Pensées des jours de juin

 

En juin je croyais, l'été venu, à des pensées légères et vagabondes. Mais ce fut un juin de bourrasques, de lourds nuages et de rouges colères. Mes pensées s'en ressentent, mais je ne cacherai rien, même si je ne suis pas fier de tout.

 

1er juin

Comme il y a des dizaines de millions de Français qui désapprouvent la loi El Khomri, comme presque autant rejettent sur le gouvernement la responsabilité des blocages et tensions, comme le mouvement loin de s'essouffler se développe, comme un très grand rendez-vous national de manifestation est lancé pour le 14 juin, et comme les perspicaces observateurs experts politiques en tout genre (et un seul parti-pris) nous l'assurent prenant appui sur la nouvelle polémique lancée par Djamel Debbouze et Karim Benzema... C'est clair : l'enjeu des échéances de 2017 sera l'identité et en aucun cas le social. Et qui c'est qui dit merci ? C'est Marine Le Pen !

 

2 juin

Indiscipline. Franchement à quoi tu penses? Oublier de penser un premier jour du congrès de parti communiste ! C'est quand même faire preuve de mauvais esprit !

 

3 juin

Objectif partiel. Il m'arrive de penser même pendant le congrès. Je crois que nous avons encore beaucoup d'efforts à faire pour nous guérir de notre culture du grand soir. On dit processus etc... mais en réalité, ce qui s'exprime, c'est qu'on veut tout, tout de suite. Et résultat, on n'obtient rien, mais tout de suite quand même. Ce qui est tout de même un résultat. Peut-être que le caractère révolutionnaire d'une mesure ne dépend pas de son niveau de rupture avec l'ordre existant mais de sa capacité à rassembler pour s'imposer et à créer une énergie dynamique pour se garantir.

 

4 juin

Confusion. Sur la ligne numéro 12 du métropolitain, la station "Assemblée Nationale" est fermée au public. "Pour travaux", dit l'annonce de la RATP diffusée dans les stations voisines. Moi je croyais que c'était "pour 49-3".

 

5 juin

Réponse sans question. Qu'est-ce que la vie ? Tous les soirs j'essaie de m'endormir sur cette question. Elle tourne sans réponse. Et le matin, toujours sans réponse, je lui donne rendez-vous pour le soir. En attendant je m'émerveille. Un jour, ou une nuit, les cartes seront distribuées, la mort aura gagnée et fera sa levée. La vie est la réponse, mais quelle est la question ?

 

6 juin

Vieux par surprise. Ce matin je suis dans le métro, ligne 13 et une jeune femme me propose sa place assise. Elle a un sourire et des yeux de printemps et crânement je refuse et reste debout malgré mes douleurs au genou. C'est drôle comme, tout d'un coup, ça vous tombe dessus, la vieillesse. On croit que... et vlan, voilà que vous n'êtes plus tout à fait jeune. Est-ce un effet de l'âge? J'ai totalement oublié depuis quand je me suis mis à vieillir. J'ai des excuses : vieillir est une mauvaise habitude qu'on attrape dès sa plus tendre enfance.

 

7 juin

Je suis allé voir, sur les Quais de la Seine, près du Pont Neuf en face de l'Île de la Cité, le fleuve sorti de ses gonds. Pas de tourbillons fous comme on en voit dans les torrents de montagne à la fonte des neiges, pas de remous velléitaires, mais le beau, calme, énergique courant gonflé d'une arrogante colère. La Seine n'a pas choisi, n'a pas trié, elle a absorbé toutes les petits courroux, les emportements, les accès de rage du moindre de ses affluents, et en a fait cette puissance ravageuse et calme, capable de tout emporter sans avoir l'air de rien, sûre de sa vigueur tranquille. Quand même, à ce niveau d’agrégation des forces, ça vous a une de ses gueules !

 

8 juin

Froide détermination. Ce soir je me sens loin de la mer du jusant qui porte au large et du flot qui ramène au rocher de sorte que toujours j'y reviens sauf que la grève n'est pas au bout de la ligne 13 du métropolitain mais d'un TGV en grève qui use ma patience et demain je le prendrai à la gare Montparnasse défi au défi relevé parce qu'au bout il y a la grande plage des vagues salées et de ses baisers sucrés.

 

9 juin

Vive le bonheur ! C'est curieux comme le débat politique ne semble animé que par des oiseaux de malheur. Demain c'est l'euro, la grande fête du foot, du sport, des publics qui supportent les équipes, un moment de joie spéciale... Avec, comme toute fête, ses grands élans d'émotions fraternelles et ses débordements idiots. Mais l'essentiel est là, la fête. La fête ? Et bien non ! Écoutez les, les Pécresse, les Sapin, les Sarkozy... Pour eux, c'est la soupe à la grimace. Ils nous annoncent la fête gâchée par les grèves ! Comme si la grève, c'était triste ! Comme si les grévistes n'étaient pas aussi des footeux ! Et quand ça ne suffit pas, il faut faire peur ! Avec les attentats. Faudrait y aller la peur au ventre. La tragédie est-elle la seule chose qui va bien au peuple ? Sans doute, selon eux, bien mieux que le bonheur en tout cas. Même dans notre camp il y en a des oiseaux de malheur qui condamnent la fête au nom de ses débordements. Ça m’énerve ! Alors vive le foot, vive l'euro, vive la fête ! Laissons le drame à ceux qui le vénèrent. Et allez les bleus !

 

10 juin

Conversation secrète. Le soleil m’a dit que ma conversation était brillante mais le ciel est resté chagrin. Quand j’ai parlé à la mer, elle m’a expliqué que le langage que j’employais était bien trop vague. La terre ne voulait pas m’entendre et m’a sommé de me taire. La rivière m’a reproché de l’importuner au saut du lit. Quand j’ai interpellé le vent, il a répliqué que je ne manquais pas d’air. Ce que j’ai dit pour elle tient en trois mots et elle m’a répondu : « moi aussi ».

 

11 juin

Machisme ordinaire. Je me suis mis à genoux, pour lui présenter mes excuses. Mais je n'ai pas cédé. Je suis maintenant en proie à des sentiments contraires. Un peu de honte mais aucun remord. Sur le grand écran de la télévision, j'ai suivi hier le match France-Roumanie tandis que sur le petit écran de son ordinateur, elle tentait de voir un épisode de Candice Renoir. La vie est moche. Parfois.

 

12 juin

Impatience. J'aurais aimé, après ce séjour à Paris, prendre un peu la mer, comme ça, gentiment, histoire de bouger un peu, de tracer un sillage. Mais l'anticyclone semble bloqué, loin, très loin de nos côtes. Pluie, rafales, pesanteur de l'air, orages, grains sont notre lot.

"Après la pluie le beau temps", me dit-elle pour consoler mon impatience. Mais tailler la glycine, tricoter le pull du petit-fils, préparer une tarte à la rhubarbe... semble pouvoir la combler. Moi, de temps en temps, il me faut bousculer les murs, écarter l'espace, éloigner l'horizon, pour ne pas étouffer. Dans ses yeux passent des ombres désolées. Je lui dis : "Je sais pourquoi je ne suis pas souvent heureux".

 

13 juin

Pédagogie de baroudeur. Donc demain, c'est le baroud d'honneur ! Ce qui veut dire, en langue de bienséance journalistique, que sur ordre de Martinez, on défile, on casse peut-être une ou deux vitrines, histoire de bien se déconsidérer, et puis après, on va se coucher, bien contents d'avoir pris en otage tout un pays dans son euphorie footballistique, et satisfaits d'avoir fait une fois de plus honte à la France, et surtout démoli le peu de crédit compétitif que nos voisins industrieux, courageux, persévérants dans leur avidité de réformes libérales, nous accordaient encore. Bon d'accord, la phrase est un peu longue, mais pédagogie oblige, et j'en connais qui sont durs à la comprenette !

 

14 juin

Y a-t-il un Président ? Ce qui devrait caractériser un homme d'Etat, ce n'est pas seulement de mettre les mains dans le cambouis, comme on dit, mais c'est, dans une crise, savoir en sortir, savoir inventer des solutions pour permettre à tous les protagonistes de trouver une issue. Quitte à renoncer à certains de ses projets. Face à des semaines d'une mobilisation qui ne se dément pas, alors qu'on n'a trouvé aucune majorité, ni populaire ni parlementaire, pour imposer sa loi, on ne peut s'en tenir au mépris, au déni, et à l’indécence de déclarations d'un ministre de l'Intérieur faisant un lien entre l'assassinat de deux policiers et "les hordes de casseurs manifestants" ou les affiches syndicales s'en prenant aux méthodes policières. Jusqu'où ira le jusqu'au boutisme Hollandais ?

 

15 juin

Le temps de la relève est venu. Je n’aime pas  ce que devient notre pays, je n’aime pas l’image qu’offre la France aujourd’hui. Que j’en attribue la responsabilité unique au président de la République et au Premier ministre, au gouvernement et au seul parti qui encore les soutient, ne me console pas.

Le blocage, le mensonge, la violence ont pris les rênes. Plutôt que de répondre à l’avis des salariés et des jeunes, Hollande, Valls et Cazeneuve ont décidé qu’il était temps d’avoir la peau de la CGT. C’est  une posture lourde de danger pour le pays. Elle libère l’espace à la droite, à l’extrême droite, pour l’emporter et surtout, pour imposer au pays un recul social et démocratique inconcevable. S’ils étaient des dirigeants dignes de ce nom, ils chercheraient une porte de sortie à cette situation gravissime. Ils s’y enfoncent et y enfoncent le pays.

Le temps de la relève est venu, le temps de se rassembler est venu, et cette pensée s’adresse d’abord aux socialistes qui ne veulent plus laisser l’équipe libérale et irresponsable au pouvoir confisquer leurs valeurs, leurs convictions, le combat de la gauche.

 

16 juin

Hypothèse. J'ai fait la sieste dans le courant d'air de la véranda. La chaleur du soleil gagnait son match contre la fraîcheur du vent. Là-haut, tout en haut, se balançaient des branches, lentement mais en y pensant bien. Qui pense ? Le vent, la branche, moi qui me demande qui pense ? J'opte pour le vent car c'est lui qui me guide. Sans le vent pour les retenir, mes pensées seraient si fugaces, elles ne pourraient même pas s'accrocher aux branches. Peut-être le monde serait-il meilleur si on laissait le vent penser avec nous.

 

17 juin

L'intuition d'une catastrophe. J'ai le sentiment un peu flou, un peu étrange, difficile à exprimer, que la rencontre entre El Khomri et Philippe Martinez marque l'entrée du pays dans la catastrophe politique. J'ai beaucoup de mal à comprendre comment, un pouvoir démocratiquement installé peut se comporter comme le gouvernement Valls.

La situation est pour moi assez simple. D'un côté les arguments dont le pouvoir s'est servi lui-même pour tenter d'isoler et décourager la mobilisation contre la loi travail : l'Euro de foot, les menaces et attentats terroristes nécessitant selon lui la prolongation de l'état d'urgence, les violences des casseurs en marge des manifs... De l'autre la persistance pour le moins à un haut niveau de cette mobilisation.

Au vu de ça, sans perdre la face mais au contraire en affichant une volonté de calmer le jeu, ce qui est tout de même la responsabilité première d'un gouvernement, il pouvait dire : je suspends l'examen du texte au Parlement, au moins le temps de l'Euro, et j'en profite pour rediscuter avec les syndicats.

Mais non. Circulez, il n'y a rien à voir, rien à attendre, rien à entendre...

Il met donc le pays dans un blocage total. Ce qui mène à quoi ? Côté pouvoir l'utilisation, après le 49-3, de décisions anti constitutionnelles comme l'interdiction de manifester. De l'autre, une possible exaspération de la mobilisation populaire. La violence est le seul horizon de cette irresponsabilité gouvernementale. Nous y allons.

 

18 juin

Un anaconda dans le jardin. Quand j'ai fini de tailler aux ciseaux la haie de tullias, une haie bien droite mais qui méritait la taille, j'ai regardé. Désormais, notre jardin est gardé par une sorte d'anaconda géant.

Je lui ai dit les chats du voisinage ne viendront plus gratter dans le potager. Elle m'a dit pourquoi? Je lui ai parlé de notre anaconda géant qui ferait fuir les chats. Elle a dit non ça va très bien, juste un peu de vagues mais c'est normal au bord de la mer. Je lui ai demandé si elle disait ça pour me faire plaisir ou parce qu'elle manquait d'imagination.

 

19 juin

Sans cœur. Aujourd'hui, petite accalmie météo. Du vent mais pas trop, de quoi gonfler les voiles du bateau. Sortie en baie de Quiberon, on cingle vers Hoedic. Un régal ! Derrière le bateau, on traîne une ligne et par hasard, un joli maquereau se jette dessus. Il était très mignon avec ses grands yeux implorant. Si beau dans sa robe chamarrée. Petit, joli à faire pitié... Du coup, on l'a mangé !

 

20 juin

Donc si je comprends bien. La décision du PS d’organiser des primaires quasi internes, minable petit magouillage en recul pour tenter de légitimer Hollande (impossible pari), suffirait à décourager certains communistes de se battre pour un rassemblement gagnant, la construction d’un Front populaire et citoyen, tel qu’ils viennent de le décider à leur congrès. Dit autrement, tout se déciderait à Solferino, l’annexe de l’Elysée. Allons, nous disent-ils, assez perdu de temps, rallions-nous vite à la campagne de JLM ! Mais les raccourcis sont des chemins le plus souvent bordés de roses. En rêve comme en réalité.

 

21 juin

Météo tendancieuse. Pluie continue aujourd'hui. Une fête de la musique en novembre, le quinquennat de François Hollande ne nous aura rien épargné.

 

22 juin

C'est simple. Rendez-vous demain, on va gagner !

 

23 juin

Après l'orage. Ce soir, au-dessus de la maison, les couleurs du ciel m'ont fait comprendre qu'un jour, peut-être, il fera beau.

 

24 juin

Totale surprise. Et voilà que François Hollande, et bien d'autres dirigeants français et européens, se rendent compte que leur construction européenne ne convient pas aux peuples. Promis, juré, ça va changer !

 

25 juin

Secret dévoilé. Quand je cherche mes mots, ce n'est jamais pour faire joli, ce n'est jamais pour illuminer la réalité. Je tente d'approcher au plus près le monde que je ressens. Ensuite, je m’aperçois que le monde que je ressens n'existe pas, ou plutôt n'existait pas jusqu'à ce que je trouve les mots. Et alors mon monde se met à exister, dans moi et peut-être aussi, j'espère, à l'extérieur de moi. Je n'ai pas fini le travail. Il me faut encore ajuster les mots, les ordonner, pour donner du rythme parce que le monde est mouvement et que le mouvement a besoin du rythme. Sinon le monde s'étiole et l'horizon se fane. Et je n'aime plus mon monde.

 

26 juin

Une étoile au Michelin. Ce soir nous allons au restaurant fêter l'anniversaire de notre mariage. Je lui demande lequel. Le huitième me dit-elle avec un soupçon d'exaspération. Je réplique (de mauvaise foi) qu'évidemment je sais que c'est le huitième, mais j'ignore si ce sont les noces de coton, de bois roulé, ou de poivre en grain. Elle cherche sur Google et me dit ce sont les noces de coquelicot. J’aime cette fleur éphémère qui ne supporte pas facilement qu'on la cueille tant ses pétales sont fragiles. Alors ce sera un bon restaurant.

 

27 juin

Appellation contrôlée. Je regarde les nuages (en ce moment le spectacle est permanent) et je leurs donne des noms. Celui-ci s'appelle "lion", et celui-là "pelote". Au loin "chanceux" a rattrapé la course de "molosse" et c'est lui qui l'a dévoré. Au ras de l'eau roule "bourriche" et au-dessus de lui, "présage" semble le protéger. Tous ces nuages méritent-ils leurs noms ? J'aimerais qu'un nuage porte le mien mais je ne l'ai pas encore trouvé.

 

28 juin

Naïveté assumée. Est-ce que nous pouvons, sûrs de ne pas nous tromper, sonder le cœur et les reins des autres ? Savoir ce qu'ils pensent et ce qui les motive. Moi, je ne le crois pas et je n'aime pas cette manie très répandue, en politique notamment, de présumer des intentions. Les actes et les paroles d’abord comptent à mes yeux. Les mobiles prêtés, sont suspicions, soupçons. Je m'y refuse le plus souvent possible. On dit que ça me rend naïf et peu opérationnel. Je veux bien le croire. Et assumer.

 

29 juin

Que demande le peuple au port de Vannes. Je ne suis pas communiste avance-t-il pour justifier sa réticence. Je lui réponds pour une fois qu'on vous demande vraiment votre avis. Là vous marquez un point dit-il et il prend le questionnaire. Sur toutes les questions, il a un avis. Et il remplit les cases consciencieusement. Mais sur beaucoup c'est, je suis d'accord mais c'est impossible. Et alors il n'inscrit rien. Il met 25 minutes pour arriver à la dernière question : qu'auriez-vous à dire au parti communiste ? Il me répète je vous l'ai dit je ne suis pas communiste. Et sur le questionnaire, sous cette question, il marque "Bravo".

 

30 juin

Présences nocturnes. Je retarde autant que possible le moment de retrouver mon lit. Elle n'est pas là pour quelques jours. L'absence a créé un espace mou, là, en plein milieu. Mille insectes y sont occupés à forer, trouer, à fouiller le profond de mes rêves, à en détourner le sens. J'ai envie d'expulser les terreurs anciennes, celles qui me faisaient bondir hors du lit d'enfant, et qui pèsent aujourd'hui d'une chaleur de couette d'hiver. Alors je hurle, en rêve (en rêve seulement ?). Qu'importe, il n'y a personne pour entendre.

 

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