Mes pensées de Janvier 2020

Ma pensée (oubliée) du 2 janvier

Les années vingt largement entamées (puisqu'on est le 2 janvier), les bonnes résolutions se sont déjà envolées. Je m'étais dit "tiens, écris-nous tes pensées quotidiennes en 2020". Hier le premier, c'était les vœux. C'est fait. Mais aujourd'hui, j'ai complètement oublié. Ça commence mal, ça commence mal...

Ma pensée du 3 janvier

Aujourd'hui, en Bretagne, il ne pleuvait pas. C'est juste que les nuages, fatigués de survoler les landes et la mer poussés par les dépressions atlantiques, ont préféré ramper sur le sol. Et moi, qui ai souvent la tête dans les nuages, pour une fois, c'étaient mes pieds.

Ma pensée du 4 janvier

Des scientifiques, français notamment, cherchent à lever le mystère de ce qu'ils appellent "la matière noire", qui composerait une grande partie de la masse de l'univers. Ils la traquent pour découvrir ce qu'elle est réellement et cherchent à la capturer, la difficulté étant que le rayonnement d'autres particules brouille leur piste. Je peux leur donner un conseil éclairé : ils devraient concentrer le champ de leur expérience dans le cerveau de Donald Trump. Là, la matière noire se trouve en quantité quasi astronomique et leurs recherches ne seraient guère gênées par le rayonnement de ses neurones.

Ma pensée du 5 janvier.

Regarder la mer, surtout quand elle est comme aujourd’hui, sans ride, aplatie par les hautes pressions anticycloniques, c’est affronter l’essentiel des mystères. Elle ne provoque rien par elle-même, ni remous, ni érosions. Elle est là comme une évidence et un mensonge à la fois. Elle est la preuve et sa dissimulation. Nous savons juste qu’elle n’est pas un milieu pour nous, les humains, et qu’elle ne nous tolère que si nous la forçons. On ne vit pas en mer, on la conquiert peut-être. Un peu... Ou on se plait à le croire. La mer toise ses conquérants avec une ironie malicieuse : elle sait qu’elle aura le dernier mot.

C’est pourquoi la mer renvoie l’homme à son génie. Assez fou pour en faire un terrain de jeu, assez sage pour n’y pas trop usurper sa place.

On devrait plus souvent regarder la mer : pour la confiance en la folie et en la sagesse des hommes.

Ma pensée du 6 janvier.

Une infirmière m’a dit : « Nous, quand on se met en grève, on travaille quand même ! Alors les cheminots, ils abusent ! ». Je lui ai répondu : « Les infirmières trouvent que les cheminots abusent, d’accord. Les cheminots, eux, ils pensent que les enseignants abusent. Les enseignants trouvent que les policiers abusent un peu. Les policiers disent « d’accord c’est abuser, mais les avocats abusent plus que nous ». Les avocats estiment que par rapport aux pompiers, ils n’abusent pas tant que ça. Les pompiers, ils disent que les militaires abusent carrément. Les militaires trouvent que chômeurs abusent beaucoup plus. Les chômeurs pensent que les migrants, ça abuse pas mal non plus… Donc finalement, on est tous des abusés et le principal, c’est que, pas trop désabusés, on se retrouve tous ensemble dans les grèves et les manifs du 9 janvier. »

Ma pensée du 7 janvier

Je regrette que la grève ne soit pas encore plus suivie à la SNCF. Ce matin, elle a pu prendre le train pour Paris. Six jours loin d'elle. Hardi les cheminots ! Grève générale de chez générale ! Avec juste une pause lundi prochain. Pour son retour.

Ma pensée du 8 janvier

Il y a des gens qui, regardant la mer vers le large, mesurent toutes les forces, tous les efforts, tout le travail patient et acharné qu’il leur faudra accomplir pour percevoir un peu de ce qui existe au-delà de l’horizon. Et puis il y a des gens qui, sans bouger de la grève, regarde vers le large et se prenne pour l’horizon.

Ma pensée du 9 janvier

De plus en plus de gens avec qui je parle comprennent que la réforme des retraites proposée par le gouvernement va faire des dégâts, qu’il faudra travailler plus longtemps pour des retraites rabotées. Mais de plus en plus souvent, je rencontre cette question : « Mais pourquoi décident-ils ça, pourquoi nous font-ils ça ? » Ne pas avoir réponse à cette question est un frein à la mobilisation. Et je ne vois pas d’autres réponses que le choix de société, de civilisation que font les dirigeants du pays et du monde. C’est pourquoi j’ai publié sur mon mur cette citation de Marguerite Duras en 1986 (merci à Olivier Barbarant) : « Maintenant on pourrait presque enseigner aux enfants dans les écoles comment la planète va mourir, non pas comme une probabilité mais comme l'histoire du futur. On leur dirait qu'on a découvert des feux, des brasiers, des fusions, que l'homme avait allumés et qu'il était incapable d'arrêter. Que c'était comme ça, qu'il y avait des sortes d'incendie qu'on ne pouvait plus arrêter du tout. Le capitalisme a fait son choix : plutôt ça que de perdre son règne. » Elle ne faisait pas allusion à l’Australie, ses incendies sont plus abstraits, mais les causes sont les mêmes. Si les communistes veulent être utiles, appuyer les syndicats et les grévistes pour obtenir le retrait du projet Macron, peut-être faudrait-il d’urgence lancer une réflexion et un débat populaires sur cette question : « qu’est-ce vraiment que le capitalisme et comment s’en débarrasser ? »

Ma pensée du 10 janvier

Le soir accompagnait, sur le port de Vannes, deux yeux de lumière noire et toute la promesse effrontée du monde.

Ma pensée du 12 janvier

Il a plu du soleil, à Vannes, cet après-midi, et à grosses gouttes (puisqu'il pleut toujours en Bretagne)...

Ma pensée du 13 janvier (restée coincée dans ma boite à brouillon)

Son train avait 50 min de retard à l’arrivée de Vannes (quelqu’un, aussi désespéré que malchanceux, avait choisi ce jour de grève SNCF pour se jeter sous les roues d’un TGV). Elle est descendue sur le quai avec sa petite valise et sa tête qui cherchait de tout côté comme une mésange inquiète et curieuse. Et elle m’a vu. Et son sourire a tout effacé.

Ma pensée du 14 janvier

Ça m’intrigue : petit garçon, très angoissé par l’idée de mourir un jour, je me disais que si j’atteignais l’an 2000, ce serait déjà beau et qu’il serait temps alors de m’inquiéter. Et aujourd’hui, c’est mon anniversaire de 2020. Et je ne me sens pas très vieux. En tout cas pas beaucoup plus qu’hier.

Ma pensée du 15 janvier

Je rentrais à la nuit noire d’un atelier d’écriture. Les nuages en rangs serrés avaient sans doute décidé de protéger la lune des regards indiscrets. Ma lampe torche est tombée en panne. Je voyais moins loin que le bout de mon nez (qui en a l’habitude). Dans le noir, soudain j’ai distingué deux yeux posés comme des étoiles sur l’asphalte mouillé. Un chat, sans doute. Ça n’a servi à rien, il regardait ailleurs.

Ma pensée du 16 janvier

La pluie et les rafales tambourinent à la baie vitrée du bureau comme une détresse tenace. Il souffle ici un mauvais vent. Sous les bourrasques, les barques malmenées affrontent les déferlantes dans les cris acharnés de rameurs audacieux. Bien au chaud dans leur monde, les yeux tournés vers l’intérieur des terres, les vautours insensibles ignorent la tourmente et exaspèrent l’avenir. Balayé d’inquiétude, le pays revendique l’éclaircie.

Ma pensée gréviste du 17 janvier.

« Et si je faisais la grève de ma pensée quotidienne ? » me suis-je demandé ce matin au réveil. À cette idée (pas quotidienne), mon cœur s’est mis à battre plus tranquillement. Ma petite grève personnelle commençait comme une RTT bien méritée. Et, d’humeur assez guillerette, en sortant acheter mon pain au « bar-tabac-alimentation-dépôt de pain » du hameau, je passe devant le jardin du voisin. Celui-ci, ancien de la marine, possède un perroquet qui siffle les passantes et les passants d’une façon assez vulgaire et imite très bien les aboiements des chiens du quartier. Sachez aussi que ce voisin affiche des idées plutôt de droite. Donc, ce matin, comme à chaque fois que je passe devant chez lui et que son perroquet me siffle, je siffle en réponse quelques notes du refrain de « l’Internationale » que je rêve depuis 5 ans de lui apprendre. Et bien comme d’habitude, il n’a rien voulu savoir et m’a répondu par un silence un peu méprisant ! Alors je me suis dit : « plutôt que de faire une grève de ta pensée quotidienne, tu devrais plutôt raconter une histoire ». Et c’est à ce moment que je me suis rendu compte que je n’avais rien à raconter.

Ma pensée mémorielle du 18 janvier

Le ciel est bleu, le froid est vif et le mimosa embaume le jardin. Parait-il. Parce qu’avec le rhume qui me tient, je ne sens pas grand-chose. Mais la vue seule des grappes de petits boutons jaunes réveille de puissants souvenirs olfactifs. (Qu’est-ce que je parle bien ce matin, olfactif, on dirait que j’ai fait des études…)

Donc souvenir du parfum des mimosas. Nice… Je suis responsable de la Jeunesse Communiste et une grande manifestation nationale se prépare en février à Saint-Etienne pour la défense de la Manufacture. Je me dis : l’occasion de remplir les caisses toujours vides de la JC. Veille de la manif, on se retrouve quelques-uns dans la forêt de mimosas au-dessus de Mandelieu à faire une razzia géante de branches de mimosas. Ma vieille Lada en est remplie, le coffre, les sièges arrière… Et le lendemain, départ vers Saint-Etienne, deux voitures en convoi. Il y a des milliers de manifestants venus de toute la France et nous distribuons à tous un petit brin de mimosa. Gratuitement, évidemment mais en acceptant la petite contribution que chacune et chacun insiste de verser. On a rééquilibré le budget annuel de la fédération de la JC avec cette opération-mimosa.

Alors comprenez mon émoi, le mimosa convoque le souvenir de manifs et de corsages fleuris et parfumés. Et en plus, avec le mimosa, on se fait un pognon de dingue !

Ma pensée du 19 janvier

On connait la citation de René Char : « Agir en primitif et prévoir en stratège ». Je ne me plains pas, bien au contraire, des colères populaires que je partage face à une société et un monde asphyxiés par le néolibéralisme et le liberticide. Et je ne sais que trop combien les « à l’assaut du ciel » se sont écrasés sur le tarmac de lendemains qui déchantent. La colère nécessaire ne demande pas au révolutionnaire qu’il la nourrisse, elle se débrouille très bien toute seule en puisant dans les injustices et les crimes du système capitaliste. Mais n’a-t-il pas, lui, le devoir impérieux de penser en stratège à l’issue positive ? Ne doit-il pas consacrer toutes ses forces et son intelligence à construire les passages vers un nouveau monde ? Faute de quoi la colère, inévitablement, se retournera contre les insurgés.

Ma pensée du 20 janvier

Versailles, un palais ou un zoo ? Juste avant la grand-messe de Davos, le roi Macron reçoit en sa demeure de Versailles les plus grands investisseurs du monde. (Il y aura là quelques-uns des 22 mâles dominants qui détiennent à eux seuls plus de richesses que toute la population féminine africaine.) Notre pays devient de plus en plus accueillant pour « les grands investisseurs mondiaux ». Faut-il s’en réjouir ? Les proies qui pourrissent au soleil de la savane se réjouissent-elles d’être invitées au banquet des vautours ?

Ma pensée du 21 janvier

Je vous invite à la prudence. J’apprends par une chaîne d’info (hélas bien trop confidentielle), que ce 21 janvier est « la journée mondiale de la câlinothérapie ». « Waouh, me dis-je en moi-même, voilà une journée mondiale qui me sied ! » Je me rends donc au bourg (le mardi est jour de marché) avec la ferme intention de donner et recevoir un maximum de câlins. Les deux premiers câlins que je tente, c’était auprès de deux jeunes femmes (dois-je le préciser) qui n’étaient absolument pas au courant de cette journée mondiale. J’ai donc renoncé finalement. Et je crains que cette journée mondiale du câlin généralisé ne laisse la place à une « journée mondiale de la gifle ».

Ma pensée du 22 janvier

« C’est quand, dis-moi, la révolution ? » m’a-t-on demandé un jour. Comme je ne croyais plus aux matins du grand soir, je n’ai pas trop su quoi répondre. Il m'est possible aujourd’hui d'esquisser une hypothèse. La révolution, c’est quand au milieu des colères et des cris, dans les poings levés, dans les violences de rue, dans les incendies superflus, dans les slogans vengeurs et les drapeaux arrogants… s’invite aussi la poésie.

Ma pensée du 23 janvier

Entendu dans une réunion de la campagne municipale, un principe érigé en tabou : avant toute décision, il faut mesurer son impact écologique, son impact sur le climat, la biodiversité… Et cette assertion recueille immédiatement le consentement unanime. Or ce n’est pas être un climato-sceptique, un productiviste enragé, que de ne pas épouser ce principe. Ou plutôt de vouloir le corriger absolument. Avant chaque décision, il faut mesurer son impact sur la vie des humains, son impact environnemental mais au moins autant son impact social, son impact démocratique, son impact culturel. Son impact sur le climat de la planète, mais au moins autant sur le climat des relations humaines. Par exemple : cette décision aggrave-t-elle les inégalités ou contribue-telle à les éliminer, contribue-t-elle à rassembler la collectivité dans des projets communs ou à la cliver… L’écologie ne doit pas remplacer l’économie et la finance comme la nouvelle religion à l’aune de laquelle tout se décide.

Ma pensée du 24 janvier

Sans le dire mes pas me portaient vers la mer, je ne recherchais rien. J’ai buté contre un caillou qui n’avait pourtant pas l’air trop sévère. Je lui ai donc parlé avec douceur, comme à un ami fautif. Il faut une grande dose de pédagogie pour convaincre un caillou que s’il n’y prend garde, il peut vous faire du mal.

Ma pensée du 25 janvier

La pensée, en tout cas la mienne, est tellement vagabonde que souvent je m’y perds. Elle empreinte des chemins d’elle seule connus, si bien qu’au bout du compte, on ne sait plus rien de son point de départ, ni de son itinéraire. De là une certaine incohérence. Par exemple aujourd’hui : comment le paysage masqué, brouillé, maquillé par une brume épaisse, m’amène-t-il à songer aux discours ministériels sur la réforme des retraites ? C’est étrange !

Ma pensée du 26 janvier (Dimanche de paresse ou d’oubli, je ne sais plus)

Ma pensée du 27 janvier

Giboulées de mars en janvier, aujourd’hui est un jour gris plumes, avec des éclaircies (tout ne serait donc pas joué) et des nuées sombres, comme pour avertir, ou rappeler : les temps, quoi qu'on en dise, ne sont pas sereins. Quand même, pensées plus légères. Je lui ai demandé : « sais-tu combien de fois je t’aime ? » Elle a levé les yeux sans répondre. Avec un air un peu exaspéré. Je lui ai dit : « en vérité, je t’aime chaque fois. »

Ma pensée du 28 janvier

Heureusement j’ai gardé souvenir d’un vers d’Eluard : « le seul abri possible, c’est le monde entier ». Heureusement parce que parfois, cherchant la tranquillité et la paix, le monde entier te retient tout juste. Par un doigt, un cheveu, par une larme fragile, le quart d’un arc-en-ciel, un souvenir gracile, un brin d’herbe au coin des lèvres… Tout juste, encore un peu, un tout petit bout de patience, un tout petit bout de courage.

Ma pensée du 29 janvier

De la danse, ce soir, au théâtre Anne de Bretagne de Vannes avec « Vertikal » de Mourad Merzouki et la compagnie Käfig. Je ne savais pas qu’on pouvait danser du hip-hop sur un mur vertical comme sur un plancher. Les danseurs défient la gravité et dessinent ainsi un nouvel espace de poésie où verticalité et horizontalité deviennent des hypothèses presque improbables. Ils ouvrent le monde, qui s’offre ainsi de tous les points de vue, à de possibles devenirs.

Ma pensée du 30 janvier

Passionnants et indispensables, je vois s’étoffer chaque jour les études, les réflexions, les témoignages sur les 100 ans d’histoire du PCF. C’est heureux et tout cela mérite débats et ne peut qu’être utile. Ce que je vois moins arriver, ce sont les études, réflexions et débats, les hypothèses et encore moins les messages, sur les 100 ans d’avenir. Et qu’on ne me parle pas d’impatience : un ancien monde aujourd’hui s’écroule dans la fureur et la violence, et se fait cruellement attendre l’esquisse même de nouveaux possibles.

Ma pensée du 31 janvier

J’ai trouvé une vieille bouteille d’eau-de-vie qui traînait, peut-être depuis trente ans, dans mon placard. Et j’avais envie d’y goûter et même de m’en abreuver, mon moral étant plutôt à la dérive. Mais quand je l’ouvre, un bon génie en sort. « Tu t’es trompé, lui dis-je, les bons génies sortent des lampes, pas des bouteilles ! » Il me répond qu’au moment où on l’avait enfermé là-dedans, il faisait jour et il avait soif, donc qu’il n’avait aucune raison de se mettre dans une lampe. « Mais trêve de bavardages, ajoute-t-il, le scénario de l’histoire est que je dois exhausser le vœu le plus cher de celui qui me délivrera. Et c’est toi. Alors que veux-tu ? La fortune ? Les plus belles femmes du monde ? » Je lui dis que je n’ai pas besoin d’argent vu que l’Insee m’annonce sans arrêt que mon pouvoir d’achat augmente, et que je n’ai que faire des plus belles femmes du monde vu que j’en ai déjà une à la maison et qu’elle me va très bien. « Mais alors, que puis-je faire pour toi, me demande-t-il ? Quel est ton vœu le plus cher ? » Je n’ai pas longtemps à réfléchir. « Mon vœu est que tu apaises les tremblements de mes mains, que je puisse saisir sans briser et caresser sans froisser. » Le bon génie me dit qu’on ne lui a jamais présenté un tel vœu et que ça, il ne sait pas le faire. Alors, après ça, comment voulez-vous que je garde le moral ?

 

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