Pensées des jours de février

 J'ai continué en février. Un mois à penser une fois par jour. Et je livre comme c'est venu, brut de décoffrage avec les cahin, les caha, les zigs et les zags.

 

1er février

 Page blanche. Je suis resté toute la matinée assis à lire et rêvasser, sans pouvoir écrire une seule ligne. Saturé de mots. J'avais envie pourtant, et besoin, et des engagements précis. Mais rien. Rien qui vaille qu'on s'attarde devant un écran. Je m'en veux, je ne sais comment m'excuser. Et alors je me suis souvenu d'un poème de Guillevic :

 

« Si je n'écris pas aujourd'hui

Je n'en saurai pas d'avantage,

Je ne saurai rien

De ce que je peux être. »

 

Ça ne m'a pas consolé.

 

 2 février.

 Clownerie édifiante. Ce soir au théâtre Anne de Bretagne de Vannes. Dans un univers déglingué de vitrines, de palissades mobiles, de trappes et de chausses trappes, un clown dégingandé s'agite. Et plus il s'agite, (cherchant sans doute à savoir qui il est), plus il se coince dans des caisses improbables. C'est drôle comme ça me rappelle quelque chose....

En tout cas, à la fin, je crois qu'il s'en sort (mais je ne voudrais pas généraliser).

 

 

 3 février

Gracieuse maladresse. Deux tourterelles (il parait qu'elles sont turques), ont élu domicile à deux pas de notre véranda. Elles construisent patiemment un nid dans le petit chêne vert que j'avais voulu taillé en boule à la fin de l'été. Mais ma maladresse habituelle a fait un trou dans la boule que je rêvais parfaite. Et c'est par là qu'elles entrent, mes tourterelles turques, au cœur du chêne vert. Pendant qu'une va chercher brindilles et mousses pour le nid, l'autre monte une garde vigilante. Et moi, une fois de plus, je me réjouis de cette maladresse obstinée qui m'a fait commettre les plus plaisantes choses de ma vie.

 

4 février

Traversée solitaire. Un petit coup de mou, ce soir Monsieur le président ? Plus personne ne veut s'embarquer avec vous? Allez, on va vous en pousser une petite pour le moral.

" I'm a poor lonesome president

I've a long long way from home

And this poor lonesome president

Has got a long long way to home "

 

5 février.

Tempête sur la Bretagne.Sabre et goupillon, les nuages défilaient au pas cadencé, les cormorans transis se tassaient comme bigotes au sortir de messe. Et la cale d'Arradon se frisait la moustache. Mes pensées étaient volages, le vent les emporta.

 

 6 février.

Penser, c'est nul. Quand je pense à tout ce à quoi il faut penser, et surtout qu'il faut penser à tout ! Franchement, ça me donne envie de ne penser à rien. Et même de ne plus y penser. C'est vrai, quand j'y pense, pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ?

 

7 février

État d'urgence. Aujourd'hui dans le train bondé du dimanche qui va de Quimper à Paris Montparnasse et part de Vannes à 15 h 52, il s'est passé quelque chose d'extraordinaire : Il n'y avait aucun contrôle en gare de Vannes, aucun contrôle dans le train qui est arrivé avec juste 5 minutes de retard à la gare Montparnasse. Il n'y avait aucun contrôle à la gare Montparnasse et le train était bondé.

 

8 février

Un peu triste ce soir 

Je m'endors sur des paupières closes

Si loin, si loin de ta bouche

Tous mes rêves s’essoufflent

 

10 février.

Confidence absurde. Hier, 9 février, je n'ai pensé qu'à elle. Mais comme cela ne regarde que moi, je n'en ai rien dit.

 

10 février (bis).

Hors jeu. Ce que des millions de femmes et d'hommes ne supportent plus, c'est qu'on décide pour eux. Qu'on parle en leur nom sans les écouter ni les entendre. Qu'on prétende avoir les solutions et les réponses tout seul. L'espoir ne se délègue plus.

 

11 février

Proverbe chinois. Ce soir, je fabrique un proverbe... disons... chinois : "Les grandes solitudes font les petits destins".

Il y a aussi un truc de Marx sur les solos qui deviennent un chant funèbre, mais je ne voulais casser le moral à personne.

 

12 février.

Sincérité véritable. Entendre hier se défendre le président de la République... "Mais quelle manœuvre ?... Calcul politique ? Moi, jamais... Débauchage ? Mais pensez-vous..." C'était beau ! Ça avait tous les accents de la sincérité ! À qui ça me faisait penser ? Mais oui, tu sais, le gars qui a un procès, là ! Ah oui, on aurait dit du Cahuzac 

 

13 février

Au Théâtre. Hier à Vannes, « Novecento », un nourrisson abandonné sur le piano du Virginian, un paquebot transatlantique. Adopté par l'équipage, il reste à bord sans jamais descendre à terre et devient un immense pianiste. "La terre, c'est un bateau trop grand pour moi". Cette histoire magnifique est contée par un André Dussollier époustouflant accompagné de quatre très bons musiciens. Les paysages sont si beaux quand on voyage dans ses rêves...

 

14 février.

Discipline syndicale. Moi qui suis contre le travail du dimanche, aujourd'hui je ne vais pas penser. Repos de pensée! C'est dommage parce qu'en ce jour de Saint Valentin, j'avais envie de penser des choses... Mais non je reste ferme, les patrons ne gagneront pas, Saint Valentin ou pas, aujourd'hui pas de pensée!

 

Ma pensée du 15 février.

Essaim d'interrogations. Aucun doute, la seule chose aujourd'hui prévisible est que ce monde est incertain. Les points d'interrogation volent en grappe comme un essaim d'étourneaux qui dessine ses figures mouvantes dans le ciel argenté. Les hommes, les bras ballants chargés de suppositions, en ont perdu le goût d'agir et ne font plus que commenter.

 

16 février.

Obstacle infranchissable. Il va falloir gravir des pentes rudes, la belle affaire. Traverser des déserts de soif, nous y sommes entraînés. Il faudra marcher pieds nus sur des chemins caillouteux, nous ne craignons pas la douleur. Affronter la bise glacée ne nous fait pas peur. Marcher sur l'eau, nous trouverons bien le moyen. Nous devrons faire un petit pas l'un vers l'autre, et là, je crains que ça ne soit trop difficile.

 

17 février.

Moment de vertige. Lu quelques mesures du plan de Myriam El Khomri pour casser le code du travail. Vertigineux le déséquilibre en faveur du capital.  Allez vérifier ce que deviendront des 35 heures. On nous parle de faciliter la semaine de 60 heures ! C'est le bord de l'abîme. Que restera-t-il à Juppé, Fillon ou Sarkozy ?

Vladimir Maïakovski se porte à mon secours :

« Regardez

on a de nouveau décapité les étoiles

et cette boucherie ensanglante le ciel ».

 

18 février

Grande peine. Il presque neigeait dans le petit cimetière de Malakoff. On se serrait comme on pouvait pour l'accompagner. Regards mouillés vers le sol. Là, chacun avait touché un peu ou beaucoup de lui, et à tous, ça avait fait du bien. Alors, ça faisait un vide immense. On était comme des oiseaux blessés qui refusent de ne plus voler.

 

19 février.

Pressé, trop pressé. Je ne vois pas ce qui motive qu'on abandonne sans combattre nos convictions. Nous voulons un peuple acteur, libre, un peuple faiseur. Mais voilà qu'un tribun nous dit qu'il va secouer tout ça, pourvu qu'on le suive, et qu'il n'est que trop temps. Que l'heure n'est plus aux palabres. Moi je pense que l'heure est justement aux palabres, aux causeries fécondes, et que c'est de cela que viendra l'embrasement populaire. Et j'écoute Pablo Neruda :

« Avant que d'être né jaillit le cri stérile

qui se voulait chanson et ne fut même plainte

et se décomposa, fragile, dans le cœur ».

 

20 février.

Ennemi à sa portée. J'ai entendu un jour Umberto Eco dire à peu près ceci qu'avoir un ennemi est important pour se définir une identité. Voilà que j'ai mieux compris comment ceux qui, ne sachant pas réellement qui ils sont, ce qu'ils veulent ni comment l'obtenir, se construisent des ennemis. Il leur faut des ennemis à leur portée, plus faibles et plus fragiles qu'eux-mêmes, pour être certains, s'ils ne se découvrent pas quand même, au moins de ne pas trop se faire de mal.

 

 21 février.

La primaire, c'est secondaire. Je ne partage pas la comptine selon laquelle notre camp se diviserait entre ceux qui se déclarent partisans d'une primaire et ceux qui déclarent ne pas en vouloir. Si c'était ça, Cambadelis qui se déclare absolument favorable à une primaire serait en opposition frontale avec Valls et Hollande qui disent qu'ils n'en veulent absolument pas. Je n'y crois pas du tout. En vérité, Cambadelis, Valls et Hollande ne veulent qu'une chose : faire capoter tout rassemblement très large à gauche qui permettrait de faire émerger une candidature crédible, alternative à celle de leur clan. C'est pourquoi nous devons au contraire favoriser un tel rassemblement. Est-ce possible ? Je n'en sais rien mais je vois bien tout ce qu'il faut éviter de faire qui rendrait cette perspective impossible.

 

22 février.

Voie présidentielle. Les routes familières nous menaient au précipice. Certains ont eu la folie de les suivre. Nous avons sagement décidé de tracer un chemin improbable que notre confiance a empli d'espoir.

 

23 février.

 Colère de gauche. Il n'y aura plus d'université d'été du PS à La Rochelle et pas ailleurs non plus. Et bientôt il n'y aura plus de PS du tout. Peut-être certains vont s'en réjouir. Valls et Hollande et Cambadelis à coup sûr. Et peut-être aussi certains inconscients plein d'une fougueuse bonne volonté alternative. Ou d'autres qui diront qu'au fond, "c'est leur affaire". Ce n'est pas "leur affaire", mais l'affaire du peuple, la nôtre. Je la fait mienne aussi. Ne laissons pas ce petit clan dynamiter la gauche ! Ils dynamitent l'espoir.

 

 24 février.

Politique du chiffre. Avant, les chiffres étaient mauvais mais les courbes étaient bonnes (puisqu'on vous le disait). Maintenant, les chiffres sont bons parce qu'ils sont faux. Je pense que pour s'en sortir, Hollande devrait garder les chiffres secrets. "Classifiés secret Défense" les chômeurs ! Et pour le clan Hollande Valls, ce sera "classifié massive défiance". Ou  peut-être "totale déchéance".

 

 25 février.

Dialogue incertain. (Dont la dernière réplique est un vers de Guillevic)

_ Nous avons toujours le choix. Nous pouvons choisir de déchirer le grand livre de la gauche. Ou en écrire un nouveau chapitre.

_ Mais où nous emmènes-tu, toutes les pages sont blanches ?

_ C’est justement parce qu’elles sont blanches qu’elles ont besoin de notre écriture.

_ Comment être certains ?

_ Nous faut-il tout ce temps / Pour ne plus hésiter ?

 

 26 février.

L’heure du peuple. « Peuple, ton heure est venue ! » Faut-il le proclamer ?

Le peuple en question n’a jamais perdu l’heure. Il est là, son cœur bat même si son rythme t’exaspère. Même si tu ne reconnais pas ses couplets, il chante sa chanson.

Du haut de ta distance, tu sais ce qui est bien. Et Stentor sous les remparts de Troie, tu délivres au monde tes prophéties brûlantes.

Et que répond le peuple en son ingratitude ? Rien.

C’est avec lui qu’il faudra composer ton poème.

 

 27 février.

On y va. Quelque chose de puissant, de neuf, est en train de jaillir du plus profond de la jeunesse. Un mouvement qui n’est pas que la contestation d’une loi. Sur You Tube et dans les réseaux sociaux, les jeunes ne disent pas seulement non à la loi Khomry, ils disent « c’est maintenant qu’il faut bouger », « c’est maintenant qu’il faut faire de la politique », « il faut leur montrer qu’on vaut mieux que ça ! ». Ce mouvement qu’on appelait de nos vœux, ce mouvement populaire et citoyen semble germer où on ne l’attendait pas. Et tant mieux, et c’est la preuve que c’est fort, et ça va faire du bien. Alors sans renâcler, sans hésiter, soyons avec, soyons parmi, soyons nous-mêmes avec et changeons nous-mêmes avec…

 

28 février.

Chaque fois. Elle m’a dit « c’est dimanche, le dimanche on ne pense pas ». Je lui ai dit « ce n’est pas possible, à deux jours de la fin du mois, je ne peux pas lâcher la bride de mes pensées quotidiennes ». Elle m’a dit « je te fais un mot, une dispense ». Je lui ai dit « une dispense, tu n’y penses pas ». Elle a tenu bon. Je lui ai dit « je t’aime à chaque fois ». Elle m’a dit « à chaque fois ? Que veux-tu dire par là ? » Je lui ai dit « ça veut dire je t’aime lorsque je t’aime et je t’aime quand je ne t’aime pas ».

 

 29 février.

« On vaut mieux que ça »

Il est des jours comme ça

Brusquement sans attendre l'apogée du soleil

On précipite le temps pour que midi sonne à l'heure

Et les hommes n'arrivent plus à calmer leurs hésitations

 

Alors tout ce qui semblait inaccessible devient

La pente naturelle où nous glissons

Tout redevient immédiat

Tout est à nouveau à portée

 

De main, de bouche. 

À portée de barricade

À un jet de pavé et deux minutes d'ici

À portée de slogan

 

Les drapeaux haut tenus se couvrent de vermeil

Les bras enfin embrassent

Les banderoles disent en vers un lendemain de fête

Et plus jamais le monde ne tournera sans toi

 

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