J’échange une tonne de programme contre 100 grammes d’espoir

Ce que je pense aujourd’hui. Puisqu’il le faut, parlons de la présidentielle de 2022. Quel choix pour le PCF ? Ou un candidat communiste ou Jean-Luc Mélenchon, si j’ai bien compris Fabien Roussel suite au CN du PCF. C’est ce qui va être tranché par le vote des communistes au printemps. Evidemment il faut donner du sens à tout ça. Quel serait le sens d’une candidature communiste ? Quel serait le sens d’une candidature de JLM ?

Dans l’argumentaire de ceux qui militent pour une candidature communiste, il y a deux raisons principales. 

La première c’est la décision du congrès du PCF de novembre 2018 de « créer les conditions d’une candidature communiste ». Je ne vois pas bien quelles conditions ont été créées, mais passons cela : « puisque nous l’avons décidé en novembre 2018, il faut une candidature communiste, c’est une question de démocratie ».

Mais depuis novembre 2018, il ne s’est rien passé ?

Le Mouvement des gilets jaunes, c’est rien. Le mouvement sur la retraite, c’est rien. Les mouvements de luttes dans les hôpitaux et les Ehpad, c’est rien. Mee too, les mouvements féministes, c’est rien. Le mouvement des jeunes pour le climat, la convention citoyenne qui échappe à Macron, c’est rien. Les élections européennes et municipales c’est rien. Les mouvements de l’économie sociale et solidaire, des tiers lieux, des circuits courts… c’est rien. Les mouvements contre les violences policières, le racisme, et pour les libertés, c’est rien… Et bien sûr, la pandémie qui met à l’arrêt la vie sociale, économique et culturelle du pays depuis près d’un an, c’est rien, ça compte pour rien !...

Parlons-en de la pandémie ! Ou on se cache derrière son petit doigt, ou on peut prévoir que si rien ne bouge dans la politique, le pays, les travailleurs, la classe ouvrière, vont être sujets d’une énorme crise sociale : des millions de pauvres, des millions de chômeurs de plus, une précarité atroce pour les jeunes… Tout cela pour payer les « aides » aux multinationales. Et ça se fera avec des restrictions encore plus drastiques sur les services publics, services de santé compris… Et pour garantir l’ordre, dans un tel contexte, et que le peuple reste sage, un autoritarisme à la limite du fascisme, tel que les équipes Macron-Darmanin y prépare l’opinion et les institutions. C’est rien, ça ?

Alors le PCF doit-il en rester à ce qui a été décidé en novembre 2018 ou faut-il qu’il réexamine les choses au regard de ce qui a bougé ?

J’en viens au deuxième argument qui milite pour un candidat communiste : Il faut pouvoir exposer et porter le programme du PCF. Ce n’est pas celui de JLM ou d’autres forces de gauche. Il y a des différences, des divergences… Exact sans aucun doute. Mais d’abord, constatons une chose. Est-ce que Fabien Roussel porte vraiment, dans les médias et les débats publics, le programme et les propositions de PCF ? Pour parler de son émission la plus récente, sur France-Inter samedi, où il a été vraiment brillant à mon avis, a-t-il parlé de ce qui est le cœur, le marqueur, l’ossature de notre programme, le SEF, le système de la Sécurité emploi formation ? Non, à aucun moment. Et je n’ai pas souvenir qu’il porte cette proposition dans les médias avec une vraie ferveur. Au fond, ce qu’il dit de nos propositions porte surtout sur la répartition des richesses, presque la même chose que les autres forces de gauche et écologistes. 

Je ne soupçonne pas Fabien Roussel de souhaiter l’effacement du PCF. Alors pourquoi cette difficulté ? Je pose une hypothèse. Est-ce qu’au fond, les communistes ne surestiment pas la question du programme ? Le programme commun signé par le PCF et le PS de Mitterrand en 1972, était un programme quasi révolutionnaire, fortement marqué par celui du PCF. Il a permis des avancées que Fabien Roussel a évoqué dans cet entretien à France-Inter, retraite à 60 ans, 39 heures,  5e semaine de congés payés, nationalisation de grands groupes… Mais l’élan a été vite stoppé. Et le PCF de Georges Marchais a fait l’autocritique de sa stratégie. Non pas de l’union avec le PS, non pas de l’union de la gauche, mais de la « démarche programmatique ». Cela a été critiqué dans les congrès. L’idée d’une stratégie de « conquêtes sociales et démocratiques », mouvements sociaux et populaires, permettant des avancées dans la réalité et les consciences, s’est progressivement imposée dans les textes des congrès communistes, sans jamais, il est vrai, être réellement appliquée. Sans doute a-t-elle été bousculée par les objectifs électoraux, la nécessité posée à chaque échéance de « rééquilibrer la gauche ». Et, ne le cachons pas (surtout depuis que la CGT a fait avec raison acte d’indépendance), peut-être par la crainte de mouvements populaires et sociaux que les communistes ne contrôleraient pas. 

Seulement, voilà que depuis le dernier congrès, le parti communiste a explicitement renoué avec une stratégie qu’il cherchait jusque-là malgré tout à dépasser : Un gouvernement communiste ou dominé par les communistes arrive au pouvoir par une élection, et il applique son programme et construit le socialisme. Sauf que cette idée, premièrement n’est pas du tout réaliste, et deuxièmement n’a rien à voir avec le communisme et la pensée de Marx. Et voilà le communisme assigné à résidence dans un horizon inatteignable (comme tout horizon).

Il faut examiner cependant deux autres arguments que mettent en avant ceux qui militent pour un candidat du PCF. Le premier est un rejet de Jean-Luc Mélenchon lui-même. Cet argument s’entend totalement si on considère la personnalité de Mélenchon, le mépris qu’il a affiché à l’égard des communistes, ses dérives populistes et son peu d’entrain à rassembler. C’est cependant un argument spécieux dans la mesure où il met au centre du débat la personnalité du candidat et non le sens de sa candidature alors que les communistes proclament qu’il ne s’agit pas d’une question de personne, de casting. Le deuxième argument est que de toute façon, la gauche est dispersée et donc ne gagnera pas l’élection présidentielle. Dans ces conditions, chacun dans son couloir et on verra qui, à gauche, aura le meilleur score. Que la gauche soit aujourd’hui dispersée, c’est incontestable et le PCF ne pourra pas se prévaloir d’avoir tout fait pour empêcher cette dispersion, lui qui a manqué toutes les occasions d’agir en ce sens.

En réalité, et je pense que les dirigeants du Parti communiste le savent très bien, une candidature communiste à l’élection présidentielle n’est pas viable politiquement. Au moment où ça pousse contre le capitalisme, où des mouvements montent à l’assaut, et au moment où, si rien ne bouge, les travailleurs et le pays vont être confrontés à d’infinis malheurs, le Parti communiste, comme la plupart des formations de gauche  et écologistes vont être considérées comme tueuses d’espoir. 

Personnellement, j’échangerais bien une tonne de programme contre 100 grammes d’espoir !

Alors, que doit faire le PCF dans ces conditions ? Je ne vois qu’une chose puisqu’on lui propose un choix binaire : accepter l’offre de Mélenchon et le bousculer : travailler dans le pays pour que Mélenchon et les communistes deviennent le pivot d’une force qui s’ouvre largement à d’autres forces politiques, d’autres personnalités, aux mouvements sociaux, démocratiques, culturels et écologistes, une force qui bouscule les pratiques et les étiquettes. On peut discuter des contenus, de la place de chacun, préparer un mouvement gagnant aux législatives, ouvrir la lutte politique à des mouvements, des aspirations qui la rejettent aujourd’hui. On veut gagner chez les abstentionnistes ? Il faut pour cela de l’espoir ! Il n’est pas trop tard pour que le PCF fasse montre d’agilité et s’inscrive dans une initiative politique qui change la donne de 2022. C’est une immense bataille politique, un immense travail à organiser ? Oui, et ce n’est pas gagné. Mais c’est une fenêtre qui s’ouvre et c’est d’oxygène dont le pays manque aujourd’hui. Et c’est d’air dont les communistes manquent aussi.

Le parti communiste, ce centenaire magnifique, gagnera s’il tient son rang, celui d’un parti qui a toujours mis sur le devant l’intérêt du pays, celui de son peuple, le Parti qui a toujours cherché à créer l’espoir. 

Et c’est à mon sens une candidature choisie dans les rangs du PCF qui, aujourd’hui, risque d’effacer les communistes du paysage. Et du pays.

 

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