Pensées des jours d'avril 2017

  1er avril 2017.

Un homme s’avance et dit : « nous allons refaire le monde ! » Et il nous raconte comment ce monde sera, il le dessine avec des mots magiques, une conviction propre à soulever nos poitrines. L’élan est irrésistible. Avant de quitter la scène, il dit « je compte sur vous, vous pouvez compter sur moi ». Alors prend place le doute, et comme une amertume au bord des lèvres de l’espoir.

 

  2 avril 2017.

Souvent ces jours-ci, des amis me demande « mais toi, qu’est-ce que tu vas faire ? ». Je sens leur inquiétude et leur perplexité. Et je n’ai pas envie de cacher que je la partage. Mais maintenant, je crois que pour le 23 avril, parce que c’est ce dont il s’agit, les choses sont assez claires. Un autre bulletin porte-t-il aussi clairement un choix de changement à gauche que celui de Mélenchon ? Aucun. C’est donc celui que je vais utiliser. Mais un accord à gauche, pour une majorité politique anti austérité, serait bienvenu avant cette date. Parce que pour une politique nouvelle, il faut une majorité nouvelle, pas seulement, pas d’abord un nouveau président. C’est aussi pourquoi je soutiens et tâche de participer aux efforts que font Pierre Laurent et le parti communiste.

 

  3 avril 2017.

C’est décidé : demain je prends la mer ! (Et je ne sais pas quand je vous la rendrai).

 

  4 avril 2017.

J'ai donc (comme promis) pris la mer sans intention de la rendre. Et me voilà avec elle à Palais, un port de Belle Île. Nous avons eu, lors de la traversée, notre content de vent et de vagues et ArTiYote le voilier et son téméraire capitaine sont assez satisfaits d'eux-mêmes. Moins qu'elle qui supporte mal les vagues qui lui font des nœuds (gordiens?) à l'estomac. Pour la consoler, et réparer l'inconfort, nous passerons une nuit au sec à l'hôtel. Ce soir je voulais lui chanter la sérénade mais notre chambre est au rez-de-chaussée. Une sérénade sans balcon dans les étages, ça ne se fait pas. J'ai dû renoncer.

  

  5 avril 2017.

La mer... On peut la prendre et puis la reprendre. Est-il possible de la rendre ? Et à qui ? Bon en tout cas, demain, je reprends la mer vers le continent. Avec elle. Ma belle, ma compagne fraternelle, elle, je ne l'ai pas prise, mais je ne la rendrai pas. À personne.

 

  6 avril 2017.

Douché, venté, courbatu, fourbu … Huit heures de barre le vent de face, la houle, les vagues… Bref… Heureux !

 

  7 avril 2017.

Un jour j’irai à la pêche. Pour de bon, avec du matériel professionnel. Et de vrais appâts. Je rêve de sortir de l’eau, au bout de ma ligne : un bar de deux kilos, une daurade impériale (la royale est d’une banalité…) et un ou deux rougets. Je rêve aussi d’attraper la pochette de l’album « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band » et un poème d’Abdellatif Laâbi. Comme : « Dites-moi/ vers quel néant/ coule le fleuve de la vie/ C’est quand/ la dernière fois/ que vous vous y êtes baignés ? »

 

  8 avril 2017.

Chaleur. L’été s’est invité. Pour deux jours seulement, d’après les prévisions. Mais elles ont mis sans attendre des cerises à leurs lèvres, ont raccourci toutes leurs étoffes et guettent, paupières mi-closes, l’aveu de nos désirs.

 

  9 avril 2017.

Sous un soleil vengeur, armé d’un tournevis et d’une machette, j’ai décollé un à un les carreaux de la terrasse. (Il le fallait, le carrelage craquelait, se soulevait comme, dans les films catastrophes américains, San Francisco sous la pression de la dérive des continents). Alors, j’ai interpellé le soleil pour le calmer un peu. « Tu ne me fais pas peur, soleil fanfaron ». Ça ne l’a pas calmé. Il a continué à me chauffer la peau et les oreilles, comme s’il ne m’entendait pas. À la fin, je suis allé me mettre à l’ombre, laissant en plan la terrasse ravagée, un tas de céramiques cassées, une puissante amertume, la frustration du travail inachevé. Ce n’était pas très gentil de la part du soleil et je n’ai pas manqué de le lui dire.

 

  10 avril 2017.

L’an dernier, nous avions planté un jeune pommier dans le jardin. Il nous avait donné trois pommes. Cette année, il a beaucoup grandi, et surtout, il s’est couvert d’au moins cent fleurs,  d’un rose frais comme un serment. Je te promets cent pommes, semble-t-il me dire. Je lui réponds nous sommes en période électorale, ne promets rien, donne-moi dix pommes, ça suffira. Elles me nourriront mieux qu’une mirifique promesse.

 

  11 avril 2017.

Avez-vous remarqué comme les étoiles tremblent ? On les croit sûres d’elles-mêmes, on les voit un peu arrogantes… et bien non, elles tremblent. Même l’été elles tremblent. Pourtant, l’été, elles ne peuvent avoir froid. Alors, les étoiles ont-elles peur ? Et de quoi ? De nous ? De nous qui gardons la tête dans les étoiles. (Si bien que nous ne savons plus où nous avons mis les pieds).

 

  12 avril 2017.

Il me semble qu’en montant, là, sur ce guéridon, et en vous hissant sur la pointe des pieds… Voilà, comme ça, en vous penchant un peu vers le bord de la fenêtre… Il me semble qu’ainsi, vous pourrez voir… au-delà de la mer, bien loin, sur la ligne d’horizon, là où le soleil plonge dans l’oubli du jour… Vous y êtes… Il me semble qu’en regardant exactement là, à ce point précis… vous pourrez percevoir, même fugacement, un soupir, une caresse, une jolie preuve d'amour...

 

  13 avril 2017.

Je me suis demandé : « qu’est-ce qu’un poète ? » J’en fréquente quelques-uns, même épisodiquement. Alors je peux vous le dire en confidence : un poète, ce n’est pas du tout ce qu’on croit. Ils ne sont pas mignons, en général. Ils ne rêvent pas nuit et jour. Ils mangent, (copieusement pour certains), boivent (pas toujours avec modération), passent beaucoup de temps à composer de longs poèmes d’amour pour les dames ou les hommes de leurs pensées mais ne sont pas beaucoup plus fidèles que la moyenne des conjoints (pour autant que je le sache). Mais alors, qu’est-ce qu’un poète ? Et puis, j’ai soudain compris : un poète c’est comme un communiste. Je l’ai réalisé quand, apercevant un poète, quelqu’un a dit : « Un poète, ça existe encore ? »

 

  14 avril 2017.

Justement, j’avais envie d’un poème, d’un poème d’amour. Pas de n’importe quel amour. D’un amour familier. Un amour qui ne me soit pas une terre inconnue. Je n’ai pas trouvé ce poème, mais je sais bien de quel amour il s’agit. Et s’il arrivait que je l’oublie un peu, juste un moment, alors il me suffirait de demander « tu m’aimes ? » et d’attendre la réponse. Sans inquiétude. 

 

  15 avril 2017.

Si je vous parle de poète, de poème et de poésie, c’est que je peux me le permettre : je ne suis pas poète. Je le sais parce que lorsque je regarde la mer je ne pense pas aux hanches rebondies de la houle callipyge, au désir d’écume quand elle étreint la plage, ou à la caresse des chevelures d’algues penchées sur le sexe érigé des récifs… Quand je regarde la mer, je pense que ce soir, j’aimerais bien manger un tourteau mayonnaise. 

 

  16 avril 2017.

S’il est comme le communiste (c’est du moins ce que j’affirmais récemment dans une pensée quotidienne), le poète est très différent du marin. Devant l’étrave du marin, il y a toujours un monde nouveau. Mais c’est dans la tête du poète que se trouve le monde nouveau. L’aventure du marin est de découvrir un nouveau monde, qui existe réellement derrière chaque vague, chaque risée qu’il affronte. L’aventure du poète est d’inventer sans cesse le monde réel, un monde infini de sens que la poésie fait partager. Partager non comme une richesse (chacun une moitié) mais comme un sourire. Décidément le poète est bien comme le communiste.

 

  17 avril 2017.

_Où as-tu trouvé cela ?

_Juste là, sur l’estran, entre deux rochers.

_L’as-tu bien examiné ? Sais-tu ce que c’est ?

_Je me le demande, j’avoue ma perplexité.

_Malheureux ! Mais c’est un poème ! Comprends-tu ce que ça implique ?

_Trouver un poème, ce n’est pas la fin du monde quand même !

_Le trouver, passe encore ! Mais le ramasser ! L’emporter ! Le montrer au premier venu ! Tu risques de bousculer bien des choses !...

_Évidemment puisque c’est un poème !

 

  18 avril 2017.

Est-ce parce que j’ai chargé puis déchargé plus de 300 kilos de carrelage, ciment et colle cet après-midi que ma pensée du jour se fait lourde comme l’attente d’une pluie d’orage ? Ou est-ce toujours un peu le cas sans que je m’en aperçoive ? Je cherche la réponse autant que je la crains.

 

  19 avril 2017.

On m’a dit : plutôt que parler de poésie, toi qui est si malin, compose nous un poème bien à toi. Mais comment faire ? Personne ne m’a jamais appris comment écrire un poème. Bon, je vais essayer quand même. Poème :

« C’était il y a longtemps (il y a prescription), je me suis arrêté prendre une autostoppeuse qui m’a dit emmène-moi loin d’ici. Je lui ai dit ça tombe mal je vais à deux pas. Elle m’a dit il y a de multiples façons de m’emmener loin d’ici. Je suis donc allé à deux pas pour l’emmener loin d’ici. Et elle m’a remercié très gentiment. »

 

  20 avril 2017.

Encore un poème. « Quand je serai plus vieux que le déjà vieux que je suis, je me mettrai à croire en Dieu (on ne sait jamais). J’entrerai dans une église en clamant avec les autres « loué soit le Seigneur, qu’il m’accueille en sa demeure ! » D’ici là, je me renseigne sur le prix du loyer. »

 

  21 avril 2017.

J’invente chaque jour un nouveau jour. La nuit qui tant m’effraie, je l’élimine. Mes jours sont des jours de plein soleil. Pourtant, le soleil se lève et se couche pour m’offrir ses grenats, ses orangers, ses éclats et ses pastels. Mais sitôt couché, le soleil brille comme plein jour. Chaque jour est veille et lendemain d’un jour nouveau. Chaque jour elle est là avec ses seins d’un soleil qui jamais ne se couche.

 

  22 avril 2017.

Aujourd’hui, soleil et vent pour naviguer. Un petit tour en Baie de Quiberon. J’avais l’intention de m’attaquer sévèrement à la ressource halieutique. Il y avait au moins six hameçons sur la ligne de traîne. Et puis… au dernier moment… une prise de conscience écologique… quelque chose comme une révélation… Bref, j’ai laissé la ressource en question intacte. Ce soir, les amis qui nous ont invités pour dîner, nous ont offert un gigantesque plateau de fruits de mer (huîtres, crevettes, langoustines, et araignées…) Ma conscience était toute nouvelle, elle n’a pas résisté. 

 

  23 avril 2017.

Procuration. Ma nièce a voté pour moi. Je l’en remercie. Mais elle me dit qu’elle préférerait que je le fasse moi-même au deuxième tour : « Au cas où, voter Fillon ou Macron contre Le Pen, une fois, ça va, mais deux fois, je ne sais pas si je m’en remettrais. » Moi qui voulais ne pas me salir les mains… Si c’est le cas, ok, c’est moi qui irai. Mais si c’est mon candidat qui se qualifie, alors je la laisserai voter pour moi. C’est sûr que ça lui fera plaisir. 

 

 

  24 avril 2017.

Ma colère, ce matin, est sans amertume. Ma colère je la veux rouge d’espoir, agissante, conquérante. Je n’ai que faire des renfrognements et j’ai passé l’âge de la bouderie. Perdus ou gagnés, les beaux combats sont des victoires. Je craignais une situation gravissime et elle est là. Qui ne s’y attendait ? Mais les moyens de la conjurer, ils sont dans le score de Mélenchon et dans le désaveu populaire des trahisons du PS. Servons-nous de ça pour reconstruire à gauche, rassembler et travailler à une majorité. Cela ne se fera pas dans l’aigreur.

 

  25 avril 2017.

Ce matin je suis allé voir le médecin pour lui dire docteur, j’ai un problème de cœur. Il m’a dit encore ! C’était déjà le cas il y a quinze jours ! Je lui ai dit oui, docteur, mais ce coup-ci, ce n’est pas le même problème : elle est brune. Alors, le visage grave, il a consulté son gros livres, m’a regardé plusieurs fois en hochant la tête d’un air ennuyé, et en rajustant ses lunettes pour avoir l’air très intelligent, il m’a dit désolé, cette fois je ne peux rien pour vous. Moi, je ne sais pas pourquoi je raconte ça alors que ce n’est même pas vrai.

 

  26 avril 2017.

On m’a dit sois un peu sérieux et arrête de raconter des histoires à dormir debout sur ton cœur et un docteur qui n’existe même pas. Parlons donc d’autre chose. De politique par exemple. La politique, sur ce réseau « social », est un exercice qui consiste à noyer sous un flot d’injures, toute personne qui osera écrire un « post » qui ne te convient qu’à moitié. A moitié ? Comment ça à moitié ! Traître ! Pleutre ! Agent triple de la social-démocratie, du néolibéralisme et du populisme ! A moitié ? En voilà un faiseur de carabistouille, un empêcheur de révolutionner en rond ! Hors de mon mur, chien de garde prostitué du capitalisme !... Ce matin, je suis allé chez le docteur et je lui ai dit docteur, je crois que je ne vais pas bien. 

 

  27 avril 2017.

Mes raisons d’utiliser un bulletin Macron le 7 mai pour faire barrage à Marine Le Pen. 

Un, c’est dans mon ADN de communiste de faire barrage sans hésiter à l’extrême droite. Désolé, c’est comme ça. 

Deux, le score de Le Pen, ce ne sera pas 21% mais ce sera le pourcentage qu’elle aura le 7 mai. Pour les législatives, à 40% ça peut être 200 à 250 députés FN et pour 5 ans qui suivent ce sera son score. Au secours !

Trois, parce que plus le vote Macron sera haut, plus il sera submergé et subverti de vote anti-Le Pen, moins il aura le sens d’un soutien au projet libéral de ce représentant de la finance. Et mieux je pourrai le combattre. 

Alors s’il vous plait, faites comme moi. (Et quoiqu’il en soit, on peut rester amis.)

 

  28 avril 2017.

Marcher dans Venise, happer - au hasard des canaux, des ponts, des ruelles, des détours - ce que les hommes en leur improbable utopie  ont su bâtir : une ville sur 117 îles. Pourquoi cet acharnement à vivre et à construire là, au milieu de nulle part habitable ? Et quand même s'acharner, avec, à l'arrivée, des dizaines de clochers, des centaines de palais et de ponts qui y mènent (parfois juste un pont pour un palais), et traverser les siècles avec leurs masques peints de carnaval, pour nous garder, pour nous transmettre cette folie de vie fantastique… Et nous ? Qu'allons-nous léguer ? Que nous apprêtons-nous à léguer. Sans remord, sûrs de notre fait ? 

 

  29 avril 2017.

Après Venise, Bari, le sud de l'Italie. Là nous quittons le port et le bateau roule un peu. La mer est puissante pour éprouver ainsi un navire haut de 14 étages et de plus de 200 mètres de longueur. Moins puissante cependant que les siècles d'expériences, d'histoire, de culture, de travail et de luttes, de souffrances et de joies dont témoignent d'innombrables vestiges en ce pays. Alors, les soi-disant « chamboule tout », les tables rases qui promettent de bâtir un monde nouveau à partir de rien ou si peu, paraissent des chimères totalement dérisoires. Des impasses où je me refuse de m'engouffrer. 

 

  30 avril 2017.

Loin de tout, bien loin de tout. Sans message, sans info. Alors tu plonges dans la belle complexité du monde, où le sens échappe au bon sens, où la raison trouve son chemin dans d'infinis méandres, où découvrir est un chantier et chercher est un long apprentissage. « Mais, me dit-on, pourquoi tout compliquer ? Il y a eux et nous, nous le peuple et eux les élites, une barricade n'a que deux côtés ! Il ne te reste qu'à choisir... » C'est vrai qu'une barricade n'a que deux côtés. Mais pourquoi faut-il qu'il y ait des barricades ?

 

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