Camarade secrétaire national
excuse le dérangement.
Merci, je préfère rester debout *.
Tous les trois jours
nous y allons d’un plan d’urgence
pour le jour ou le monde d’après
Un plan vigoureux, cohérent
garanti aux normes Afnor comme les masques
artisanaux.
Des plans en veux-tu en voilà
avec la hausse des salaires
les recrutements, les services publics renforcés
à coups de milliards… Et de-ci,
de-là, quelques nationalisations bien senties…
De bon plans, assurément qui d’ailleurs
reprennent les vieilles et belles
revendications syndicales.
Avec en financement prendre
l’Argent où il est, dans la poche des
riches, serrer le kiki du Capital
qu’il soit français ou international puisque
c’est bien connu, le Capital ignore
les nationalités.
Tous ces plans,
camarade secrétaire national,
je les soutiens du mieux que
je peux.
Mais, camarade secrétaire national,
ces plans, pourtant,
laissent au fond de ma gorge un arrière-goût
d’amertume
comme la surprise d’une gorgée de bière brune.
Comme un manque,
une soif au bord d’un ruisseau dans
la clairière ensoleillée de ces chauds
après-midis dé-confinés du mois de mai.
Camarade secrétaire national,
ce que j’essaie de te dire,
avec un respect sincère et une
franchise communiste indispensable
(du coup je veux bien m’asseoir
un moment)
c’est qu’il manque à notre courage
à nos fougues généreuses
à nos engagements décidés,
un peu de ce grain de sel communiste
pour lequel nous nous sommes enrôlés
toi, moi et des milliers de militants.
Tu sais, ce petit parfum de folie,
ce rideau qui se déchire dans les ciels
d’encre
pour laisser passer le rayon
d’une clarté triomphante,
cet élan qui nous pousse chaque petit
matin grincheux à
sortir de nous-mêmes quand
nous sortons seulement dans la rue.
Ce rêve qui nous fait respirer.
Autrement.
Ce grain de sel communiste qui
devrait nourrir tous nos plans
nos combats, nos initiatives nos
inventions militantes,
et y figurer en exergue,
comment l’appeler ?
J’essaie : « le pouvoir ».
Je ne parle pas de cette
« prise de pouvoir » qui fut,
succès ou échecs,
la forme obligée des révolutions
verticales des siècles derniers.
Je ne parle pas non plus des
conquêtes nécessaires de pouvoirs
locaux ou nationaux
obtenus par des alliances éphémères
de partis pour former ces
« majorités politiques » indispensables
pour gouverner le peuple
par l’intermédiaire de ses « représentants »
(donc gouverner
au-dessus du peuple).
Je parle de la conquête des pouvoirs par
les salariés,
les citoyens
qui s’organisent et luttent pour
disputer les pouvoirs
arracher les pouvoirs
conquérir les pouvoirs
par eux-mêmes et pour eux-mêmes.
Je parle de « pouvoir » pour
dire « démocratie » une
« démocratie radicale »,
une auto gestion populaire.
Question (parmi d’autres)
que je m’adresse
autant qu’à toi :
Ceux qui ont exercé le pouvoir à l’hôpital
pour le compte des gouvernements
dogmatiques du néolibéralisme
(du capitalisme pour parler vrai),
les ARS, les managers, les directeurs,
les désosseurs bureaucratiques de l’hôpital,
faut-il leur rendre ce pouvoir ?
Faut-il leur rendre
alors qu’ils l’ont perdu dans la crise,
laissant aux soignants,
aux personnels administratifs et ouvriers
le soin d’organiser
l’encaissement du grand choc ?
Et de tout réorganiser.
Peut-on leur faire confiance
pour sauver nos hôpitaux publics
leur apporter l’oxygène
alors qu’ils les ont asphyxiés
jusqu’à les détruire ?
Le temps n’est-il pas venu ?
Question (parmi d’autres)
que je m’adresse autant qu’à toi.
Ces milliers d’entreprises
prochainement mises à la faillite par
la crise et la cupidité des banques
va-t-on les laisser à l’abandon,
elles et leurs salariés ?
Va-t-on les abandonner à la merci des rapaces
des fonds d’investissements
dépeceurs d’activités ?
Ou va-t-on encourager avec force et soutien
leurs salariés à s’en emparer
sous forme coopérative ?
Le temps n’est-il pas venu ?
Le « pouvoir ».
Les humains l’exècrent désormais parce qu’en
s’exerçant sur eux pendant des millénaires
il s’est exercé contre eux.
Aujourd’hui, contre eux et contre la planète
comme une évidence partagée.
Ce pouvoir-là, gardons-nous en comme du Covid !
Nous, communistes, nous n’aimons pas ce pouvoir sur le peuple,
Nous ne pouvons aimer que le pouvoir
du peuple sur lui-même.
Et quand, fruit d’une combinaison politique
heureuse
nous obtenons de haute lutte
quelque pouvoir,
dépêchons-nous de le partager
de le distribuer
car seul nous intéresse le pouvoir
des hommes sur eux-mêmes
des femmes sur elles-mêmes.
Et de chaque individu sur sa propre vie.
Le temps n’est-il pas venu ?
Camarade secrétaire national
Je me lève maintenant pour te laisser
tranquille
sans savoir si mon poème
avait la moindre chance
ni même quelque raison de t’inspirer.
Je retourne à mon militantisme
communiste un peu trop solitaire.
Je me fraie comme je peux un chemin,
élaborant ma propre stratégie hésitante.
(Ce n’est pas grand-chose mais c’est à ma portée).
J’essaie d’écrire un peu pour faire sourire
une poignée d’amis, j’ose parfois
une intuition sur la chose politique.
Autour de moi, juste autour de moi,
dans le journal de mon quartier
que je rédige avec les enfants de l’école,
dans l’atelier d’écriture que j’anime
dans des initiatives d’éducation populaire
j’essaie de montrer aux gens
combien ils sont magnifiques.
J’espère ainsi les convaincre
qu’ils sont prêts à prendre le pouvoir.
Eux-mêmes et sur eux-mêmes
*Incipit inspiré par un poème de Vladimir Maïakovski.