie est lente / Et comme l'espérance est violente, feint de renchérir Guillaume Apollinaire.

 

_ Quoique dise la vieille espérance forçons les portes du doute, rétorque Kateb Yacine.

 

Et Pablo Neruda lui donne en partie raison.

 

_ Le printemps est inexorable, tranche-t-il.

 

J'essaie de me mêler de la conversation.

 

_  Toute ma vie j'ai tenté de construire des digues, je n'ai fait qu'ouvrir des brèches.

 

 

28 août.

Oh tonne, oh désespoir ! C'est l'automne, la belle saison des nostalgies coutumières. Nous marcherons main dans la main, nos regrets autour du cou comme une écharpe. Nous irons dans les parcs désertés. Nous regarderons les grands champs labourés livrés aux corneilles solitaires. Nous nous souviendrons de la saison des incendies. Nos espoirs, à terre, feront comme un moelleux tapis. S'élèvera notre chant : 

"Les candidats se ramassent à la pelle..."

 

29 août. 

Cerveau fusillé. De bon matin la radio me fusille et le soir c'est la télé qui m'achève. Entre temps les réseaux sociaux m'ont détruit. Je suis la victime consentie d'une société de la CGV (communication grande vitesse), décervelage consensuel, manipulation aboutie, abrutissement garanti. Me reste l’Huma, l’Huma d’abord, et un peu de poésie quand même.

 

Par exemple Pierre Seghers, en 1939

« Au-delà des limites de la vie, il y a toujours une vie nouvelle

Dont les frontières sont inconnues.

Au-delà des jours sans souvenir

Il y a toujours une condition d’un autre domaine

Il y a toujours un air plus vif, un ciel plus clair

Une aspiration immense dont tu ne te savais pas capable, 

Une rupture

Elle engendre une naissance émerveillée. »

 

30 août.

Voile dévoilé. Dans la nuit très avancée, vers les 2 heures ce matin, nous sommes sortis, elle et moi dans le jardin. Le sommeil nous fuyait l'un et l'autre. Au-dessus de nous des millions d'étoiles pâles nous couvraient d'un voile profane. Il parait qu'elles sont là, toujours, mais cette nuit, profitant que le monde dormait, elles se sont montrées à nous seuls (qui de fait étions deux). C’était un voile dévoilé, avertissement aux imprudents de la simplification, message de la complexité du monde. Un tel spectacle, méritait l’emphase. Méfiant dans l’emphase des moments magiques, je lui ai simplement dit « la seule étoile c’est toi » et pour me donner raison, son rire s’est étoilé.

 

31 août.

Tu penses à quoi ? Il n’y a qu’à jeter un œil sur tes pensées du mois d’août. Ça ne commençait pas trop mal par une glorification du Pape François. Bientôt suivi par un hommage appuyé à ton petit fils Timothée qui, quand il se met debout en s’accrochant aux barreaux de son parc, provoque une « Ola ! » générale digne d’un médaillé olympique ! Pas très loin derrière, les Pokémons nous rappellent que nous sommes en guerre et qu’un turbot au four peut être le plus beau jour de ta vie. Je passe sur tes pillages maladroits quand tu te mêles de la conversation entre vrais poètes, tes désespérances politiques à décourager un Macron d’être candidat, tes confessions amoureuses… Bon je ne dis rien des comptines, parce que là, tu t’es vraiment surpassé, avec Mao le grand Timothée ! Mais au bout de tout ça, il reste que je ne sais toujours pas à quoi tu penses ! Mais à quoi tu penses ?

 

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