Mes pensées des jours de février 2017

 Dernier mois de l'hiver, pourtant le printemps tarde à pointer le bout de son nez. Je ne parle pas de météo...

 

1er février 2017

Pacotille. Voilà qu’au point où nous sommes arrivés, quand j’entends ou quand je lis des « avec des socialistes ? Jamais ! » et des « c’est à Hamon de choisir et pas à moi », et des « qu’ils dégagent tous ! »… et des tas de slogans de cette nature, mots d’ordre, pensées définitives et hautement révolutionnaires de cette sorte… Voilà quand j’entends tout ça et que je vois comment se joue le destin de la France, et de l’Europe, et de la planète, et le destin des peuples… Alors, je pense à Mandela. Mandela, sans doute un traitre, et un révolutionnaire de pacotille, puisqu’il décida de s’entendre avec ceux qui l’avaient mis au bagne, ceux qui avaient tué, assassiné ses camarades de combats et réprimé le peuple, avec les dirigeants de l’apartheid, pour construire dans la paix et la démocratie une transition vers une autre Afrique du Sud. Et je pense à d’autres pseudos révolutionnaires comme Arafat. Mais nous ? Nous en France, parler de nos programmes entre Hamon, Mélenchon, Laurent, Jadot ? Chercher des convergences ? Construire ensemble les conditions politiques d’une majorité nouvelle ? Vous n’y pensez pas !

 

  2 février 2017.

Echéance politique. Avis de tempête ce soir sur nos côtes. Quand la tempête est annoncée, le marin ne reste pas droit dans ses bottes. D’abord il regarde si, en changeant de cap, il ne peut pas contourner la dépression. Si la tempête le prend, un changement de cap s’imposera encore. Il mettra en fuite sans doute, s’il a de l’eau sous le vent, si la côte n’est pas trop proche. De toute façon il cherchera la route la plus confortable pour le bateau et l’équipage, la plus sûre en fonction de la direction du vent, des lames... Surtout il réduira la voilure sans hésiter. Bref un vrai marin s’adaptera. C’est ainsi qu’il étalera le gros temps et pourra reprendre sa route, la tourmente passée. Je suis souvent interrogatif quand, à l’approche des tempêtes, on continue son chemin comme si de rien n’était.

 

  3 février 2017.

Ce soir est déjà demain. Ce que je sais seulement, c’est que la lycéenne qui attendait sur le parking du Palais des Arts de Vannes ce vendredi 3 février à 17 h 45, était aussi blonde que le jeune homme qui l’a rejointe était noir. Elle et lui, se tenant la main avec une retenue timide, sont partis dans le soleil qui défiait le crépuscule, tandis que dans le ciel, poussés par la tempête, les nuages défilaient portant fièrement leurs étendards d’un rouge-avenir.

 

  4 février 2017.

Débranche tout. Voilà qui m’a toujours étonné. Qu’au seuil du malheur et des grands déchirements du monde (parfois même un pied dedans), les hommes et les femmes puissent passer du temps aux futilités de jouer, de rire, de délirer, de sortir, de lire, d’écouter un concert ou d’aller au théâtre. De s’aimer. La vie est là, dehors et dedans, légère et pesante, à approcher le drame et caresser le bonheur, à vivre à en oublier la vie même.

 

  5 février 2017.

« Je vote, ils dégagent ! ». Ce n’est pas du tout ce slogan qui me fait choisir le bulletin Mélenchon à l’élection présidentielle. Qui est le « je » de l’affaire et qui sont les « ils » ? Il peut y avoir tant de réponses différentes et je n’ai pas le cœur de jouer aux devinettes à ce propos. Je suis content que Sarkozy ait été dégagé, même si ce n’est pas par moi. Je suis encore plus content que Valls et Hollande aient été dégagés et j’aurais préféré que ce soit aussi avec moi. Seulement voilà, maintenant que tout ce beau monde a dégagé et qu’un espoir est né, ce qui m’importe surtout ce n’est pas qui dégager encore mais pour quoi s’engager. Si c’est pour faire barrage à Le Pen, Fillon, Macron, et mettre en œuvre une politique nouvelle, qui commence à répondre aux attentes populaires et aux défis du siècle, oui, engageons-nous ! Le « dégagisme » ne passera pas par moi. 

 

  6 février 2017.

Construction. On ne retient des révolutions que les instants inoubliables des barricades héroïques, des fusillades tragiques, des prises de bâtiments (Bastille ou Palais d’Hiver) homériques… On oublie ce qu’il a fallu d’années, de décennies de patience, de souffrances, de soirées enfumées et d’intelligences fines, de débats exacerbés, d’errances et d’ornières, d’échecs et de victoires poussives, pour parvenir à ces courts moments glorieux. Alors s’avancent des hérauts sortis de nulle part, pour dire aux obstinés du quotidien : « c’est notre heure, faites place ! ». Et demain, il faudra tout recommencer.

 

  7 février 2017.

Cette nuit comme beaucoup d’autres nuits. Ce que je sais seulement, c’est qu’elle s’avançait pieds nus dans le métro, toute petite dans sa robe jaune, avec un visage chiffonné et quémandeur, des yeux immense et des boucles blondes sous un voile sale. Elle demandait de l’argent en silence et j’ai vu (senti comme un épais brouillard), le reproche, la compassion, la haine, la honte, l’embarras d’une rame entière de passagers, blessée, paralysée, sans réaction. Ce que je sais aussi, c’est que je n’ai pas bougé non plus. Ce que je sais enfin, c’est que l’image de ce souvenir est revenue me visiter cette nuit. Une fois encore.

 

  8 février 2017.

En attendant. Belle journée calme et lumineuse sur la Bretagne et le Golfe du Morbihan. Entre les îles de Gavrinis et Er Lannic, le soleil au couchant  colorait d’aquarelle les tourbillons tranquilles de l’étal de pleine mer. Comme si le monde s’était soudain apaisé dans l’attente des ultimes tempêtes. 

 

  9 février 2017.

C’est « temps mieux ». Les deux plus jeunes de mes petits-enfants (Pamela 17 ans et Nikola 15 ans) passent la semaine avec moi en Bretagne. C’est (trop) rare et c’est précieux. J’apprends à les connaitre, à les comprendre, j’apprends à prendre le temps de rattraper le temps perdu avec eux. Je n’ai pas toujours réussi (et je m’en veux) à consacrer le temps qu’il fallait à ceux que j’aime. On se rattrape quand on peut, comme on peut, toujours trop tard, jamais trop tard.

 

  10 février 2017.

Modestie nautique. Ce que je sais seulement, c’est que dans quinze jours maintenant, j’ai prévu de mettre mon bateau à l’eau et que ça me tarde, de profiter du soleil et du vent, de chevaucher le courant de la Jument, de passer Berder et Gavrinis et l’Île Longue et la balise tribord des Moutons, et de sortir du Golfe au travers de Port Navalo, et de cingler vers le large, vers les Béniguets sur l’Île de Houat, puis de là vers Belle Ile et le Palais, puis après... Ne disons rien de plus pour le moment, ce programme est déjà un Vendée Globe (à mon niveau)…

 

  11 février 2017.

L’œuf et la poule. Ce soir les amis se sont attardés chez moi. Ma pensée du 11 février, vais-je devoir l’écrire le 12 ? Ce serait malhonnête comme un discours du Bourget. Alors le 11 (pour encore 5 minutes) je me mets à écrire, sans savoir sur quoi ça va déboucher. Sur une pensée pourtant : l’écriture, parfois, fait penser plus que la pensée ne fait écrire. On écrit et la pensée vient presque toujours. On pense et ça ne s’écrit que rarement. C’est posté le 12 mais écrit le 11.

 

  12 février 2017.

Il y a des gens bizarres. Ce que je sais seulement, c’est qu’assis devant un demi à la terrasse glacée du bistrot du bourg d’Arradon, il regardait vers le ciel comme si n’y passaient pas des trains de nuit vert-pomme, des automobiles d’un autre âge et des gens pressés d’écrire leur poème. Un de ces types aveugles et insensibles aux réalités concrètes. 

 

  13 février 2017.

Vers-guides. Ce que je sais seulement, c’est que j’aime lire les poètes, et que certains vers, certaines phrases, certaines images guident mes choix des moments importants. J’ai ainsi décidé qu’aux choix de ce prochain printemps correspondraient deux vers de Victor Hugo qui disent :

« Le mois de mai sans la France,

Ce n’est pas le mois de mai… »

 

  14 février 2017.

L’amour est un enfer consumériste. Je lui dis en cette saint Valentin, il faudrait qu’on choisisse si nous continuons ou pas. Elle me dit tout dépend de ce qui se passera aujourd’hui. Je lui dis que faut-il faire pour que la journée se passe bien. Elle dit le frigo est vide, il faudrait faire les courses…

 

  15 février 2017.

Comment s’en sortir ? Bon, je plaisante avec l’amour qui n’est en rien un sujet de plaisanterie. C’est en réalité pudibonderie de ne pas avouer son amour à celle qu’on aime. On se cache derrière des marguerites, des « un tout petit peu », ou des « beaucoup » qui affadissent le propos. On s’en sort comme on peut avec cette question qui accable : « Dis, est-ce que tu m’aimes ? » Que voulez-vous répondre à une question pareille, en étant cru et sincère ? Alors, je ne lui laisse pas le temps. Assez souvent pour qu’elle se dispense de m’interroger, je lui dis que je l’aime.

 

  16 février 2017.

Orateur. Ce que je sais seulement, c’est que ses discours étaient de plus en plus longs. Un long exercice solitaire. On était ébloui (pas autant que lui-même toutefois) devant l’exercice habile et talentueux. Et convaincu peut être. De quoi ? Qu’il était le meilleur, sans doute. Qu’il avait raison, moins sûr. Je me suis mis à penser que quelqu’un qui ne perçoit du monde que le reflet des miroirs ne peut guère soutenir quelque chose de solide.

 

  17 février 2017.

Ce serait bien. J’aimerais penser de mon pays qu’il est cité inattaquable, inexpugnable tanière de tous les réfugiés, de tous les exclus du reste du monde. Que sa devise est l’arc en ciel des rêves universels.  J’aimerais penser de mon pays qu’il est peuplé d’amis, de camarades, solidement ancrés aux corps morts d’une baie bien abritée. J’aimerais penser de mon pays qu’il est à l’abri des déchirures, un pays au message solide et tranquille.

 

  18 février 2017.

Peut-être aurons-nous un jour la force de penser que si nous avons raison et si nous ne sommes pas des dieux vivants, des créatures magiques touchées par la grâce du ciel, alors d’autres auront raison aussi, un jour ou l’autre. C’est pourquoi nous pouvons accepter, provisoirement, que nos raisons ne soient pas reconnues. Et nous pouvons marcher confiants, avec d’autres qui n’ont pas encore en tête le même chemin que nous. Nous avancerons ainsi, non pas sur des voies de traverses, dans des impasses mal fréquentées, mais sur une route escarpée et pleine d’embûches que nous franchirons une à une. Parce que ce que nous voulons, ce qui nous motive, n’est pas un horizon. C’est un chemin.

 

   19 février 2017.

Hiver indien. Cette année le printemps est en avance. Les mésanges nichent déjà dans le mirabellier et sur la pelouse, les tourterelles lissent leur plumages, se font belles et roucoulent leur appel. Et aujourd’hui, j’ai gréé les voiles sur le bateau. Bientôt il sera à l’eau et nous irons voir un peu si ma vague préférée est au rendez-vous.

 

  20 février 2017.

Rapport de forces. Voilà que maintenant les jours rallongent. Ils sont tellement longs, déjà, que bientôt ils donneront rendez-vous à la nuit, sur le pré, pour un duel à mort. Mais chaque soir, c’est la nuit qui gagne. On ne devrait vivre que le matin.

 

  21 février 2017.

Maintenant on stoppe. Et si on arrêtait de jouer à « c’est c’lui qui l’dit qui y est », « c’est pas moi qu’a commencé », et « le vilain c’est lui » ? Parce que pendant qu’on joue les cowboys dans la cour de récré, il y a les méchants loups qui affutent leurs crocs et se lèchent les babines… Faudra bien trouver une solution et c’est ça qui nous intéresse. La seule chose solide pour se rassembler, c’est un programme acceptable par tous. Alors nous, les « insoumis » d’en bas, (les vrais) on va vous secouer un peu pour qu’il en sorte quelque chose de « désirable ». Et si vous ne voulez pas, alors, « dégagez ! »

 

  22 février 2017.

Prédiction. Et pendant que chacun s’époumone à couvrir la voix de l’autre, sous leurs pieds travaillent les taupes à creuser les tunnels où ils s’embourberont. Tous les signes pourtant étaient là : le mimosa éclatait en flamme jaune, les terrils d’argile pointaient dans la pelouse. Que fallait-il de plus pour les convaincre ? Bientôt les foules averties dont ils prétendent porter le cri, leurs lanceront un œil sévère avant de détourner le regard.

 

  23 février 2017.

Stupide météo. Pour cause de tempête, le voilier n’est pas à l’eau ce soir et je n’en profiterai sans doute pas avant quelques jours. Mais à tout bien considérer, je me préfère victime (la conséquence n’est pas bien lourde) d’une météo capricieuse (je n’y suis pour rien) que victime (bien plus lourdement) de stupides erreurs de jugements (qui ont trop tendance à foisonner ces temps-ci).

 

  24 février 2017.

Abandon. Le soleil s’est appuyé très fort sur mes yeux ce matin. J’aurai voulu que tout recommence dans cet éblouissement. Mais rien n’a recommencé. Et je suis resté là, un peu perdu, un peu chagrin, dans le renoncement. Je me suis planté dans le sol à regarder l’effritement du monde, autour de moi, sans autre désir que d’elle.

 

  25 février 2017.

C’est déjà demain que j’écris ma pensée de la veille. Zéro heure vingt-trois indique ma montre qui n’a pas l’habitude d’être à cette heure consultée. Elle l’accepte pourtant sans rechigner et même en affichant (en même temps que l’heure) un sourire ironique. « Tu as manqué ta pensée d’hier », semble-t-elle me dire tandis que je regarde par le vasistas les étoiles qui tremblent dans le ciel, lucioles hésitantes à m’indiquer un chemin. 

 

  26 février 2017.

Il y en a qui ont de la chance. Ce matin au port d’Arradon, ciel et mer se confondaient. Les grains d’un crachin compact résistaient au vent et courraient sans se disloquer. Les îles se brouillaient à leurs passages en un paysage très japonais. Au large de l’Île aux Moines, un voilier courageux affrontait les rafales. Je le regardais, envieux de l’équipage, qui, à la gite, ne devait guère s’inquiéter de l’approche des prochaines échéances électorales.

 

  27 février 2017.

Un peu de dialectique matérialiste ne peut pas faire de mal. De tous les défauts rédhibitoires dont un militant révolutionnaire peut souffrir, le pire est de renoncer à transformer le réel à partir du mouvement du réel lui-même. Ou, pour dire les choses plus trivialement, de prendre ses désirs pour la réalité. Celui-ci, si toutefois il parvient à entraîner quelques partisans, ne les conduira qu’à l’abîme. Le plus souvent, heureusement, il s’y rendra seul.  

 

  28 février 2017.

Dernière pensée du mois de février. Presque dernières pensées d’hiver. Je suis tout encore à La Bellevilloise, de belles paroles échangées. Des regrets qui me tirent, des espoirs qui me poussent... Fier quand même de ce que fait le Parti communiste et Pierre Laurent en particulier. Certains disent aujourd’hui que c’est trop tard pour discuter contenu, trop tard pour un pacte de majorité. Ces mêmes disaient quand Pierre proposait qu’on commence par ça, il y a plus d’un an, que c’était du temps perdu... Je rappelle ça sans acrimonie ni amertume, mais quand même, je le rappelle...

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