Pensées des jours de juin 2017

  1er juin 2017.

La chaleur accable les ardoises du toit qui s’en plaignent. Tête en bas la sitelle cueille une bouchée de graine qu’elle va offrir à son petit (plus gros qu’elle dans son duvet gonflé). Le monde continue de cogiter sous une fatigue improbable : « Ne pensez-vous pas qu’on en a déjà trop fait et que le temps d’une pause est venu ? » Mais personne ne répond. Et chacun trouve une bonne raison de continuer sa course.

 

  2 juin 2017.

Votons communiste. On nous promettait le renversement des tables et le grand chambardement, mais je ne vois poindre qu’une (spectaculaire) valse d’étiquettes. Des PS macronisés, des LR ou UDI macronisés aussi : Le grand aspirateur des carrières et postes convoités s’est mis en marche. Tandis que dans notre camp, le meilleur score réalisé par la gauche de transformation sous la 5e République, preuve vivante que tout était possible, se transforme en Bérézina. Un total Kéops des espoirs populaires. Dans ce paysage dévasté, quoi de mieux que de s’adosser aux repères sûrs ? Donner de la force et des élus à ceux qui nous respectent et nous défendent parce qu’ils l’ont toujours fait ; à ceux qui luttent pour l’égalité et contre les injustices comme ils en ont fait la preuve ; à ceux qui se battent pour rassembler et que toute la gauche, depuis deux ans, aurait mieux fait d’écouter plutôt que de se déchirer. On ne sait plus à qui se fier ? Choisissons des valeurs sûres !

 

  3 juin 2017.

Une promenade, voire une randonnée, c’est (pour moi) un moment propice à la méditation. La pensée vole d’arbre en rocher, de fleurs en ruisseau, de reflets dorés sur les eaux calmes en héron pensif et méfiant… Et en s’évadant ainsi dans une nature qui s’offre, on peut parfois, au détour d’un raisonnement, lever un coin des mystères des hommes et de la société. Jamais plus on ne m’y reprendra à m’inscrire à la « Pédigolfe », une randonnée à 1500 sur le chemin côtier, à se bousculer, et surtout, dans la rumeur ininterrompue des bribes de conversations bavardes. (Je me demande si je ne deviendrais pas un peu ours sur mes vieux jours.)

 

 

  4 juin 2017.

Je ne sais toujours pas ce que signifie « écrire un poème », mais je sens confusément qu’il est temps que je me remette à la poésie. Ne serait-ce que pour effacer mes échecs précédents. Donc poème. « Sur l’estran j’ai vu un oiseau mort. C’était un goéland pris dans un filet de pêche. Au lieu d’être simplement mort, comme ça, sans autre raison que de ne plus être en vie, il a tenu à me parler de l’inconcevable désinvolture des hommes. J’étais plutôt d’accord avec lui. C’est pourquoi je lui en ai beaucoup voulu. »

 

  5 juin 2017.

Elle m’a dit ce n’est pas de la poésie et son opinion ne m’est pas indifférente. Vais-je pour autant renoncer aux  premiers échecs ou m’accrocher, m’abstenir ou m’obstiner ? Je m’obstine et donc, poème. « Dans le bar mal famé où il arrosait son désespoir, elle lui demanda si c’était vrai qu’il était poète. Elle n’avait pas l’air moins désespéré que lui. Il lui répondit que la plupart du temps, il préférait ne rien faire et lui demanda si elle savait où était les toilettes. »

 

  6 juin 2017.

Désolé pour les militants des HLM de banlieue, ma tournée de distribution de tracts dans les boîtes à lettres passe par le chemin côtier. On peut distribuer en admirant les nuages qui épousent la mer, c’est un avantage. On est peu invité à entrer pour un apéro, c’est l’inconvénient. Quand même, j’avais glissé le dernier tract dans une dernière boite, quand j’aperçois, bien campé sur ses deux pattes, un grand héron gris pâle qui m’observe. Immobile, il ressemble à une statue posée là, sur la berge sablonneuse, pour rappeler aux hommes quelques leçons du passé. Dans son œil qui ne me lâche pas, je vois passer un léger éclat d’ironie, et je sens que s’il avait des épaules, il les hausserait pour me signifier le peu de prix qu’il accorde à mon ardeur militante. Vexé au plus profond, je lui dis que lui, pauvre passé statufié, ne saisit pas la portée politique et culturelle de l’action militante… Il me coupe en me disant qu’il perçoit l’avenir sous la forme d’un grand banquet de poissons frétillants et de quelques éclats de rire. Et toi ? me demande-t-il. Je lui présente mes excuses.

 

  7 juin 2017.

La France vit sans doute ses dernières heures démocratiques. Demain le président, dont le seul mérité aura été de s’être qualifié avec 23% des suffrages à la présidentielle, disposera d’une majorité écrasante de députés dont le seul mérite aura été d’être fidèle à ce président et le seul engagement sera de lui rester fidèle. Cette situation de dictature ubuesque attire les applaudissements des médias ébaudis (ce qui peut faire douter de l’efficacité des contre-pouvoirs). Aucune révolte ne se dessine ? Aucun réflexe démocratique ne s’esquisse ? Quel peuple sommes-nous devenus ?

 

  8 juin 2017.

Je me suis souvent demandé ce que ça aurait donné si la maman de Léonard de Vinci avait décidé de faire des bébés avec le papa du Facteur Cheval. Et puis je suis allé à Nantes et j’ai vu les machines.

 

  9 juin 2017.

Ce Macron, c’est vraiment un champion ! Il est beau, il est jeune, tout le monde l’aime et le suit… En plus, je ne lui donne pas trois mois, avant qu’il nous fasse regretter le quinquennat de Hollande et celui de Sarkozy !

 

  10 juin 2017.

Comme vous le savez (ou le devinez), je n’entretiens pas de très bons rapports avec la poésie. Tout petit déjà, (enfin vers 13/14 ans) je pensais que c’était de la poésie pourvu que ça rime. Par exemple : Ces petits monticules/ qui sans cesse gesticulent/ démangent mes tentacules. Voilà qui me paraissait particulièrement poétique. Plus tard, il a fallu me débarrasser de la rime pour mieux filer la métaphore. Comme : Ses petits seins d’anémones fraîches/ caressent les récifs/ jusqu’au désir d’écume. Moi, je me comprenais. Maintenant j’ai décidé de laisser tomber la poésie : Elle a des seins qui, quand on les suce, ont juste le goût d’y revenir.

 

  11 juin 2017.

Pour dégager, ça a dégagé. Qu’ils soient de droite, de gauche ou macroniens, les populistes ont réussi à (presque) tout dégager. Ils ont même dégagé le peuple ce qui pour des populistes représente une sorte d’exploit. (Ils n’ont quand même pas tout à fait dégagé la droite qui viendra donner le coup de main qu’il faut à la majorité écrasante de macronistes pour dépecer le code du travail, le système de retraite et la Sécu.) Et j’en vois qui dansent et trinquent sur les gravats, des satisfaits d’eux-mêmes, de belles personnes à qui tout réussi : transformer l’or en plomb, les espoirs en déroute et la France en république bananière. 

 

  12 juin 2017.

Entre deux tours. Le jeune pommier du jardin semble souffrir. Il recroqueville ses maigres feuilles attaquées par les pucerons ou la sécheresse. Et pourtant il porte sur ses branches des dizaines de petits fruits, qui, tant bien que mal, s’acharnent à grossir et mûrir. Il se bat et nous l’encourageons de la caresse de nos regards empathiques. Et je sais qu’il gagnera et nous donnera quelques pommes pour sucrer notre automne. Je lui en demande dix pour ne pas être déçu. Dix, s’il te plait, mais bien rouges. 

 

  13 juin 2017.

Franchement ça fait du bien ! Enfin un peu de calinothérapie dans ce monde de brutes ! C’est comme d’être plongé dans un bain bouillonnant. Vous sentez toutes ces petites bulles qui vous caressent le corps sans rien en oublier ?  Je sais, c’est loin Montreuil, mais on l’a pris pour nous tous. Alors merci vraiment pour ces « échanges fraternels », le « respect » affiché, le « dynamisme de campagne » reconnu, au nom de tous mes camarades, merci ! On a l’impression de revenir de la mort et du néant, alors tu vois, ça fait du bien ! 

 

  14 juin 2017.

J’ai rencontré un poète désespéré. Et un autre qui, pour mieux s’entendre exister, prétendait qu’il était plombier. J’ai aussi rencontré un poète heureux d’être de ce temps, et qui passait sa vie à danser au soleil. Il était sourd, aveugle et muet, mais on disait de lui, dans le milieu, que c’était un bon poète.

 

  15 juin 2017.

J’aime la poésie même quand je ne comprends pas tout. L’autre soir, je rencontre un poète. Il me dit celui qui ne prend pas nos rêves au sérieux ne peut pas s’ériger en prophète. Je lui réponds tu devrais aller dire ça au porte à porte d’une cité HLM.  Il y est allé et en est revenu. Je lui demande comment ça s’est passé. « Elle m’a ouvert la porte (elle était en nuisette) et m’a dit entre que je donne du sérieux à tes rêves ».

 

  16 juin 2017.

Sur la côte sauvage j’ai pris la tête d’une troupe rebelle de vagues assoiffées  à l’assaut des granits. Et je me demande si, finalement, je ne suis pas, moi aussi, un peu, poète. C’est vrai après tout : j’écris si peu.

 

  17 juin 2017.

Un jour, je foulerai à nouveau des rives d’émeraude. Je ne reconnaitrai rien. Le monde ne sera plus vertige et dégoût. L’amour, étincelant de sueur et de sperme, accueillera d’un grand éclat railleur les baisers papillons. Contre les affameurs ni pitié ni rancœur : ils se balanceront sur la tige gracile des agapanthes, oubliés des vivants. Apaisé, je retournerai me baigner aux ténèbres du fleuve. 

 

  18 juin 2017.

Pensons à autre chose. Poème. 

« Partout c’est pareil. Le même homme me sert un café « stretto » à Rome et déchire à Paris mon ticket d’entrée au cinéma. Et le même encore contrôle mon billet dans le train Vannes-Paris Montparnasse. Sans compter le SDF Niçois qui me taxe d’un « pan bagnat » dans le quartier de l’Ariane. Partout où je vais, je tombe sur les mêmes visages d’hommes. Mais les femmes ? Les femmes il n’y en a pas deux semblables. »

 

  19 juin 2017.

Comment la poésie s’est privée d’un poème immortel. J’ai décidé de me consacrer désormais à la poésie. Pleinement. Et pour commencer, je vais écrire un poème immortel. Les pierres et les fleurs du jardin ne m’inspirent guère. Trop immobiles sans doute, trop suaves aussi, avec comme une nostalgie dans l’attitude hautaine… Pour m’inspirer, il me faut l’océan. La puissance de son écriture, son obstination à peaufiner le rythme, sa clairvoyance opiniâtre à dénoncer l’habitude… Mais il me faudrait sortir la voiture du garage et conduire dans la chaleur, et trouver une place de stationnement à l’ombre… Alors qu’il fait chaud… Trop chaud… Tant pis pour la poésie.

 

  20 juin 2017.

Retour à la politique (de toute façon, je ne fais pas de poésie). J’ai deux convictions chevillées au corps. 1- Je crois que la seule démarche qui vaille est la démocratie. La diversité des opinions est la meilleure chose qui nous arrive et autant la considérer ainsi parce que de toute façon, elle s’impose. Nous sommes donc les obligés de la réflexion, du débat, et quand vient l’heure de décider, du choix majoritaire, qui ne doit jamais mépriser les options minoritaires. 2- Parce que la lutte des classes que nous menons pour des conquêtes populaires est forcément une lutte démocratique, je crois qu’il n’y a pas de succès, de victoires du peuple sans l’union. Pour ces deux raisons, je crois aux coalitions et aux compromis qui les rendent possibles. « Soyons utopistes, exigeons l’acceptable ! »

 

  21 juin 2017.

C’est étrange, toute cette quincaillerie de clous, de vis et d’écrous, et de boulons et tiges filetées qui traînent dans notre lit quand elle n’est pas là. Franchement ça ne donne pas envie de dormir. Et je ne me couche même pas.

 

  22 juin 2017.

Sur la corniche du cinquième étage de l’immeuble « Fabien »  où siège le Parti communiste français, un pigeon a fait son nid. Ce n’est pas un pigeon ramier, plutôt un pigeon parisien. Et encore, pas un pigeon des beaux quartiers de l’ouest de la capitale, un pigeon tremblotant, un pigeon maigrichon, un vrai pigeon de cité populaire. Je lui dis si tu es là, c’est que tu nous couves quelque chose. Il me dit oui, justement, et j’espère bien voir s’envoler du nid dans quelques jours deux ou trois beaux petits pigeonneaux. Je lui réponds avec ton aspect souffreteux de pigeon de banlieue, ce n’est pas gagné, mais en tout cas, il n’y avait pas meilleurs endroit pour nicher que celui que tu as choisi.

 

  23 juin 2017.

Il parait que quand je parle aux pigeons, ma pertinence politique et ma pensée critique s’évanouissent. Promis, je ne le ferai plus. Je parlerai désormais aux poissons (rouges), aux colombes (de la Paix), aux rameaux (d’olivier), aux faucilles (et aux marteaux), bref à tous ce qui s’apparente de près ou de loin à des symboles communistes bien ancrés dans l’histoire. Plus question que je dérape.

 

  24 juin 2017.

Depuis ce bar un peu crade je nargue la canicule. Ma bière (une Leffe) est aussi fraîche que la serveuse, qui affiche avec agilité un accent de l’Est de l’Europe, est blonde. Elle a fort à faire avec les plaisanteries de trois tonnes des habitués. Son regard bleu se fait un peu complice tandis que j’avale ma bière à petites gorgées, en retenant l’amertume comme on fait durer un plaisir.  

 

  25 juin 2017.

Dimanche RER B vers le sud. Un jeune garçon avec une boite à gâteau fermée par un joli ruban rose. On dirait qu’il n’habite pas son corps tant il parait gauche et timide. Je l’imagine invité par de futurs beaux-parents, dans une petite villa avec jardin. « Fiançailles à Villebon sur Yvette », s’intitule mon roman. Station  Cité universitaire. Elles sont deux à monter dans la rame visiblement équipée pour la randonnée : shorts courts et petits hauts décolletés. Elles s’assoient face à lui, souriantes et taquines.  Je sens son malaise grandir et les taquineries redoublent. Il aimerait être ailleurs, loin d’ici, ça se voit tellement. Est-ce que se voit autant combien j’aimerais être à sa place ?

 

  26 juin 2017.

Le vieux chinois est monté dans la troisième voiture de la rame du métro ligne 2 à la station Stalingrad à 19h20. Il était tout sourire. Le vieux chinois, tout sourire, a longuement remercié le jeune homme qui lui a laissé sa place assise. Le vieux chinois a dit tout haut en souriant qu’il se rendait à la station La Fourche. Le vieux chinois a remercié longuement en souriant la femme et l’homme qui lui ont dit qu’il fallait qu’il descende à la Place Clichy pour rejoindre la ligne 13. Le vieux chinois, le sourire éclatant, a remercié longuement tous les passagers de la rame qui lui ont signalé qu’on était à la Place Clichy et qu’il lui fallait descendre et rejoindre la ligne 13. Tous les passagers de la troisième voiture de la rame du métro ligne 2 étaient tout sourire quand le vieux chinois est descendu à la station Place de Clichy, au bras d’une jeune fille qui l’a conduit jusqu’à la ligne 13.

 

  27 juin 2017.

Elle a ramassé son vieux sac plein de chiffons, a redressé son chapeau de paille flétri, et elle est sortie en boitant à la station Anvers. La rame a soupiré, soulagée. Comme si la mendiante, à moitié démente, portait sur elle toutes les faces sombres des usagers de la ligne 2. Elle, partie, ne subsistait que le net, le pur, le  convenable, avec quand même, juste à l’arrière de la gorge, la fadeur d’un spasme nauséeux.

 

  28 juin 2017.

Ce soir, réunion du parti communiste dans un coin de la campagne morbihannaise, assez loin de tout. Ce n’est pas une critique, il faut parfois prendre un peu de recul (à condition que ce soit provisoire.) En tout cas, 22heures, il fait encore clair sur la route du retour. Une portion bien droite à travers champs, j’aperçois un renard, avec sa belle fourrure rousse et son cou tout blanc. Je lui demande est-ce bien prudent pour un renard de se promener ainsi entre chien et loup ? Cela te fait beaucoup d’ennemis! Il me répond je connais des communistes qui en plus de leurs ennemis « naturels », passent beaucoup de temps à s’en fabriquer d’autres. Pas faux. Mes conseils aux renards, je me les garde. 

 

  29 juin 2017.

Une nuit contre elle après des jours d’absence. C’est une humeur joyeuse, un torrent de fonte des neiges, à saluer la chaude pénombre. Un peu de vie pour durer encore, à peine un souffle. Dehors, la pluie, insatiable désir, et plus loin la mer. Près d’elle je vis un monde amniotique.

 

  30 juin 2017.

J’ai beaucoup parlé aux animaux ce mois-ci, du pigeon au héron et au renard… Il est temps que je m’adresse un peu aux tomates de mon jardin. Qu’attendez-vous ? Faut-il qu’on vous explique tout ? N’êtes-vous pas capable  de comprendre par vous-mêmes qu’il n’y a rien à attendre du changement promis par le très président ? Et qu’il est temps de piquer une belle colère ? Une colère très juste, très juste et très rouge ! (Qu’enfin je vous croque).

 

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