Mes pensées quotidiennes du mois d'octobre 2017

 1er octobre 2017.

Les jours comme ça où le ciel est si gris, si bas que les nuages ne dessinent plus rien, le monde appartient aux vieillards. Tout est vieux, tout est flou. Sur la plage les vagues agonisent et laissent en se retirant leur odeur de cadavre et de vieille urine. C’est un monde ainsi qui s’efface, sans soubresaut, sans révolte, sans rage. La colère viendra, demain.

 

 2 octobre 2017.

Je vis pour être utile.

Je ne sauverai pas l’humanité et peu m’importe

(D’ailleurs, a-t-elle besoin qu’on la sauve ?)

J’ai une famille et un petit cercle d’amis 

J’ai quelques lecteurs indulgents et j’ai eu des épouses, des amies

Voilà pourquoi, voilà pour qui 

Je vis

Pour que dix minutes on pense à moi, 

(Dix minutes pas plus, après tu deviens encombrant)

Je vis pour être utile, je vis pour qu’on m’oublie.

 

3 octobre 2017.

Il fait beau sous l’anticyclone. Demain, c’est décidé, je navigue. Ce sera petit temps et soleil et dans le sillage du bateau, je compte bien oublier les horreurs du monde. Désolé, je n’ai pas les moyens de les noyer.

 

4 octobre 2017.

Elle me dit je ne t’aime plus (je ne vous dirai pas pourquoi, mais moi je le sais). Je lui dis si c’est vrai, il ne me reste qu’à mourir. Elle me dit comment veux-tu que je t’aime, tu ne fais aucun effort. Tu étales tous tes défauts. Je lui dis alors tu m’aimes beaucoup. Comment cela ? demande-t-elle. Je lui dis en fait tu es une affamée d’amour. Elle demande et alors ? Je dis quand on a faim, on mangerait n’importe quoi.

  

 5 octobre 2017.

Ce matin le cardiologue m’a confirmé ce que tout le monde sait depuis longtemps : J’ai un grand cœur. (Il a dit « gros cœur » mais on ne va pas s’arrêter à un détail de ce genre.) Puis il a ajouté que des petits cachets devenaient nécessaires. J’ai été heureux d’apprendre qu’un grand cœur méritait un cachet ! Même un petit cachet.

 

6 octobre 2017.

Et si les mots étaient des êtres vivants

Vivants et doués de raison, de volonté et

De sentiments

Alors ils t’échapperaient et

Tu serais incapable de les reconnaitre et d’en

Maîtriser les usages

Et tes poèmes seraient comme des villes sans remparts

Ni périphériques des villes diluées 

Cités qui s’étendent sans citadins

 

 7 octobre 2017.

Des gens qui me connaissent (et qui peut-être m’estiment un peu) m’ont souvent reproché mes imprudences. Et moi, j’en conviens, souvent j’ai porté ces imprudences comme un foulard dans le col ouvert de la chemise : une coquetterie, une élégance. Et je ne le regrette pas. Selon moi, le risque qu’il faut courir, le seul qui vaille, c’est l’espérance.

 

 8 octobre 2017.

Bertolt Brecht disait à peu près que « chaque chose appartient à qui la rend meilleure ». S’il disait vrai, je lui appartiens. À elle. Sans discussion possible.

 

 9 octobre 2017.

Quand nous engageons nos pas là où personne ne les a posés avant nous, ce n’est pas un gage de réussite. Nous risquons encore de nous fourvoyer. Mais au moins nous savons que le terrain ne sera pas miné. Et des terrains minés, nous en avons eu notre content !

  

 10 octobre 2017.

Le forsythia qui, d’habitude, illumine d’une flambée d’or le fond du jardin à l’orée du printemps, nous fait une petite montée florale en cette mi-octobre. Le dérèglement climatique est-il ainsi définitivement établi ? Certains diront que ce n’est pas cette preuve isolée qui suffira à le démontrer. D’autres que s’il n’avait fallu attendre que cela pour que le phénomène du dérèglement climatique soit avéré alors que bien d’autres preuves en atteste… Et ça nous vaudra une belle controverse et de telles volées d’injures et d’excommunions réciproques sur Facebook que je préfère garder la nouvelle pour moi : mon forsythia est en fleur.

 

 11 octobre 2017.

Elle trie ses huitres en se lamentant sur les injustices et les deuils. Et sur son sort fait de besogne et de bien peu de confort, moins encore de réconfort. Elle en a vu, elle peut le dire, des vertes et des pas mures. Elle dit voyez comme sont les gens. Mais ses huitres sont fraiches comme bouffée de rosée, et salées et iodées juste ce qu’il faut pour effacer le chagrin. 

 

 12 octobre 2017.

Je ne peux (pour vous plaire) m’inventer une vie de souffrance 

Je n’ai pas de douleurs aux couleurs si crues 

Je n’ai pas enfant travaillé dans les mines, ni connu

La guerre ou même la faim. 

Celles qui m’ont fait souffrir je les ai oubliées.  

Que dirait alors mon chant ? Il faut qu’il dise demain ou qu’alors

Je me taise.

 

 13 octobre 2017.

Il y a un point sur l’horizon dentelé. Comme une vague qui ne serait pas une vague. Quelque chose d’immobile, d’éternel, que je guette sans cesse. Que je retrouve toujours. C’est là et ce n’est pas là. C’est sombre et clair. Et je m’étonne : pourquoi suis-je le seul à voir cette évidence ?

 

 14 octobre 2017.

Le soleil a beau faire, pendant cette rencontre en plein air autour des poésies contre le racisme. Il chauffe en surface tandis que nous, lecteurs à haute voix des paroles des poètes, nous traversons la peau, nous transperçons les corps, nous portons la lumière à l’intérieur de tous.

 

 15 octobre 2017.

Je suis certain que si j’écrivais un poème (mais ça n’arrivera pas), il contiendrait un éclat de rire, un épi de blé, une rame de métro aux heures de pointe, une manifestation de colère, une passagère de la manifestation en question, un clin d’œil malicieux et un sourire de soleil… Il y aurait sans doute surtout quelques larmes de chagrin et de rage, parce qu’un poème rencontre toujours, quelque part, une injustice. La beauté vient de ce que cette injustice, le poème ne l’admette jamais.

 

 16 octobre 2017.

Le ciel breton était d’un jaune sale aujourd’hui et c’était à midi comme si le soleil se levait à peine. Dans le sillage de l’ouragan Ophélia traînaient en suspension les sables du Sahara et les fumées des grands incendies d’Espagne et du Portugal. Sous mes yeux larmoyant, au bout de mon nez irrité, se découvrait la réalité du monde, dans son immensité et sa finitude. Un appel, un rappel à la raison humaine. 

 

 17 octobre 2017.

Dans l’océan, il y a tant de poudre d’os des marins engloutis, des passagers péris, tant de cendres de terriens dispersées sur les plages… que la houle, parfois, prend un aspect de plomb. On croit qu’on peut alors s’y tenir debout, campé bien solide sur ces histoires d’antan. Et puis le vent se lève pour rider nos souvenirs et faire jaillir l’écume des vanités sordides.

 

 18 octobre 2017.

Cette nuit, je me suis réveillé en sursaut à 2 heures ce matin. Je faisais un rêve orange. Je suis au beau milieu d’une foule. Une grande manifestation populaire. On entend une musique douce, pas de slogans, pas de rage, pas de cris de colère. Uniquement de grands sourires confiants. Une jeune femme s’approche de moi. Je lui dis je suis communiste. Elle me répond un peu triste c’est impossible, de ton temps, le communisme n’existait pas. Je proteste un peu (pas trop parce qu’elle est jolie). De ton temps, m’explique-t-elle, les gens, hommes et femmes, n’avaient pas les moyens, matériels, techniques et culturels, de gérer par eux-mêmes toute la société. Aujourd’hui c’est possible. Le communisme est une affaire du 21e siècle.

 

 19 octobre 2017.

Quand je lis un poème et qu’il pleut, il prend un tout autre sens que le même poème lu sur la plage et sous le soleil. Je me demande alors où est le poème. Sur sa page dans son recueil ? Dans la température ambiante ? Dans le degré d’humidité de l’air ? En moi quand je le lis ? Et puisque je ne suis pas capable de répondre à cette question, c’est la preuve que je ne suis pas un poète : que serait un poète qui ne saurait même pas où il range ses propres poèmes ?

 

 20 octobre 2017.

Voilà que je lis un poème et qu’il me parle d’autre chose. Et cette chose autre que le poème est quand même le poème. Pourtant elle n’est pas écrite entre les lignes et sans doute n’est-elle pas écrite du tout, cette autre chose. Elle est là, quelque part, entre le poème et moi. Mais quand je veux (pour de rire, pas pour de vrai) écrire un poème moi-même, il n’y a pas d’autre chose dans mon faux poème. Est-ce qu’un poète n’est pas poète tant que le lecteur n’a pas mis autre chose dans ses poèmes ?

 

 21 octobre 2017.

Ce soir, elle n’est pas là. Trois jours hors de la maison. Je crois malgré tout que je vais survivre. Mais le lit vide est bien moins confortable sans ses seins de mousse fraiche, l’odeur de ses cheveux, et sa main qui ne dort que si je lui offre un peu de ma peau à caresser.

 

 22 octobre 2017.

J’ai reçu aujourd’hui comme un cadeau des chansons d’un rappeur. Il s’appelle Kery James et contrairement à la plupart des autres rappeurs, ses paroles appellent vraiment à la révolution. La Révolution comme je l’entends personnellement et qui est désormais l’urgence de ce 21e siècle. Il doit y avoir plus d’un poète comme lui, prêt à écrire les chants de combat des classes populaires d’aujourd’hui. N’y a-t-il rien à faire pour dénicher et diffuser ces chants et en faire les hymnes de cette Révolution ?

 

 23 octobre 2017.

Évidemment qu’il n’y a pas de politique sans conflits. Qu’il n’y a pas de majorités sans oppositions. Et qu’il n’y a pas de victoires sans combats. Et que, comme l’affirmait à peu près Gramsci (dans mon souvenir), lui qui disait haïr les indifférents, « vivre c’est être partisan ». Avec tout ça je suis d’accord. Mais conflits, oppositions, contradictions, luttes… rien de tout ça ne légitime la brutalité et la violence, ni le mépris de l’autre, de l’humanisme et de la démocratie. Et je m’étonne quand, au nom des grands principes « fondamentaux » d’un marxisme fort mal digéré,  on enfourche les méthodes, les mots et les postures de la classe dominante.

 

 24 octobre 2017.

On l’a trouvée au bas de la porte du garage. Quasi immobile, elle balance sa tête hautaine de gauche à droite et de droite à gauche et nous toise, fière de son impunité, comme une jeune mariée qui vient de dévorer son époux. La mante religieuse n’a pas un air bien catholique.

 

 25 octobre 2017.

Quand je l’attends, je l’attends. Et je suis si lourd que mes pieds s’enfoncent dans la terre, juste à l’endroit où je l’attends. Quand je l’embrasse, je deviens plus léger qu’une plume. Je suis léger et le moindre souffle d’air m’envoie  loin, loin, très loin d’elle. Et parfois je préfère quand je l’attends (surtout quand je l’attends pour l’embrasser).

 

 26 octobre 2017.

Je ne critique jamais la stupidité de mes ennemis. Pour tout dire, elle m’arrange. Celle de mes amis, je devrai la pourfendre sans tendresse. Avec tes adversaires sois généreux et sois impitoyable avec tes proches. Mais ni des uns, ni des autres tu n’en gagneras aucune estime.

 

 27 octobre 2017.

Il y a des gens, ils aiment tellement qu’on les aime ! À la fin, qu’on ne les aime pas devient, selon eux, une impudence, une indécence. Voire un crime. On devrait leur dire que lorsque l’amour devient une obligation, la haine finit par être un plaisir. (Je ne sais pas qui a dit ça).

 

 28 octobre 2017.

Ce n’est pas une raison ! Ce n’est pas parce que nous passons cette nuit à l’heure d’hiver que nous allons mettre une doudoune à nos amours, des pantoufles à nos élans, des écharpes à nos assauts tendres. Ce n’est pas parce que l’hiver pointe son nez que nous allons rester immobiles sous la couette, emmitouflés comme des caricatures de petits vieux. Non, soyons nus, soyons vifs, soyons fous pour profiter pleinement de cette heure de nuit supplémentaire que nous accorde l’octobre qui se meurt. (Au printemps, nous aurons une heure de jour de plus pour les amours diurnes. Et nous y serons prêts au bout de six mois de répétitions.) 

 

 29  octobre 21017.

Pour une fois que j’avais un plan ! Ce n’était pas un plan Q ni un plan B et même pas un plan F comme foireux. Non, c’était plutôt un bon plan. Je l’ai gardé au secret, bien dessiné sur une feuille 21 x 29,7 pliée en quatre et glissée dans la poche intérieure de mon caban marine. Un moment je l’ai dépliée pour le regarder encore une fois. C’était la neuvième fois de la journée. Et le vent (une belle bourrasque) s’est levé... Pour une fois que j’avais un plan !

 

 30 octobre 2017.

La nuit tombe sur le jardin qui, bien que petit (et fragile en cet automne), ne semble pas en avoir été blessé. La nuit seule s’est fait mal et elle ressentira sa douleur jusqu’au matin. Mais je ne la plains pas.

 

 31 octobre 2017.

Elle est belle, et grande, et noire, la démarche souple et le port de tête altier d’une reine. Elle conduit avec dextérité une poussette trois places sur ce trottoir encombré de Belleville. Devant son autorité, la foule bigarrée s’écarte et laisse le passage à la poussette et à ses trois passagers, (un petit blond, une petite asiatique et un petit noir) qui respirent la confiance. Elle slalome et glisse, élégante, sans hésitation, sans à-coup, sans brusquerie. La nourrice agréée mériterait la direction du monde.

 

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