Pensées des jours de mars

J'ai continué en mars, au jour le jour, au fil de mes humeurs et de ce que je perçois de celles du monde. Je livre comme c'est venu, au risque que les faits démentent, au risque de l'incohérence. Un mois de plus, une pensée par jour, épuisant !

 

1er mars

Mars attaque. C'est devenu un peu comme une drogue : il me faut une pensée quotidienne. Sans elle, je me sens perdu, orphelin de pensée. Je songeais que février écoulé, j'aurais eu bonne grâce à demander grâce. Et bien non, il faut que je remette ça en mars. Vous en reprenez pour un mois ferme, sans sursis. Je me demande de quoi vous vous êtes rendus coupables. Ça ne devait pas être joli, joli...

 

2 mars

Haïku politique.

"On vaut mieux que ça

Leur loi ne passera pas

Rouges seront les rues"

 

3 mars

Improbable possible. Est-il possible que les gens à nouveau s'unissent, qu'ils retrouvent un peu de leur ardeur, un peu de leur confiance, un peu de leur folle sagesse ? Est-il possible qu'après un si long sommeil, le rouge leur monte à nouveau aux joues ? Est-il possible que tes arguments portent quand ils n'avaient plus touché aucun cœur depuis des décennies. Est-il possible que fleurissent à nouveau des banderoles d'espérance ? Si tu ne le vois pas, si tu n'y crois pas, retourne à tes habitudes.

 

4 mars

L’essentiel. Ce matin je suis passé devant le miroir et je me suis vu. J’ai vu combien mon front était devenu grave ces temps-ci. J’ai vu, comme je vous vois, l’absence du chant des merles. J’ai vu mes yeux qui avaient gagné en éclat fiévreux. J’ai vu se casser mes cheveux sous mes doigts. Je n’ai pas vu qu’elle rentrait des bûches pour la cheminée et que tout son corps quémandait l’aide en vain. Je n’étais plus là pour ça, perdu dans une improbable mission et j’en ai oublié l’essentiel. Un nuage qui s’étire. Les hanches de la houle qui précèdent l’écume du désir de plage. Et les sourires croisés en poussant le caddie du supermarché.

 

5 mars

Maudits messagers. Hermès, dieu du commerce et du vent, messager ailé des mauvaises nouvelles, tu t’es reproduit à loisir, ici. Fils de Zeus tu as une descendance multiple. J’en connais plus d’un, sous la coupole profane, appliqués à l’annonce des funestes augures, transformant l’or en plomb et le diamant en bimbeloterie. Ignorant que pour moins que ça, aux temps des dieux vengeurs, ces messagers imbuvables étaient assassinés.

 

6 mars

Soirée de solitude. Je me suis guéri d'un petit coup de blues solitaire en pensant à une phrase d'Elsa Triolet qui disait à peu près : 

"J'aime mieux qu'il n'y ait personne, quand vraiment il n'y a personne, que quand il y a plein de gens et qu'il n'y a personne tout de même."

 

7 mars

Décor de fin de règne. Foin des corps suppliciés de Riyad, on décore à Paris le prince d'Arabie. Voilà qui finira dans le décor.

 

8 mars

Impasse démocratique. Si on ne voit pas que les citoyens en général et ceux de gauche en particulier, ne supportent plus qu'on parle en leur nom sans jamais les consulter réellement, on est condamné à l'impuissance. Il y a des leaders qui se prétendent les porte-voix de masses réduites au silence. Ceux-là pourront peut être gagner quelques positions électorales, si les conservateurs de l'ordre établi l'estiment nécessaire. Mais ce ne sera jamais pour changer les choses.

 

9 mars

Soir de manif. Un poème opportun, « Esquisse », du poète iranien Garous Abdolmalekian. Aujourd'hui dans les rues de France, du vent... et d'innombrables robes.

Le poème dit :

« Ta robe bouge dans le vent

Voilà

Le seul drapeau que j'aime. »

 

10 mars

Conseils avisés. Je sens bien que je vais m'attirer quelques inimitiés parentales. Mais, c'est plus fort que moi, je ne peux m'abstenir de délivrer mon message : « Lycéennes, lycéens, mes premières manifs furent le nid de mes premiers baisers. Je vous les souhaite aussi (sauf l'âcre des lacrymogènes) ».

 

11 mars

Impatience nautique. Aujourd'hui, profitant d'une accalmie, j'ai gréé les voiles de mon bateau ArTiYote. Et puis je l'ai laissé, voiles ferlées, ses deux quilles bien posées sur le terre-plein du chantier naval où il passe l'hiver. Il ne sera mis à l'eau qu'à la fin du mois. Il n'a rien dit mais j'ai senti combien il me faisait la tête.

 

12 mars

Une priorité. La jeunesse était sa priorité. Il l'avait dit en 2012. Mais depuis, les jeunes ne s'en sont pas tellement aperçu. Alors il le redit, avec conviction. "C'était ma priorité et ça le restera jusqu'à la fin de mon mandat". Les jeunes ont décidé eux aussi qu'il fallait une priorité : pourrir la fin de son mandat.

 

13 mars

Poème tâtonnant. J'aime lire les poètes. Parfois, ils inspirent les petites choses que j'écris et qui ne méritent pas d'être rangées au rayon de la poésie. Il arrive aussi aux vrais poètes de ne pas se prendre pour des génies. Ainsi Guillevic.

"La nuit accouche des étoiles

Toi, tu accouches des poèmes :

Lentement,

En tâtonnant.

Mais la nuit

A plus de talent."

 

14 mars

Funeste distraction. La nuit dernière, j'ai fait un rêve étrange. Je la cherche dans la foule massée pour me rendre un dernier hommage. Mais c'est en vain : elle n'est pas là, où pourtant elle aurait dû être.

Alors je regarde cette foule, les visages un par un. Et je m'aperçois que je n'en connais aucun. Il n'y a qu'une explication possible : je me suis trompé d'endroit. Ou d'heure. Je ne suis pas présent à mon propre enterrement. Et je me dis que c'est peut-être la meilleure idée que j'ai eu de ma vie.

 

15 mars

Beaux quartiers. Autour du 16e arrondissement de Paris, on a fini par construire un grand mur. Les habitants voulaient se protéger ainsi des SDF, des HLM, des RSA et des Smicards. Et surtout des immigrés. Du coup, les petites bonnes, les éboueurs, les facteurs, les gardiens d'immeubles et toute la cohorte de ces gueux n'ont plus pu venir remplir leur office. Les saletés, les poubelles, les déchets ont envahi les beaux appartements, les escaliers de marbre, et les larges avenues bordées de tilleuls. A l'extérieur du mur, on a écrit "derrière commence l'enfer". A l'intérieur, on ne s'est aperçu de rien. Il y a bien longtemps que la crasse avait envahi les cerveaux.

 

16 mars

Racines créatives. Je me demande toujours, avant d'écrire, où je vais aller, où vont me conduire mes mots. Et en vérité, je n'en sais strictement rien. Pour se nourrir, la plante a besoin d'eau et de terre. C'est là qu'elle s'enracine. Pour se nourrir, mes mots ont besoin de ce qu'ils finiront par écrire. Les racines de mes mots sont le texte qu'ils composent.

 

17 mars

Cinquième degré. J'ai du mal à comprendre pourquoi tout ce monde, ces jeunes, ces salariés, les syndicalistes, les partisans des droits humains et de la République, les gens de gauche en général, en veulent tellement à François Hollande, Manuel Valls et son gouvernement.

Ce pouvoir multiplie les gestes de bonne volonté : sur la déchéance de nationalité, sur la loi travail, sur les réfugiés... Et voilà aussi qu'il annonce qu'il va augmenter les fonctionnaires !

Décidément, c'est difficile de gouverner quand on a affaire à des ingrats !

 

18 mars

Promesses noires. La tempête a détruit le nid des tourterelles, dans le chêne vert que j'avais si mal taillé. A leur place s'est installé un couple de pigeons ramiers. Tandis que Madame garde le camp, Monsieur construit autour d'elle un nid de brindilles sèches. Et ce sont vas et viens incessants, grands bruits d'ailes agitées (je regrette mes discrètes tourterelles).

Le ciel breton est à l'azur ces jours-ci.

Les oiseaux filent à travers le jardin comme mes idées. Noires dans leur manteau bleu.

Tandis que tout s’agite dans la promesse des devenirs, je regarde les rides effacer mon visage.

 

19 mars

Welcome Refugies. En 1955, le poète Yves Bonnefoy écrit « Vrai lieu ». Ce poème conviendrait aux réfugiés, ou aux sans logis refusés du 16ème arrondissement.

« Qu'une place soit faite à celui qui approche

Personnage ayant froid et privé de maison

Personnage tenté par le bruit d'une lampe,

Par le seuil éclairé d'une seule maison.

Et s'il reste recru d'angoisse et de fatigue

Qu'on redise pour lui les mots de guérisons.

Que faut-il à ce cœur qui n'était que silence,

Sinon des mots qui soient le signe et l'oraison,

Et comme un peu de feu soudain la nuit,

Et la table entrevue d'une pauvre maison. »

 

20 mars

Le printemps s’impatiente.

Bien mieux que l’hirondelle

Les sourires ensoleillés d'un ami et de sa compagne nouvelle

Annoncent l’arrivée des beaux jours.

 

21 mars

Fiction bégayante. Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou, Nathalie Arthaud, ceux qui se veulent la gauche de la gauche figureront à nouveau dans le casting de "2017" un film catastrophe remake de "2012". Le scénario est connu et la fin diffère largement de l’œuvre originale : le désastre annoncé d'un second tour droite-FN. Pas de "happy end" à attendre de cette version. Un autre casting pour un scénario différent est à l'étude.

 

22 mars

Rage bruxelloise. Le cœur à la nausée face à la barbarie. Mais la tête dans le maelström des "pourquoi ?". Je refuse les injonctions de ceux qui voudraient qu'on abdique de notre devoir de pensée critique. Je refuse les enrôlements sur fond de bruit de botte. Je réfute l'idée que la sécurité passe par la guerre. Unité populaire, d'accord mille fois, mais pour la tranquillité, la sérénité et la paix, pas pour la peur, la vengeance et la guerre.

 

23 mars

Ouvrir l'avenir. C'est un de ces jours où les pensées ont du mal à s'élever au dessus des terrains poussiéreux. Et puis, en soirée, Edmond Baudoin nous envoie son dessin, et un témoignage de vie et d'intelligence qui nous réconcilie avec les ciels sereins (voir sur mon mur). L'avenir existe, il l'a rencontré et partage avec nous. Ouvrir, ouvrir, ouvrir, merci  Edmond Baudoin.

 

24 mars

Extrême limite. Minuit moins une, il ne me reste guère de temps. Je procrastine : demain sera un autre jour. Meilleur ? Je ne sais pas mais j'aspire toujours au meilleur.

 

25 mars

Charité désordonnée. Ce matin dans la rame du métro, un homme à la voix criarde, nasillarde et vraiment désagréable, demandait qu'on lui vienne en aide de quelque pièce, expliquant qu'il avait perdu son travail et qu'il en avait assez de dormir à la rue. Mon voisin de siège, dans un murmure réprobateur et agressif, dit que lui aussi avait perdu son boulot mais qu'il arrivait à se débrouiller sans emmerder le monde. J'avais préparé une pièce de un euro pour le mendiant mais je demandais à mon voisin : "à qui faut-il que je la donne, à vous ou au mendiant ?" Mon voisin a hésité une seconde avant de tendre la main vers moi. J'en ai été quitte pour deux pièces.

 

26 mars

Retour aux fondamentaux. Chez les communistes, l'union n'est pas une option. C'est une raison d'être. Tout petits, déjà, avec comme acte de naissance : “Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !” Alors je conseille de réviser sérieusement leurs classiques à ceux qui ont le retour aux fondamentaux en permanence en bouche, mais considèrent comme trahison contre-révolutionnaire tout effort visant à un rassemblement politique, à une union des forces de progrès, à une unité de la classe ouvrière et du peuple.

 

27 mars

Bonne compagnie. Comme je me refuse à dire "jamais plus les socialistes, jamais avec eux", on me dit que je suis un bien piètre révolutionnaire. En vérité, on me dit un peu plus que ça : que je suis un traître, un couard, un homme qui ne cherche que son intérêt, veut sauver son poste... Bon je n'ai pas de poste, je milite depuis presque 50 ans au PCF sans jamais avoir été candidat à une élection, et beaucoup de ceux qui me connaissent savent à quel point mon intérêt financier passe avant l'intérêt de mon parti (zut ! j'ai oublié qu'il n'existe pas de point d'ironie en français).

Donc traître et renégat pour refuser de dire "jamais je ne ferai rien avec tel ou tel", je m'en accommode en me disant que je ne suis pas en mauvaise compagnie avec d'autres traîtres comme Lénine, Thorez, Trosky, Mandela et Arafat... pour n'en citer que quelques uns.

 

28 mars

Poésie américaine. Des États Unis d'Amérique, j'aime beaucoup les poètes. Et fatigué ce jour des ardentes querelles, je vais me reposer dans l'univers un peu sulfureux de Charles Bukowski.

"J'ai plus d'allumettes.

les ressorts de mon lit

sont cassés.

ils ont volé ma peinture à l'huile

celle avec les deux yeux roses.

ma voiture est pétée.

des anguilles glissent sur les murs de ma

salle de bain.

mon amour est brisé.

mais la bourse est à la hausse

aujourd'hui."

 

29 mars

Théorie de la relativité. Petit tour de Bretagne en TGV. La découverte d'un obus de la seconde guerre mondiale en gare de Laval a détourné notre train. Passage par Angers et Nantes, puis Rennes, et enfin Vannes, notre destination. Un petit zig-zag qui m'a donné l'occasion de réfléchir à une des grandes énigmes de mon monde. Je n'ai pas trouvé la réponse mais je vous livre la question qui a distrait ce long voyage.

La mouche qui vole dans le sens de la marche à l'intérieur d'un TGV à pleine vitesse, vole-t-elle plus vite que celle qui emprunte un car Macron ? Et quel est leur bilan carbone respectif ?

 

30 mars

Succès de gauche. Une des façons de perdre les guerres est de ne pas fêter les victoires. Ce soir, je fête ce revers cuisant infligé à Hollande et Valls. Avec Cambadélis, ils accusent la droite mais ça ne trompe personne. C'est à gauche qu'on ne s'est pas laissé faire. C'est à gauche qu'on a empêché ces trahisons des valeurs. Alors fêtons et n'ayons pas le succès modeste parce qu'il ouvre la porte à d'autres victoires. La loi travail ne passera pas !

 

31 mars

Maîtres pour de vrai. C'est plus qu'une immense colère qui s'est exprimée ce jour sur les pavés, du nord au sud du pays. C'est une grande soif.

Devant quoi il n'y a qu'un devoir. Aider à l'expression ordonnée des exigences. De toutes natures, sociales et politiques.

Ne pas confisquer ce mouvement, lui donner les clés de toutes les échéances. Candidatures comprises.

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