Mes pensées quotidiennes d'avril 2020

1er avril

Nouvelles du front. J’ai jardiné toute la matinée avec un allant pas possible. Ensuite une bonne marche avec elle de plusieurs kilomètres, de quoi se mettre en jambe, pour une partie de pêche en bateau au large des îles. Attrapé trois ou quatre bars, mais je les ai remis à l’eau, ils étaient trop petit. On verra demain. Pour les daurades, elles faisaient la maille, donc on les a gardées. Ensuite je me suis réveillé de la sieste en me demandant ce que je pourrais bien raconter du front, en ce mercredi premier avril.

 

2 avril

Nouvelles du front. Ce matin je devais aller à la boulangerie, le pain venant chez nous à manquer. Elle m’a dit de mettre un masque, que c’était plus prudent. Et elle m’a donné le nouveau masque qu’elle a fabriqué pour moi en tissus, aux normes de l’Afnor. Celui-ci, il est uni et d’un rouge incroyablement rouge. Un rouge tellement rouge qu’il semble complètement improbable. À côté de ce rouge-là, le drapeau rouge paraitrait « rose-radical-de-gauche », si vous voyez ce que je veux dire. Ce masque rouge, je ne sais pas s’il est efficace contre le Covid 19, mais il impressionne en tout cas. Alors pourquoi n’impressionnerait-il pas un virus ? Donc je prends la voiture et je vais à la boulangerie. Je me gare sur le parking et je mets mon masque. Je vérifie dans le rétroviseur s’il impressionne vraiment. Oui, je confirme. Même à moi il fait peur. Et si j’étais comme Zorro, le héros masqué ? Mais pas noir, rouge. Un Zorro communiste quoi ! Masqué, je sors de la voiture, je me dirige vers la boulangerie où il n’y avait pas de client. En franchissant la porte, j’allais m’écrier « ne bougez pas c’est un hold-up pour distribuer le pain aux pauvres ! » Quand je me suis aperçu juste à temps que depuis cette nuit, on n’était plus le premier avril.

 

3 avril

Nouvelles du front. J’ai fait fait preuve d’héroïsme aujourd’hui en ne sortant pas du tout, même avec mon beau masque rouge. J’ai seulement passé la tondeuse dans le jardin. Mais comme la dernière fois, j’avais « oublié » de recharger la batterie, l’exercice s’est vite interrompu. On ne dira pas que j’y avais mis de la mauvaise volonté ! Paul Eluard accompagne encore aujourd’hui mon confinement, sa poésie, souvent, fait respirer l’espoir

La nuit n’est jamais complète

Il y a toujours puisque je le dis

Puisque je l’affirme

Au bout du chagrin une fenêtre ouverte

Une fenêtre éclairée

Il y a toujours un rêve qui veille

Désir à combler faim à satisfaire

Un cœur généreux

Une main tendue une main ouverte

Des yeux attentifs

Une vie la vie à se partager.

 

4 avril

Nouvelles du front. Courses ce matin, munis des deux impératifs sans lesquels l’Autorité serait en droit de verbaliser : le laissez-passer dûment rempli et le masque rouge (voir les épisodes précédent). Est-ce le masque ? Où l’ambiance générale qui est à la solidarité, mais teintée cependant d’une légère méfiance ? En tout cas dans cette petite queue qui s’organisait spontanément à la porte des boutiques, j’ai senti qu’on me regardait drôle… Un peu par en dessous… Un peu comme si… Ça m’a rappelé un poème d’Abdellatif Laâbi que j’ai recherché, sitôt rentré à la maison (et après m’être soigneusement lavé les mains). J’ai eu du mal à le retrouver, c’est extrait d’un poème qui s’appelle « Les petites choses » dans un recueil intitulé « Le soleil se meurt ». Alors je vous l’offre.

« Dans la file d’attente

longue, si longue

il regarde ceux qui sont devant lui

comme des ennemis

et ceux qui sont derrière lui

comme des moins que rien. »

 

5 avril

Nouvelles du front. Le calme règne sur mon confinement. Dedans, la bonne entente se prolonge, pas de heurt, il semble qu’elle et moi avons choisi la bonne personne avec qui se confiner. Surtout moi. Surtout que gâteau aux pommes… Mais même sans gâteau aux pommes ça irait. C’est vous dire si ça va. Dehors c’est dimanche comme si c’était un jour de semaine. Sauf que les jours de semaine, c’est comme si c’était dimanche. Il y a donc une différence fondamentale. (La pensée que je viens d’exprimer là, on dirait du Devos… en moins bien quand même.) Sinon il y a une chose qui m’énerve vraiment parce que je crois comprendre le pourquoi du comment. Avez-vous remarqué que depuis quinze jours, France 2, fleuron du service public, nous programme chaque début d’après-midi les films les plus gnangnans et vus 100 milliards de fois? Si le confinement dure un peu, on se sera coltiné tout De Funès ! Et que même le dimanche soir on déprogramme des films (ce soir « Au revoir là-haut ») pour les remplacer par d’autres films (ce soir « Neuilly ta mère ») dont je ne dis pas qu’ils sont des navets, mais que ce sont des comédies diffusées et rediffusées. C’est parce qu’ils ne nous prennent pas forcément pour des enfants, mais ils veulent que nous devenions des enfants. Parce qu’un peuple d’enfants pourra enfin s’émerveiller d’une prise de parole de Sibeth Ndiaye et obéir à un Didier Lallemand. Il va falloir tenir bon !

 

6 avril

Nouvelles du front. Poème.

« Je me suis promené, dans les limites 

que l’Autorité impose

et je voulais garder avec le monde la « distanciation sociale »

nécessaire à mettre un frein à la propagation de la pandémie

Mais je ne me doutais pas 

que mon double

m’avait suivi et

mon double ne respecte pas la

« distanciation sociale »

entre lui et moi.

Mon double fait généralement

les mêmes trajets que moi

pique les mêmes colères

il imite mes attitudes

et affiche les mêmes doutes et les mêmes peurs. 

Mais mes rêves sont

bien plus beaux que les siens. »

 

7 avril

Nouvelles du front. Il a plu (un peu) la nuit dernière et aujourd’hui… La pluie en Bretagne. La dernière fois qu’on a vu ça, c’était plus d’une semaine avant notre ère. L’ère du confinement je veux dire. Les gens ne savaient plus ce que c’était. Moi-même j’ai dû rechercher sur Wikipédia, mais il n’y avait rien sur le sujet. Du coup, elle avait bien fait de planter les salades hier. Et je crois que pendant que je vous donne les nouvelles du front, elle est en train de les arroser. Il n’a pas plu assez. La Bretagne, quoi… J’arrête là, j’avais beaucoup à raconter aujourd’hui.

 

8 avril

Nouvelles du front. Poème

« Tu marches

Tu marches au grand soleil d’avril

(1 km aller 1 km retour a dit l’Autorité

et une heure maximum)

Mais tu marches

et par tous les pores de ta peau

par toutes tes veines

par tes vaisseaux

le bouillonnement du printemps

secoue tes poumons épargnés.

Et ton corps, tes membres

ta tête ta bouche

ton sexe

accueillent ces bourrasques

Le grand air

tu l’aspires 

tu le gardes en toi

comme une pierre précieuse

la vie

« La vie mais confinée » 

dit l’Autorité

Aujourd’hui tu t’en rends compte

tu obéis

Mais hier ? Et demain ? »

 

9 avril

Nouvelles du front. Rêve.

Cette nuit j’ai fait un rêve. Un rêve étrange. Depuis le début du confinement je fais des rêves étranges, sans doute des rêves confinés. Pour dire la vérité, ces rêves étranges ne me laissent en général qu’un souvenir flouté. Flou mais étrange. Mais le rêve de cette nuit, j’en garde un souvenir net, alors je peux dire qu’il est étrange.

Je suis mort. Je ne sais pas si c’est du Covid 19 ou d’autre chose, mais il y a foule à l’entrée du Paradis ou plutôt de ce que je pense être une salle de tri. L’Autorité organise la file de ceux qui se présentent, sans trop s’occuper de « distanciation sociale ». L’Autorité semble n’avoir que très peu de travail vu que personne ne proteste, ni essaie de dépasser ceux de devant. Tout se déroule dans l’ordre et la discipline. Au bout d’une assez longue et monotone patience j’arrive enfin à un guichet. Là je décline mon identité à un quelqu’un qui ressemble à un receveur de La Poste. Il lit attentivement un dossier qui doit être le mien, puis dit : « Reçu avec mention assez bien ». Je suis satisfait car c’est la note que je mettrais volontiers moi-même à ma vie. « Assez bien ». Il tamponne une sorte de diplôme qu’il me remet et m’invite à franchir le seuil. Très heureux d’être reçu pour une fois à un examen, j’espère avec curiosité voir à quoi ressemble la Paradis. En fait je me retrouve dans une deuxième salle de tri. Toujours la même file mais plus clairsemée, et toujours bien disciplinée. Il y a au bout, une porte avec quelqu’un qui examine les diplômes. Il me fait penser à quelqu’un… Un petit chauve avec des lunettes rondes… Très sûr de lui… Jean-Michel peut-être… Un ministre ? Bref, toujours est-il qu’après avoir jeté un œil sur mon « diplôme » il me dit : « désolé, le nombre de postes ayant chuté avec la crise, ne sont admis que les mentions bien et très bien ». Et là, je me suis réveillé. Étrange et confiné.

 

10 avril

Nouvelles du front. 27 degrés à l’ombre sur la Bretagne aujourd’hui. Si après le coronavirus, on se paye une canicule, les vieux, va falloir s’accrocher aux branches ! C’est ce que j’ai dit à ma maman ce matin quand je lui ai téléphoné comme tous les jours, parce qu’à 97 ans, elle en a un peu assez d’être confinée dans sa « résidence senior ». Et ça l’a bien fait rigoler.

 

11 avril

Nouvelles du front. Comment dire ? C’est l’été, il fait chaud, il fait beau, mon atelier d’écriture confiné fonctionne bien, j’écris parfois des textes dont je suis un peu fier, nous sommes en bonnes santé, les nouvelles de ma mère, de ma sœur, de mes enfants et des enfants de Dominique de tous les petits enfants sont rassurantes, elle est là, près de moi, j’ai à chaque fois que je veux, chaque fois que je le demande, une preuve de son amour, et pourtant… Et pourtant… (Mais de ce pourtant, j’ai un peu honte.)

 

12 avril

Nouvelles du front. Poème

« Par la fenêtre ce matin 

une guêpe

est entrée dans la maison.

Ça m’a occupé un moment.

Le lézard de la véranda

ne s’est pas montré.

Cela doit faire maintenant 

au moins trois jours.

Les rouges-gorges qui ont niché 

dans le barbecue sous l’auvent

et ont déposé cinq petits œufs

tachetés d’ocre

s’affairent en va-et-vient furtifs.

Surtout ne pas déranger.

Et le temps coule comme le miel

Caresse inabordable. »

 

13 avril

Nouvelles du front. Poème

LES AMAZONES

Le général Autorité a dit

« C’est la guerre » 

Mais ce ne sont pas les preux chevaliers

les fantassins et les tankistes

et les chasseurs dans leurs 

vifs oiseaux argentés

qu’il a envoyé au front.

Non ce sont les infirmières

et les aides-soignantes et les 

auxiliaires de vie et les 

enseignantes et les

caissières des supermarchés

et les femmes de ménages…

Toutes ces guerrières

ces amazones

les combattantes Kurdes de chez nous…

Et maintenant on fait appel

aux couturières

pour fournir les masques

et les sur blouses de

la grande pénurie. 

Et nous, les hommes,

à quoi on sert

dans cette guerre guerrière

et que fait-on ?

On commente, on commente. »

 

14 avril 

Moi je trouve bien que le président de la République ait fixé une date pour le début d’un dé-confinement progressif si tout va bien. 

Je trouve bien qu’il ait fait d’une reprise de la scolarité des élèves une priorité : ça fait partie de la lutte contre les inégalités et pour sortir de la misère des enfants qui n’ont que la cantine pour manger un vrai repas.

Je trouve bien qu’on puisse produire et qu’on ait commandé des matériels de protection et des respirateurs.

Je trouve bien que les mesures de protection des salariés et des entreprises soient développées et que les banques et les assurances soient plus sollicitées.

Je trouve bien qu’il augmente l’aide aux plus modestes par une allocation.

Je trouve bien qu’il demande l’annulation de la dette des pays africains.

Je trouve bien qu’il déclare vouloir « tirer les leçons » de l’impréparation de la France.

Je trouve bien qu’il  affirme la nécessité de se réinventer, lui le premier. Je trouve bien qu’il évoque « les jours heureux », la « possibilité de planifier, la société carbone, la prévention ».

Je trouve bien qu’il dise qu’il faut « sortir des sentiers battus, des idéologies » (moi j’aurai dit des dogmes).

Tout cela, si nous le prenons au mot, doit faire l’objet de débats politiques, de luttes acharnées, de propositions et d’initiatives qui doivent nous conduire, nous aussi, à sortir des sentiers battus et des dogmes. Et de la paresseuse zone de confort d’opposition dans laquelle je nous sens confinés.

 

15 avril

Les nouvelles du front. Un peu de jardinage et dans la bonne humeur s’il vous plaît ! Quelques mois de confinement de plus et je deviendrai un vrai « homme d’extérieur ». C’est quand même un comble ! Dans « jardinage », je range : un peu de tondeuse à prairie (parce que notre petite pelouse ne ressemble pas du tout à un gazon) ; garnir la mangeoire des oiseaux de quelques graines de tournesol ; compter les fleurs de mon pommier (il est haut comme trois pommes) ; décider que le chêne a encore besoin de la visite d’un coiffeur (il y a des épis qui dépassent mais c’est trop haut et elle m’interdit de monter à l’échelle avec un sécateur en main). À quoi il faut ajouter de longues minutes de contemplation de la ronde fébrile des mésanges qui entrent et sortent de leur nichoir. Épuisant ! 

 

16 avril

Les nouvelles du front. En prose.

Est-ce le confinement ?

Il arrive que les souvenirs, au moindre créneau de liberté que je leur laisse, se précipitent. Alors une marée d’images, de sons, d’émotions me submerge. Il faut y mettre bon ordre. Je respire un long coup. Et voilà que, chevauchant ces images, ces sons, ces émotions, se tenant bien aux rênes, surgit le souvenir d’une femme. Avec elle j’ai vécu des choses. Elle m’a ouvert des puits de douceurs, parfois, m’a fait partager ses douleurs, souvent, a calmé nombre de mes angoisses (autant qu’elle les a suscitées)… Quand elle parlait ses bras dessinaient tout l’espace. Je crois bien la connaitre : elle est mon incomprise. Nous avons vécu ainsi elle et moi quelque temps, parallèles improbables qui des fois se nouaient. Et puis, un matin, en me rendant ma brosse à dent qui traînait sur l’étagère de sa salle de bain, elle m’a dit : « c’est mieux ».

 

17 avril

Officiellement, je suis confiné. En fait, je suis confiné mais pas entièrement. Il y a toute une part de moi qui échappe au confinement. J’essaie de la retenir, de la raisonner. Mais je n’y peux rien, elle ne se laisse pas faire… Pendant que je suis dans la maison, une part de moi est ailleurs. Parfois même très loin. Hier par exemple, elle naviguait entre Belle-Ile et Groix. Il faut dire que la mer était belle. Mais à la vérité, il n’y a pas qu’une part de moi qui n’est pas confinée. Celle qui est ailleurs, je vous en ai parlé. Mais il y a aussi la part de moi qui est « il y a longtemps », qui vole sur le dos de mes souvenirs, tendres ou amers. Et il y a encore la part de moi qui est « plus tard ». C’est celle-là qui est sans doute la plus incontrôlable. Elle chemine sur des sentiers inconnus. Elle n’imagine pas le dé-confinement comme un retour, comme une certitude, mais comme un « pourquoi pas ? ». Je suis donc pour un quart confiné et pour trois quarts, dans l’illégalité totale. D’autant que si pour ma part confinée, je ne sors que muni des attestations réglementaires (à présenter à l’Autorité si elle le demande), les autres parts de moi-même négligent totalement cet aspect des choses. Je crois que ce confinement va me coûter très cher.

 

19 avril

Nouvelles du front. Le temps s’étire. Au début j’aimais cette lenteur, la distance, les grandes étendues libres pour l’essentiel. Et cette lenteur est devenue torpeur. L’urgence me manque. On se projette sans trop y croire sur une date incertaine. On tente d’imaginer un monde d’après, où les bras se serreront et les épaules s’approcheront pour faire face aux grandes injustices et aux grands périls. On aimerait y être, le toucher. Est-ce qu’il suffit de bien rêver pour être prêts ? Ce n’est pas ce que la vie m’a appris. La vie (et ce que je sais de la philosophie) m’ont enseigné que s’il y a un autre monde, il ne peut être que dans celui d’aujourd’hui. Il faut creuser profond, remuer des tonnes de terre pour le découvrir. Il faut se tenir près des hommes et des femmes, près de leur cœur et de leurs espoirs. Au plus près, sans distanciation sociale. On ne peut pas penser un autre monde sans interroger tous ceux qui vivent le nôtre, savoir à quoi ils tiennent, de quoi ils rêvent, eux-mêmes.

 

20 avril

Nouvelles du front. Le Premier ministre et le ministre de la Santé ont parlé dimanche avec autorité puisqu’ils sont l’Autorité (celle qui vous demande vos attestations quand vous sortez). Et ils nous ont dit qu’ils avaient beaucoup de certitudes (genre : « le jour d’après ne sera pas comme le jour d’avant »). Pour le reste, ils ne savent pas trop mais il faut leur faire confiance parce qu’ils sont l’Autorité (celle qui vous demande vos attestations quand vous sortez). Moi j’aimerais mieux faire confiance à des gens qu’on a vu à l’œuvre : ceux (et surtout celles) qui ont permis que l’hôpital, les Ehpads, puissent s’adapter malgré la pénurie organisée par l’Autorité (celle qui vous demande vos attestations quand vous sortez) et, en plein drame, ont permis que ça tienne, malgré tout, ont soigné des malades, ont sauvé des vies, ont accompagné des mourants… J’aimerais mieux faire confiance aux caissières, aux personnels des supermarchés et des commerces, ils (et surtout elles) savent comment ça marche, comment on vit et on travaille malgré le Covid… Je préfère faire confiance aux enseignants et aux parents : ils (et surtout elles) ont su se donner à fond pour tenter de maintenir une « permanence pédagogique » qui est, sans l’École (et ils le savent), une aberration décidée par un ministre qui pense que la tête d’un enfant est une boîte qu’on peut remplir si on range bien les choses. Je préfère faire confiance à toutes celles et tous ceux qui ont travaillé ou n’ont pas pu, qui ont accepté le confinement (non par discipline mais par intelligence), et qui ont même accepté, d’un bon cœur ironique, de présenter à l’Autorité cette fameuse attestation ridicule. Que tous ceux-là et surtout toutes celles-là disent : « c’est nous qui savons, c’est nous qui décidons ». Et oui, le jour d’après ne sera pas comme le jour d’avant. Avec ou sans Covid.

 

21 avril

Nouvelles du front. Préparation du dé-confinement scolaire pour les écoles primaires. Le 11 mai, rentreront les enseignants pour une pré-rentrée. Sauf si le personnel communal n’a pas eu l’autorisation de la Mairie pour désinfecter les classes. Mais normalement les professeurs rentrent le 11 mai. Ce jour-là, ce sera une pré-rentrée pour les professeurs pour qu’ils puissent bien comprendre tout ça mais les grandes sections, les CP et les CM2 rentrent aussi. Mais pas plus de 15 élèves. S’il y a plus de 15 élèves, les filles restent et les garçons rentrent chez eux le matin et le contraire l’après-midi. S’il y a plus de 15 filles, c’est le professeur qui part. A partir du 25 mai tous les élèves rentrent mais pas plus de 15 par classe. Mais pour les élèves qui ne sont pas en classes il y aura un suivi scolaire obligatoire. Donc les enseignants devront dispenser leurs cours aux élèves en classe et en même temps (comme dirait l’autre) assurer le suivi de ceux qui sont chez eux. Enfin pour favoriser le travail en petit groupe dans les écoles, on veillera à organiser des activités péri scolaires (qui se déroulent en général dans les écoles). Bon, si vous n’avez pas compris, retournez à l’école !

 

22 avril

Nouvelles du front. Quand je sors pour ma promenade quotidienne, nous sommes deux. Elle et moi. J’aime bien. Et puis je m’aperçois, au bout de quelques mètres, que je ne suis pas seul avec elle.  Ce matin, les mésanges faisaient leurs va et vient empressés dans le jardin et je les regardais, imaginant les oisillons dans le nid, becs ouverts d’exigence. Et bien ils m’ont accompagné dans ma promenade. Deux mésanges adultes plus quatre ou cinq oisillon, plus elle, plus moi, déjà ça fait au moins huit à se promener. Il n’y avait pas qu’eux. J’avais en tête le souvenir de quelques amis disparus, de quelques-uns aussi dont je n’ai pas de nouvelles, une belle amie très récemment retrouvée sur FB et avec qui j’ai hâte de renouer contact… Tout ça, au bas mot, amène notre équipage à vingt-trois ou vingt-quatre unités. D’espèces différentes mais quand même. Alors, quand le véhicule de l’Autorité chargée de contrôler mon attestation s’est arrêté pour me la demander, je n’en menais pas large ! Et bien vous ne devinerez jamais ! Ils n’y ont vu que du feu ! On n’est pas très bien protégés, je trouve.

 

23 avril

Nouvelles du front. Je suis en colère. Le Parti communiste est-il à la hauteur de la situation exceptionnelle que vivent le pays, la société et le monde ? Franchement je ne le crois pas. Quelles initiatives prenons-nous ?

1 Les services publics. Qui a permis à l’hôpital de s’adapter malgré la pénurie organisée par les dogmes capitalistes, pour faire front, accueillir, soigner, sauver les malades, accompagner les mourants ? L’État ? Le gouvernement ? Non, ce sont les équipes soignantes, médecins, cadres infirmières aides-soignants, personnels administratifs qui ont pris les clés. Le dé-confinement scolaire. Tout montre que les seuls à pouvoir l’organiser de bonne façon sont, école par école, établissement par établissement les équipes enseignantes et plus largement les personnels, avec les parents d’élèves, et leur collectivité locale. Alors ? « Défendons les services publics » de « l’État providence » ou luttons-nous en bas, en nous appuyant sur ces expériences pour des services publics valorisés, décentralisés et démocratisés ? Que disons-nous, que faisons-nous à ce propos ? 

2 Face aux difficultés des entreprises ou pour sauvegarder des sites, à peu près systématiquement nous demandons des « nationalisations ». Fabien Roussel à propos de la sidérurgie demande au gouvernement « de prendre des décisions de nationalisations, même temporaires, pour les sites menacés » « Nationalisation même temporaire », c’est je crois une arme utilisée par le Capital lui-même. L’État renfloue puis passe la main aux actionnaires. Je ne suis pas économiste mais « socialisation des pertes et privatisation des profits », j’ai à peu près compris. N’y a-t-il pas d’autres propositions, plus révolutionnaires, à avancer pour une appropriation sociale d’entreprises. D’autant que dans les PME se prépare un carnage de fermetures et d’abandons d’entreprises et d’activités utiles. N’y a-t-il pas un élan à donner à l’économie sociale et solidaire, aux coopératives ? La question de l’appropriation sociale, de la gestion des entreprises, de la prise en main par les salariés, n’est-ce pas le moment de les poser dans les mouvements et situations concrètes ? Et de participer partout à faire, d’aider à faire !

On pourrait parler aussi de l’agriculture, de la culture… Des millions de gens se posent des questions. On repart comme avant ? On produit on consomme comme avant ? On vit comme avant ? Les réponses, les avons-nous ou faut-il les creuser dans des forums, des débats citoyens, des expériences de luttes solidaires, des initiatives multiformes en bas ? Ou alors la vérité viendra de l’union de la gauche quelle que soit sa forme ? Ou alors on a toutes les vérités (reste à désigner le candidat communiste pour 2022) et il suffit de les marteler ? 

Il ne se passe rien dans le pays, dans le monde ? Ce sera demain comme hier ? Si on croit ça, je me tais. Mais si ce n’est pas ça, si nous sommes dans une situation nouvelle, quand en débattrons-nous ?

 

24 avril

Quand j’étais lycéen, il m’est arrivé, mais surtout ne le dites pas à ma maman… Il m’est arrivé, pas très souvent… Il m’est arrivé quand même de signer moi-même à sa place, un mot d’excuse pour un retard, ou pour une absence enfin vous voyez quoi ! « Mon fils Olivier ayant eu ce matin un très grave mal de tête, j’ai préféré le garder à la maison afin qu’il puisse se reposer. Signé sa maman. » Je l’avoue parce qu’il y a prescription. Bon maintenant la société a beaucoup évolué. Maintenant c’est moi qui dois signer un mot. « Madame-Monsieur l’Autorité, j’autorise moi-même à sortir à 10 heures aujourd’hui pour aller acheter du pain qui est de première nécessité. Je signerai plus tard le mot qui m’autorisera moi-même à aller me promener pendant une heure maximum et à pas plus loin que 1 kilomètre de chez moi. » On ne demande pas à ma maman de signer ce mot d’excuse ce qui prouve bien que l’Autorité ne me prend pas pour un enfant.

 

25 avril

Nouvelles du front. Le jour d’après, le jour d’après… C’est quand le jour d’après ? Le 12 mai ? J’aimerais bien personnellement. Même si dans ce cas, le jour d’après ne sera pas très différent des choses d’avant. On aura peut-être plus besoin de montrer son attestation à l’Autorité : Elle nous tracera  par l’appli « Dismoioùtestoutletemps » On pourra aller jusqu’à la mer. Peut-être même en mer, ça oui ce serai bien. Pour le reste… Pour le monde d’après, ce ne sera pas juste le jour d’après. Il faudra un peu de temps et beaucoup d’imagination et d’efforts. Raison de plus pour ne pas attendre !

 

26 avril

Nouvelles du front. Il fait beau et le chant des oiseaux intimide le printemps. Je lis un poème de Paul Eluard, « Poésie ininterrompue », et cette lecture me fascine. Peut-être en ai-je une mauvaise interprétation, je ne sais pas. Je n’en livre qu’un extrait. 

« Je parle d’un temps délivré

Des fossoyeurs de la raison

Je parle de la liberté

Qui finira par nous convaincre

Nul n’aura peur du lendemain

L’espoir ne fait pas de poussière

Rien ne sera jamais en vain »

Puis il continue le poème, et pour moi, c’est comme s’il se répondait à lui-même

« Je cherche à me créer une épreuve plus dure

Qu’imaginer ce monde tel qu’il pourrait être

Je voudrais m’assurer du concret dans le temps

Partir d’ici et de partout pour tout ailleurs

Ouvrir vraiment à l’homme une porte plus grande »

La poésie ouvre à bien plus que le rêve.

 

27 avril

Nouvelles du front. Comme les heures allongent les jours à force de passivité, mon angoisse inapaisable ne trouve refuge que dans la lecture des poètes. Aujourd’hui René Char et les Feuillets d’Hypnos. (Paul Eluard me fait réfléchir, René Char me fait réagir.)

« Je n’ai pas peur. J’ai seulement le vertige. Il me faut réduire la distance entre l’ennemi et moi. L’affronter horizontalement. »

Quand même, ça donne à réfléchir aussi.

 

28 avril

Je jure que je suis scandalisé, meurtri, profondément affecté de voir comment, notre pays, la 5e ou 6e puissance économique du monde a été incapable de disposer de lits, de personnels, de médicaments, de moyens de protection pour accueillir et soigner tous les malades et pour protéger la population. Je jure que je suis scandalisé de l’état dans lequel on a mis nos écoles, les établissements d’enseignements, privés d’enseignants, de médecins et infirmiers, de psychologues scolaires. Je jure que je me rends compte à quel point les dogmes néolibéraux suivis à la lettre par tous les gouvernements, le capitalisme ont fait de la France un pays socialement sous-développé. 

Mais les réactions de gauche, du PCF, au discours du premier ministre aujourd’hui, je ne les comprends pas. Qu’on dénonce leur responsabilité dans la situation, c’est juste. Mais aujourd’hui on fait quoi ? On propose quoi ?

Franchement, est-il bon ou non de dire qu’on va se dé-confiner et vivre quelques temps, sans doute un long temps avec le virus ? Sinon on reste confiné jusqu’à quand ? On critique le premier ministre parce qu’il laisse dans l’incertitude et le flou les conditions du dé-confinement et même sa date ? On aurait préféré qu’il dise : « quoi qu’il se passe, le 11 mai tout le monde à l’école et tout le monde au boulot ? Ou personne à l’école et personne au boulot ? »

Et puis j’ai entendu une réaction de Fabien qui m’a franchement mise en colère. Il proteste parce que le gouvernement dit qu’il compte sur les Français, que les choses doivent être réglées dans les communes… Mais moi je pense que oui, les choses doivent se régler en bas, école par école, entreprise par entreprise, commune par commune, parce que c’est le seul et le bon moyen de régler les problèmes. Et que Fabien aurait mieux fait de dire que puisque c’est ainsi que les choses peuvent être réglées, il faut donner les moyens et les droits pour qu’en bas, les salariés, la population soit partie prenante du dé-confinement. Ça ce serait une perspective communiste !

 

29 avril

Nouvelles du front. Deux jours de pluie sur la Bretagne. Ici on ne savait plus que ça existait, la pluie. On ne se souvenait pas. J’ai interrogé des vieux du coin (en respectant la distanciation sociale et avec un masque). Ils m’ont dit que leurs grands-parents avaient vaguement évoqué un jour où il était tombé du ciel quelques gouttes d’eau. Mais ils pensaient que c’était une légende… Ici, on ne parle que du beau temps et du beau temps. Et de quoi voulez-vous parler d’autre ?

 

30 avril

Nouvelles du front. Poème.

Et voilà que nous allons vivre longtemps avec un compagnon dangereux. Ils voulaient en faire un ennemi, nous allons en faire un garde-fou, un rempart contre le monde d’avant. Nous ne devons pas avoir peur, et la peur, nous ne devons pas l’agiter. La peur est l’amie des conjurés, le Covid et les pouvoirs usurpés. Il faut se protéger, pas se confiner. Nous avons eu raison pourtant de le faire un moment (et peut-être pour un moment encore), raison de baisser la tête et d’obéir. Un moment. Pas en pensant aux autorités autoritaires mais en pensant à ceux qui, à mains nues, combattent et ont besoin d’un répit. « Ceux » qui sont surtout « celles ». Bientôt l’heure sera aux exigences et aux bonnes pratiques. Les exigences ? « Laissez faire ceux qui savent, laissez faire ceux qui font et donnez-leur les clés et les moyens ». Les bonnes pratiques sont évidemment sanitaires, mais pas que. Choisissons ce que nous voulons produire et comment. Choisissons ce que nous voulons consommer et comment. Choisissons ce que nous voulons vivre et comment. Choisissons dans les agoras du terrain. « Tout le pouvoir aux forums ! » Les bonnes pratiques répondent à la raison, pas aux pulsions dictées par la pub et aux injonctions de l’économie, de la finance productiviste. Les bonnes pratiques sont solidaires, le refus de la concurrence. Les bonnes pratiques sont l’accueil et la convivialité. La culture est l’oxygène des bonnes pratiques. La culture et la « permaculture humaine », celle qui, comme la permaculture, s’occupe d’abord des sols. Ici, de l’école et de l’éducation populaire. Des sols sains et naturels pour des récoltes riches et abondantes. Nous allons tout inventer, dans les débats, dans les livres, les tribunes et les manifestes. Mais surtout dans les inventions déjà là.

 

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