Pensées des jours de juillet

Encore un mois de pensées quotidiennes. Juillet, sept mois que ça dure. J'aurais pu dire "pensées quotidiennes, saison 1 épisode 7". Ça aurait fait moderne et on aurait pu commenter. Quelque chose comme : "un épisode un peu languissant, il est temps de passer à autre chose ! ".

 

1er juillet.

Gratitude. La terre a passé sa robe mouillée, épousant toutes ses rondeurs et les dévoilant. J'ai remercié le ciel pour la pluie. Ainsi encouragé, il a continué de pleuvoir. Je ne peux pas lui en vouloir.

 

 

2 juillet.

Yves Bonnefoy : « Je ne crois pas que l’expérience poétique soit plus pauvre aujourd’hui qu’à d’autres époques, en dépit des contrefaçons habituelles. Je ne pense pas davantage que le nombre de ceux qui en assument vraiment la charge soit plus minime qu’avant. Mais nous savons tous que la place qu’on lui consent dans l’espace de la culture est toujours plus restreinte et marginale parce qu’elle gêne de trop puissants intérêts, ceux de l’idéologie par exemple, ceux surtout de ces commerçants qui veulent que l’on ait le désir d’avoir et non celui d’être. » 

Et encore. « La poésie a un rôle que rien ne peut remplacer. Si elle disparaissait tout à fait, c’est la société humaine qui s’écroulerait avec elle. »

Le poète meurt, reste la poésie…

 

3 juillet.

Prévisible défaite. En vérité nous ne savons pas grand-chose. Qui l'emportera, pourrons-nous y arriver ? Au nom de cette incertitude se commettent bien des lâchetés. On sait bien que ce n'est pas juste, mais on le fait parce que ça parait plus facile. On sait que ce n'est pas le chemin mais on l’emprunte, parce que par-là, au moins, on est déjà passé. Voilà comment se perdent les batailles. Il n'y a pas de victoire sans audace, pas de conquête sans affronter le danger, pas de triomphe sans approcher l'ennemi. Je parle là de la politique. 

Pour l'amour, c'est autre chose. Elle est ma défaite espérée, ma débâcle attendue, ma certaine certitude.

 

4 juillet.

Conscience de soi. Rester soi-même, quoi de plus facile? N'avoir confiance qu'en soi, ne lire que ses propres écrits, n'écouter que ses propres paroles, ne fréquenter que ses semblables, ne parler qu'à la condition d'être sourd aux autres, donner leçons, ordonner. N'avoir conscience que de soi-même. C'est aussi facile qu'inutile.

Rester soi-même, parmi les autres, au contact des autres, avec les autres, s'approcher de l'adversaire, faire de son ennemi un partenaire en restant soi-même, ça c'est très difficile. Aussi difficile que de ne pas mourir à la première occasion.

 

5 juillet.

Mauvais temps. Il y a longtemps que je n'ai pas pris la mer. Le ciel est trop bas, le mat le touche, je crains qu'il ne le raye, ne le déchire. L'horizon s'est, du coup, pour moi arrêté et les vagues ne dansent plus que pour la galerie. Mais l'anticyclone s'établit, prend de la consistance et bientôt, bientôt je repars, courir vers l'horizon qui à nouveau, enfin, s'échappe.

 

6 juillet.

Vaguement. Après une journée de débats et de travail politique, demain, la mer. C'était aujourd'hui moins vague qu'on pouvait le craindre et demain, la vague, je l'attends de pied (marin) ferme.

 

7 juillet.

Fraîche victoire. Mon bateau, elle et moi, sommes sortis aujourd'hui en mer. Nous avons dû ranger nos ambitions de croisière au long court et nous contenter d'un petit tour en Baie de Quiberon. Le plus souvent au moteur faute de vent. Quand la mer est comme ça, sans ride ou presque, avec juste le paresseux balancement d'une houle venue de très loin, elle me parait hostile, grise, menaçante. Je guette le vent dans les teintes changeantes, mais quand il se fait trop attendre, le découragement s'installe. Et monte en surface de très anciennes alarmes. Aujourd'hui, pour couper court à la mélancolie, j'ai plongé dans l'eau encore un peu fraîche. C'était un défi, la promesse d'une victoire.

 

8 juillet.

1968-2016. Nous nous souviendrons du printemps 2016, comme d'un printemps lacrymogène, rouge cri, rouge peuple, rouge gorge déployée. Ce fut (je me doute) un printemps adolescent comme celui de ma propre adolescence, de banderoles et de baisers partagés, une main sur la hampe du drapeau et l'autre dans la poche arrière de son jeans. J'espère que ce printemps ne sera pas suivi de longs hivers plombés de silence, de têtes inclinées et de genoux fléchis. Le grand hiver des sexes asséchés d'une morale flicarde. J'espère.

 

9 juillet.

Une petite vingtaine. Demain viendra le moment. Et au coup de sifflet final, on n’y pourra plus grand-chose. Avant non plus, quoi que beaucoup en doutent. Ils sont des millions qui aimeraient pouvoir, qui croient peut-être pouvoir, mais non, ils ne peuvent rien. Et pour ça ils s’en veulent en secret. Ils ne sont en fait qu’une petite vingtaine à avoir prise sur ce qui va se passer. Vanité des vanités, si tout se passe bien, des millions se diront : « on a bien joué ». Et si ça ne se passe pas si bien, ils seront une vingtaine à qui rien ne sera pardonné. 

Et on nous parle de grandeur ? Quand même. « Allez les bleus ! »

 

10 juillet.

Avertissement. J'ai taillé à nouveau le chêne vert pour ne pas que des rameaux fous dressent en tous sens leurs bras décharnés parce qu’il y a ici trop de brouillard et pour éviter qu'il s'accroche les arbres de ce pays devraient être polis en douceur les nuages y glisseraient sans s'y arrêter mais voilà que de gros moutons de laine noire se sont griffés sur l'érable de la rue et le ciel s'est encore déchiré pourtant j'avais prévenu.

 

11 juillet.

Psychanalyse et révolution. « Je est un autre », disait Arthur Rimbaud. « Nous » peut-il être aussi un autre, des autres ? Cette question est assurément un déplacement de problématique qui nous fait passer de la psychanalyse à la révolution. Si « nous » (révolutionnaires) pensons être « nous-mêmes » à l’exclusion des autres, je ne crois pas que la révolution sera à notre rendez-vous. Quand nous disons « nous », comme révolutionnaires, nous devons comprendre l’immensité de « nous » qui peuple la société et la planète. Et qui sont nous et autres que nous-mêmes. 

"Je pense à la chaleur que tisse la parole autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous", a dit un autre poète, Tristan Tzara.

 

12 juillet.

Le pouvoir ce n’est pas beau. Hier des camarades m'ont dit que nous étions bien trop préoccupés par l'élection de députés communistes. L'un d'eux a même précisé qu'on ne serait révolutionnaire vraiment qu'à partir du moment où on ne s'occupera plus du pouvoir. Tout le monde a trouvé la formule jolie. C'est vrai que c'est très séduisant : on laisse le pouvoir au peuple. Bon, il faut quand même noter que laisser le pouvoir au peuple est plus généreux quand on l'a que quand on s'en est privé. Mais surtout, je remarque que nous qui nous battons contre la loi El Khomri parce que nous pensons que la loi, c'est bien plus protecteur pour les droits des salariés que les contrats passés de gré à gré ou négociés au sein de l'entreprise, nous serions bien avisés d'essayer justement d'entrer là où se font et se défont les lois c'est à dire au parlement et au gouvernement. Enfin, je dis ça, je ne dis rien.

 

13 juillet.

Certitudes. Ce qui était hypothèses probables devient aujourd'hui quasi-certitude. À savoir. 1) Que si rien ne change dans le paysage politique, le scénario écrit pour 2017 est un duel droite-FN au second tour. 2) Que François Hollande n'est pas le candidat naturel de la gauche ni même du PS. 3) Qu'à l'exception du Parti communiste, il n'y a pas grand monde pour tenir une vraie ambition de gauche pour 2017, c’est-à-dire un véritable changement politique tel qu’il est attendu dans le pays. 4) Qu’à cette ambition de gauche, chacun a trouvé de bonnes raisons d’y substituer des objectifs personnels ou partisans qui vont de « je pense être celui qui » (j’ai en tête Jean-Luc Mélenchon) à « sauvons le parti d’abord le reste on verra plus tard » (je pense principalement à EELV mais il semble qu’il y ait dans ce cadre beaucoup de partis à sauver) ou « sauvons notre position dans le parti » (je pense à quelques frondeurs du PS). 5) Que ce n’est pas du tout ce à quoi aspire le pays, le mouvement social et populaire et que ce n’est pas ce que mérite le peuple. 

 

J’en tire une conclusion : soit il y a ressaisissement et nous parvenons à une candidature commune à l’élection présidentielle, des candidatures rassembleuses aux élections législatives, pour une nouvelle présidence de la République et une nouvelle majorité politique à l’Assemblée nationale, (et les communistes font pour cela ce qu’ils ont décidé à leur congrès en commençant par donner la parole au peuple), soit toutes les forces de changement, sans exception, seront battues et, pour des années, le pays leurs demandera de rendre les comptes de leurs trahisons.

 

L'impensable du 14 juillet.

Nice. Effondrement, tristesse, inquiétude, angoisse...

 

 

Ma pensée (en image) du 15 juillet.

« Soulèvement ». Visite aujourd'hui du domaine de Kerguéhennec. En arrêt devant une sculpture ondulatoire de Simon Augade, chapeautée d'un grand cube blanc. Un fouillis de panneaux, de pans et de portes de meubles bon marché, de bois de récupération. On y pénètre par la descente de quelques marches qui nous conduisent dans un bassin à sec sur lequel a été dressé le monstre carapacé de rectangles colorés. L’envers du décor me donne la clé de l’œuvre que l’artiste a nommé « soulèvement ». Une charpente de cathédrale improbable donne à la sorte de bâtiment un équilibre très mouvementé. On s’y trouve dans un chaos apaisant, un dialogue tourmenté de solidité et de précarité. Je pensais de prime abord « jaillissement », avant que dans une fulgurance, le « soulèvement » suggéré par l’artiste, prenne son vrai sens. Ce soulèvement-là n’est pas le simple jaillissement hors du sol et de l’ancien bassin. Ce « soulèvement » est l’insurrection contre la société de gaspillage, cette insurrection qui recycle le gâchis pour en faire du beau, du digne, de la culture d’humanité… Un soulèvement populaire. 

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16 juillet.

À qui est le monde ? C'est pour de bon que le monde est malade. À son chevet se pressent les charlatans autoproclamés qui, pour le soigner, commencent par écarter la foule. Comme si cette foule, le peuple innombrable du monde, il fallait, à tout prix, la tenir éloignée. Mais n'est-ce pas justement de cela dont souffre notre monde ?

Guillevic le dit :

"Nous construisons le monde

Qui nous le rendra bien

Car nous sommes au monde

Et le monde est à nous"

 

17 juillet.

Trois jours après. Un jour, j’écrirai sur Nice où j’ai vécu 24 ans de ma vie. J’y suis arrivé en 1977, la tête pleine de soleil, de mer d’azur et de projets. Je l’ai fuie dès que j’ai pu, 24 ans plus tard. Quand tu n’es pas d’ici, à Nice, tu es étranger pour toujours…

Bien sûr, d’avoir vécu là, que deux de mes enfants soient nés à Nice, qu’ils y aient des amis, des amies, des attaches, m’a fait vivre plus intensément la tragédie. J’ai guetté avec angoisse les nouvelles de celles et ceux que j’ai connus moi-même, avec qui j’ai travaillé, lutté… De celles que j’ai aimées… Heureusement le sort semble les avoir toutes et tous épargnés.

Je crois qu’on n’est pas obligé d’aimer une ville parce qu’on y a vécu. Mais on n’est pas non plus obligé d’éprouver à son égard haine ou ressentiment. Pour les victimes d’un sort atroce, je suis plein d’empathie… Et je pense à toutes celles, tous ceux qui vivent, à Nice, des moments très pénibles…Plus encore parce que Nice… Je n’aurais pas cru… 

 

18 juillet.

Crédit à l’indécence. Pas besoin de réagir pour bien agir, j’ai attendu. Pour laisser du temps à la réflexion. Par décence aussi, mais la décence est un ingrédient politique un peu rare ces temps-ci.

 

De la droite, rien n’étonne plus : les corps des victimes n'étaient pas encore recouverts de leurs linceuls provisoires que Christian Estrosi y allait de sa diatribe. Sans « vergonha », comme on dit en niçois, sans honte, il a repris la ritournelle du « laxisme gouvernemental ». Parce que l'action sécuritaire de Christian Estrosi, dans sa ville aux mille et quelques caméras de surveillance, a montré toute son efficacité, sans doute ? Les autres, tous les autres (primaire oblige) ont embrayé, Sarkozy, Juppé, Copé, Fillon, j'en passe... Et Marion Maréchal Le Pen mais là... les limites sont toujours franchies.

 

Côté gouvernement, pourquoi, contre toute vraisemblance, s'en tenir à la thèse sans conteste d’un attentat perpétrer par l'organisation terroriste Daesh ? C'est assez d'horreur de s'en tenir aux faits, qu'il s'agit peut-être de l’œuvre atroce d'un déséquilibré et qu'on en saura plus en examinant les témoignages, en remontant dans cette histoire. Mais non, vite, vite, il fallait privilégier cette thèse de l'attentat islamiste. Jusqu’au ridicule de cette idée d’une « radicalisation extrêmement rapide ». 

 

Pourquoi ? Pour redire qu'on est en guerre ? On va finir par y être, vraiment, et on la perdra cette guerre. Et il y aura encore et encore des victimes. Alors il est légitime qu'on se demande pourquoi.

 

Dans le peuple de Nice, - en général digne dans la souffrance et la solidarité -, on a aussi entendu des cris, des insultes, vu des crachats, des ordures et des pierres jetées.  Les représentants de l’État ont été hués, mais aussi des Niçois ont été pris à partie qui n'avaient comme seul crime que d'être colorés, d'être issus de l'immigration ou immigrés. Ces indignités ne m'étonnent pas. La ville a, de longue date, cousiné avec l'abjecte. Des Médecin père et fils à Peyrat, les héritages sont lourds et les héritiers, Estrosi, Ciotti... les portent trop bien.

 

Quand le vent mauvais souffle sur des braises malsaines et des cendres mal éteintes, l'incendie est probable. Hollande et Valls ont-ils besoin d'un incendie ? Sinon, pourquoi donner crédit aux incendiaires ?

 

Après avoir accordé au Medef raison des thèses libérales, les voilà qui accréditent la droite sécuritaire qui désormais, tout comme le Medef, en demande plus. Comptent-ils ainsi s'en sortir ? Ou pratiquent-ils la terre de gauche brûlée pour s'en libérer tout à fait ? En créditant la droite, en tout cas, ils se discréditent un peu plus. Et ça finira mal.

 

19 juillet.

Écriture automatique. Je ne sais pas, vous, mais moi, j'ai chaud. Arrivé à Paris vers les 15 heures, me suis traîné de la gare Montparnasse à la maison. Et là je suis devant l'ordinateur, avec des pensées dégoulinantes, qui font de grosses flaques à mes pieds, au lieu de s'envoler comme d'habitude, de monter haut vers les collines, le ciel, les nuages, les étoiles, en compagnie des martinets qui font l'amour en volant (d'après l'ami poète Francis Combes, qu'il ne faut croire que sur paroles) et en croquant des moucherons qui, eux-mêmes font semblablement l'amour sans prendre le temps de se poser, et que j'aimerais bien imiter parce que la simple idée d'une couette m'est devenu insupportable. 

 

20 juillet.

Urgence d'état. Y a-t-il une pensée d'état d'urgence ? Ou l'état d'urgence est-il de ne pas penser ? Ou bien est-il urgent de penser l'état d'urgence où nous sommes ? Alors qu'on nous somme de ne guère penser ? Ou seulement des pensées de guerre ? Les pensées de guerre n'incite guère à penser, sans doute, tandis que l'urgence met nos pensées dans un drôle d'état. Et cet état-là risque d'être prorogé pour bien plus de six mois.

 

21 juillet.

Sommeil usurpé. Je ne dors pas, je rêve. Rêver c'est veiller encore. Veiller pour que rien ne se passe qui ne soit surprenant. Quand je dors, je dors et le monde s'arrête. Mais quand je rêve, le monde s'éveille, plus beau encore que ses soupirs, plus beau que mes désirs, plus beau que mes plus beaux désespoirs. Et là - vivant - j'ai enfin la permission de dormir.

 

22 juillet.

Menteur et tremblements. D’habitude, mes mains ne savent pas faire grand-chose. Et, pour donner excuse à leur inaptitude à quoi que ce soit, je me suis inventé un tremblement. Les médecins disent qu’il s’agit d’un « tremblement essentiel ». Comme si mon essence était de trembler ! En fait, je pense qu’il s’agit plutôt d’un « tremblement essentiellement paresseux ». C’est très pratique, ce tremblement essentiel. On me sert du vin, de peur que je renverse. Elle m’épluche mes pêches au dessert parce que ma maladresse l’exaspère. On ne me demande jamais rien en matière de bricolage. Et quand je ne parviens pas à écrire trois lignes de pensée quotidienne, j’accuse mes mains. « Si, si, bien sûr que j’ai pensé aujourd’hui. Mais je tremblais trop pour écrire. » Tu parles ! Mais quel menteur ! Quel menteur !

 

23 juillet.

Munich, une enquête française. Il était allemand et iranien et avait 18 ans. Il a tiré sur la foule, tuant 9 personnes et en blessant 16 autres, avant de se suicider. Il n’avait aucun lien avec une organisation terroriste selon la police allemande qui affirme qu’il n’a pas bénéficié de complicité, que ses motivations ne sont pas connues.  Selon le procureur de Munich, « il s'agit dans cette affaire d'un acte classique d'un forcené » ayant agi « sans motivation politique ». Voilà sans doute pourquoi, le président de la République française a condamné « l'attaque terroriste qui a frappé Munich ». Le chef de l'Etat a également condamné « un nouvel acte ignoble » destiné à « saisir d'effroi l'Allemagne après d'autres pays européens ». La presse française se met à l’unisson de la déclaration élyséenne. Chez nous, puisque on vous le dit, il s’agit bien d’une attaque terroriste coordonnée avec d’autres, telle celle de Nice. Et penser autrement, c’est excuser, c’est même être complice ! 

 

24 juillet.

Pensée croisiériste. Demain, si tout va bien, je mettrais du nord-ouest dans l'étrave d'ArTiYote III mon petit voilier. Je veux cingler vers le soleil couchant, ayant confisqué dans les voiles un peu de ce nordet annoncé, Je dépasserai les îles où j'ai maintenant presque mes habitudes, Belle Île, Groix, pour en découvrir de plus lointaines, de plus sauvages, dans l'archipel des Glénans. Ensuite, nous aviserons. Selon le vent, l'océan et notre humeur. Sept mètres sur deux mètres cinquante, ce sera mon territoire de liberté. Tout ce qu'il me faut pour cette petite conquête sans prétention. Mes pensées joueront à saute-mouton, si le vent le permet, mais, elles ne pourront sans doute pas vous atteindre, enfin on verra. "S'il est impossible de ne pas penser à quelque chose, il reste possible de penser à autre chose", a dit Lewis Caroll.

 

25 juillet.

Grosse fatigue. Port Haliguen, 5 heures de navigation avec 16 nœuds de vent dans le nez, à quoi voulez-vous que je pense ? Mais à quoi voulez-vous que je pense ?

 

26 juillet.

Agréable imprévu. Sauzon (Belle-Île). Étape imprévue, rencontre improbable, dîner agréable... Il arrive que l'improbable imprévu soit agréable... mais ça ne peut arriver qu'à des gens biens...

 

27 juillet.

Autre chose à penser. Port Louis après un long bord (21 milles) de bon vent, de clapot, de grains et de bruine depuis Sauzon... Que du bonheur ! Elle est dans la cabine et ses bras m'appellent. Et moi, dans le carré, contraint de vous livrer une pensée quotidienne de plus... Allez, je vous laisse ! Il y a d'autres priorités dans la vie !

 

28 juillet.

Leçon de vie. Ne laissez jamais une bretonne se mêler de la préparation des spaghettis bolognaises. D'abord, elle vous demande de cuire la viande hachée à part de la sauce sous prétexte qu'il vaut mieux manger la viande rouge ! Ensuite, subrepticement et profitant de votre dos tourné, elle coupe les spaghettis en trois. Et après, comment vous les mangez, si vous ne pouvez plus les tourner autour de la fourchette? Je vous le demande ! D'habitude, les spaghettis bolognaises, c'est moi et elle a l'interdiction de fréquenter la cuisine. Mais là, (presque) au milieu de l'océan Atlantique, je ne pouvais lui interdire l'accès à la cuisine qui est en même temps la salle de séjour, la chambre, la salle de bain et le seul lieu sec de survie à des milles à la ronde... Résultat on a mangé des nouilles sauce tomate avec de la viande hachée... Déchéance.

 

29 juillet.

Alors, heureux? Comme demain, nous reprenons la mer, je me demande si les grands malheurs du monde nourrissent nos petits bonheurs ou si, ce sont nos petits bonheurs qui nourrissent les grands malheurs du monde en les rendant, par comparaison, aussi atroces. Bon mais je me le demande comme ça, en passant, sans vraiment y penser. Parce que si j'y pense vraiment, alors je me dis que profiter de mes petits bonheurs est une manière pas si méprisable de combattre les grands malheurs. Donc je le fais. Quelqu'un a-t-il quelque chose à y redire?

 

30 juillet.

Nœuds pas marins. Bon c'est vrai que le vent était capricieux qu'il ne faisait pas très chaud que naviguer au moteur est lassant mais on a croisé des dauphins et on a pêché un maousse maquereau de 500 grammes et on en a fait notre dîner avec des tomates des oignons du vin blanc et des pommes de terre rissolées et du curcuma et on n'est pas à plaindre parce que ce soir on lit un peu de poésie avant d'aller dormir et que c'est René Char et qu'on tombe en arrêt devant ce vers en forme de conseil pas très marin qui dit :

" Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique maladie de faire des nœuds".

 

31 juillet.

Perles d'étoile.

L'océan s'est retiré loin et j'arpente l'estran

à regarder les pêcheurs gratter pour 

des coques ou des palourdes.

Dans les anciens parcs, 

la marée de vives eaux découvre quelques huîtres

qu'on ne mange que debout les pieds serrés dans les bottes

après les avoir ouvertes au 

couteau.

Les yeux baissés fouillant la vase

on découvre des étoiles plus scintillantes encore

qu'en une belle nuit d'août. 

"Écoutez !

Si on allume les étoiles

c'est donc à quelqu'un nécessaire..." a dit Maïakovski,

comme trouver une huître accrochée au rocher, l'ouvrir et

l'avaler.

 

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